A la tête du service politique et économique de la chaîne publique depuis un mois, Fabien Namias nourrit de grandes ambitions pour partager sa passion de la politique avec le téléspectateur. Son objectif est de renforcer le décryptage, cesser la langue de bois et inventer de nouveaux formats. Entretien.
Vous êtes arrivé depuis peu à France 2, j'imagine qu'on fait un état des lieux quand on arrive dans une si grande rédaction, quel est-il ?
Moi je suis arrivé ici les mains vides et sans aucun a priori sur ce que je voulais faire. La seule chose que je savais, c'était qu'il fallait réfléchir à comment marier la politique et l'économie dans l'optique de l'élection présidentielle et comment avoir le traitement le plus moderne et offensif possible. Je suis passé aux travaux pratiques après un mois d'observation, on a commencé à reformater les services. Ce qui m'a fait plaisir c'est de voir que contrairement à ce que certains avaient pu me dire sur la difficulté d'intégrer une rédaction d'une chaîne publique quand on vient du privé, j'ai été accueilli à bras ouverts par des gens qui ont envie de faire, qui le disent, et qui ont envie de travailler sur de nouveaux projets. Ce n'est pas la petite maison dans la prairie mais ça se passe très bien !
La patte Fabien Namias est-elle déjà visible à l'antenne ?
Ce serait présomptueux de ma part de dire qu'il y a une patte Fabien Namias. On en est encore aux balbutiements. Moi, j'essaye de faire quelque chose qui est à la fois quantitatif et qualitatif. On doit essayer chaque jour ou presque, dans les journaux de France 2, de mettre de la politique. On doit créer un réflexe. On doit se dire que France 2 est une chaîne qui aime la politique !
L'élection présidentielle arrive à grands pas, quels formats politiques vont incarner cet événement sur France 2 ?
Il y a plusieurs choses, les formats spécifiques liés à l'élection présidentielle type émission et puis ce qu'on peut créer de façon quotidienne et récurrente sans nouveau rendez-vous. On le fait déjà avec Laurent Delahousse, une chronique politique chaque dimanche sur un mode vif, de dialogue avec un ton direct, on dédramatise la politique. Et effectivement, il y aura quoiqu'il arrive, c'est une certitude absolue, à la demande de France Télévisions et de Thierry Thuillier (directeur de l'information, ndlr) une nouvelle émission politique. Après, le contenu, ça reste entièrement à définir, on a une feuile blanche. Cela devrait être en septembre, sachant que le calendrier normal des élections c'est septembre 2011.
Les chaînes d'informations se sont déjà lancées...
Elles commencent à se lancer, c'est normal, c'est leur job. Mais pour nous, ça nous parait trop tôt. Les Français ne sont pas encore dans le temps de l'élection présidentielle. Il peut y avoir des accélérations de calendrier, le débat des primaires au PS peut prendre de l'ampleur plus rapidement que prévu, comme la perspective du G8 en France, ça peut donner un coup d'accélérateur qui ferait que nous ayons envie de commencer avant. Pour l'instant, on est seulement à la déclaration de principe.
Vous réfléchissez à un nouveau journaliste pour l'incarner ?
Tout ça, c'est feuille blanche ! Ce n'est pas de la langue de bois, tout est possible et rien n'est arrêté.
On parle beaucoup de politique, sur tous les médias, au risque parfois de frôler l'indigestion. Peut-on renouveler le genre à la télévision pour accrocher le téléspectateur ?
C'est l'essentiel de ma mission, je suis là pour ça. Renouveler le genre, c'est super prétentieux. Si on se dit qu'on va réinventer le nouveau reportage politique, c'est idiot, on y arrivera pas. En revanche, se fixer comme ambition de sortir de l'aspect rébarbatif et institutionnel de la politique, oui, je suis là pour ça. On a mis quelque chose en place, deux fois cette semaine, dans le journal de 20 heures.
