Thomas Guénolé met en cause le ministère de l'Intérieur. Dans une tribune publiée ce matin sur le site du Point, le politologue estime que son éviction récente de RMC est le fruit d'une pression exercée par la place Beauvau sur la radio. Cette dernière dément. Rappel des faits.
Le 17 novembre dernier, Thomas Guénolé avait réalisé une intervention polémique sur l'antenne de RMC où il assure une chronique quotidienne intitulée "Guénolé, du concret" dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin. Ce jour-là, il avait choisi de traiter des "accusations de dysfonctionnements dans notre sécurité intérieure qui se multiplient dans la presse".
A la manière d'une revue de presse mais sans forcément citer ses sources, il avait alors égréné plusieurs accusations de dysfonctionnements avant de demander l'ouverture d'une commission d'enquête, soit pour "laver de tout soupçon" les dirigeants de la police et le ministre de l'Intérieur, soit pour contraindre ces derniers à la démission. "Je ne voudrais pas qu'il y ait de malentendus. Je ne remets absolument pas en cause le travail de la police sur le terrain ou des agents sur le terrain au niveau des services. Je parle du commandement, des responsables, des chefs", avait tenu à préciser Guénolé au cours de sa chronique.
Une des accusations reprises par Thomas Guénolé dans sa chronique avait particulièrement agacé la police : celle selon laquelle il n'y avait que trois policiers de la BRI de garde après 20h le vendredi 13 novembre. Tirée de la Lettre A, cette accusation avait été rapidement démentie par Nicolas Comte, porte-parole du syndicat Unite SGP police FO, connu pour réclamer régulièrement plus de moyens pour la police. Ce dernier avait précisé que "quinze policiers" de la BRI étaient "d'alerte" ce soir-là : trois de garde effectivement mais aussi douze d'astreinte, c'est à dire mobilisables rapidement car habitant à proximité de leurs bureaux. Selon lui, il n'y avait ainsi eu que "vingt minutes entre le bip et l'arrivée sur place" au Bataclan.
Les affirmations de Thomas Guénolé sur ce point avaient aussi été vivement contestées vendredi 20 novembre par la conseillère spéciale de Bernard Cazeneuve, Marie-Emmanuelle Assidon. Sur Twitter, cette dernière avait taclé sévèrement le politologue : "faut bosser un peu (10mn ?), avant de traîner les gens dans la boue" avant de mettre un lien vers un article du "Parisien".
Acte 3 : Thomas Guénolé évincé de RMC
Lundi dernier, le site Arrêt sur images révélait que Thomas Guénolé avait finalement été évincé de RMC. "Dimanche soir j'ai reçu un mail me confirmant que j'étais viré. Mais comme je n'ai pas reçu de courrier formel, je me suis tout de même rendu dans les locaux de la radio ce matin histoire de ne pas être en faute. On m'a refusé l'accès au plateau. Je peux donc dire officiellement ce matin que j'ai été viré de RMC", avait raconté Thomas Guénolé à nos confrères.
Dans Le Point aujourd'hui, Thomas Guénolé a tenu à défendre sa chronique et rappeler les précautions dont il l'avait assortie. "J'ai dit d'emblée que je rapportais des accusations s'accumulant dans la presse. Je n'ai donc moi-même accusé personne de quoi que ce soit. En outre, j'ai dit explicitement ne remettre 'absolument pas en cause le travail de la police sur le terrain ou des agents sur le terrain'", a-t-il souligné. Le politologue a aussi fait valoir qu'à sa connaissance, aucune des accusations reprises à l'antenne n'avaient été contestées officiellement par le ministère de l'Intérieur.
Selon Thomas Guénolé, son éviction n'est en fait dûe qu'à la pression exercée par le ministère de l'Intérieur sur la station du groupe NextRadioTV. Suite à sa chronique, "tous les services de police invités sur l'antenne" auraient "dès lors refusé de venir sur RMC". "D'autre part, la plupart des sources policières d'informations des journalistes RMC spécialisés se sont tues. Dans le premier cas, c'est un boycott ; dans le second cas, c'est un embargo ; et dans les deux cas, c'est objectivement une pression", estime le politologue.
Thomas Guénolé a aussi regretté dans sa tribune le manque de soutien de la rédaction de la radio. "Quand le ministère de l'Intérieur fait pression sur une rédaction par mécontentement envers une chronique, cette rédaction a sans doute le devoir de soutenir son éditorialiste", a-t-il estimé, mettant en garde contre les potentielles dérives de l'état d'urgence.
Contactée par puremedias.com, RMC dément avoir cédé à des pressions de la place Beauvau concernant son chroniqueur. "Jamais le ministère de l'Intérieur n'a demandé sa tête", assure Philippe Antoine, patron de la rédaction de RMC, qui rappelle le ton sans complaisance de sa station vis-à-vis du pouvoir. L'éviction du chroniqueur serait avant tout "une décision éditoriale" prise après plusieurs mises en garde adressées au chroniqueur. La station lui aurait ainsi reproché plusieurs fois par le passé de dévier de ce que devait être initialement sa chronique : des solutions concrètes à des problèmes économiques ou sociétaux.
Selon le patron de la rédaction de RMC, "Guénolé, du concret" s'est ainsi progressivement transformé en une tribune personnelle au cours de laquelle le politologue donnait simplement son avis sur tout, de la crise à Air France aux derniers attentats terroristes. Voire même ses états d'âme comme le lundi 16 novembre, juste après les attaques, où Thomas Guénolé avait présenté ses condoléances aux auditeurs et leur a dit qu'il n'y avait "pas de honte à pleurer".
Sur la chronique du 17 novembre dernier plus précisément, Philippe Antoine reproche au politologue d'avoir produit une simple "compilation d'articles de presse" énonçant des dysfonctionnements non prouvés et ce, seulement trois jours après le drame. "Il se trompe. Il est inexact et ne cite pas ses sources", accuse le directeur de la rédaction. Et de citer le fameux passage sur les policiers de la BRI ou encore un autre sur un échange d'information défaillant entre la Turquie et Paris.
Dans le même temps, Philippe Antoine reconnaît que la chronique de Thomas Guénolé a eu en effet des conséquences négatives sur le travail de sa rédaction en plein breaking news post-attentats. Certaines invitations, comme celle envoyée à la BRI par exemple, n'ont ainsi pas reçu de suite favorable de la part du ministère de l'Intérieur pour cause, officiellement, d'agenda surchargé. Les sources policières des journalistes spécialisés de la station se sont également montrées moins coopératives et n'ont pas caché leur colère après les accusations relayées à l'antenne par Thomas Guénolé, seulement trois jours après certains actes d'héroïsme de leurs collègues.
Selon le patron de la rédaction de RMC, la chronique du politologue a ainsi mis "en cause l'image de RMC et a eu un impact direct sur le travail de la rédaction". Autant d'éléments qui, combinés, l'auraient convaincu de mettre un terme à cette collaboration. Egalement contacté sur cette affaire, le ministère de l'Intérieur n'a pour sa part pas souhaité faire de commentaire.