Lundi, il y avait la conférence de presse de Nicolas Sarkozy, on a fait un sujet classique sur le contenu de ses déclarations. Puis nous sommes allés au-delà, on s'est dit avec l'équipe, il paraît que Sarko veut changer de style, incarner quelque chose de différent, est-ce que cette conférence de presse est le début de son changement ? Qu'a-t-on noté dans ses phrases, son attitude, sa posture, son message, est-ce que ça dit quelque chose ? On s'est payé le luxe après un reportage de plus de 2 minutes sur la conférence que je vienne en plateau avec David Pujadas pour livrer un décryptage qui a duré plus de deux minutes, ce qui est exceptionnellement long dans un journal. On a eu recours au son, et chaque élément de démonstration s'appuyait sur un extrait sonore.
Et les téléspectateurs adhèrent ?
Je ne dis pas que c'était bon ou mauvais mais quand le lendemain on regarde si ça fonctionne, si les gens ont décroché, c'est l'inverse. On fait 5 minutes de politique et les les gens restent ! Il y a vraiment un avenir pour la politique dans le journal télé. Je sais que les gens aiment la politique, j'en ai la conviction absolue. Il ne faut surtout pas tomber dans la langue de bois qu'ont l'habitude de prendre les politiques et qu'ont la très mauvaise habitude de prendre les journalistes politiques.
La télévision a-t-elle sa part de sa responsabilité dans la mauvaise considération croissante du politique dans l'opinion publique ?
Les Français en ont ras le bol de la façon dont c'est fait, ils en ont marre que les politiques pratiquent la langue de bois, ils en ont marre que les politiques ne tiennent pas leurs promesses, ils en ont marre de ce jeu d'hypocrisie. Et ils en ont marre que les journalistes suivent ça de façon complaisante. Si on a un parti pris éditorial -et non pas un parti pris politique - qui est le décryptage, le recours au off, ça marche.
Les émissions de divertissement comme celle de Laurent Ruquier doivent-elles continuer à inviter des politiques ?
Ce sont les politiques qui ont envie aujourd'hui de diversifier leur message. Quand un homme politique vient sur un plateau de JT, il vient parce qu'il a un message important à faire passer. Les émissions dites de divertissement, ils y vont pour montrer l'envers du décors. C'est la partie image des politiques. Ils n'iront jamais faire d'annonce dans ces émissions. De mon point de vue, il n'y a aucune concurrence entre les émissions de divertissement et les émissions d'information.
On parle beaucoup de Marine Le Pen en ce moment. Est-elle plus télégénique que son père ?
Son père était formidablement télégénique ! Depuis les premières émissions dans les années 80, son père a été l'un des rares à faire venir des téléspectateurs, même des gens qui le détestent, ce n'est pas le sujet. Le Pen, c'est une machine à audience, dans le jargon on dit que c'est un bon client. Sa fille suscite aussi l'intérêt, elle est nouvelle sans modifier le contenu, elle semble rénover la forme du FN. Quand on l'a invitée sur le plateau du 20 heures, on a eu un parti pris éditorial, c'était de l'interroger concrètement sur son programme et sa politique si elle devenait présidente.
La télévision et la presse ne sont-ils pas en train de tomber dans le piège d'adoucir l'image du FN ?
Pendant des années les médias se sont demandés s'il fallait inviter le FN. Il réunit entre 10 et 15% des voix lors des élections locales et nationales. A ce titre-là, ils ont le droit de s'exprimer comme tous les partis politiques. La vraie question est de savoir comment les traiter. Nous, on les traite normalement. Si on diabolise le FN, on tombe dans son jeu. En revanche en allant le chercher sur les vraies réponses aux vraies questions, chacun peut juger s'il doit voter ou non Front National. Ne pas les inviter serait mépriser 15% des Français qui votent pour ce parti.
Jean-Luc Mélenchon est sur tous les fronts médiatiques alors qu'il dénonce continuellement le système. Ce n'est pas un peu schizophrène de sa part ?
Il le fait un peu moins en ce moment. Il y a une tentation qu'il n'est pas le premier à épouser, Bayrou l'avait fait aussi pendant la campagne présidentielle de 2007 avec TF1. Ca fait peut-être plaisir à une partie de l'électorat qui imagine que les journalistes et les politiques forment un même système et qu'il faut le dénoncer. Mais ça ne répond pas aux préoccupations des Français. Taper sur les médias, c'est bon pour faire du buzz, ça ne sert à rien d'autre. Jean-Luc Mélenchon, qui a d'ailleurs été très dur avec France 2 il y a quelques mois est venu chez nous au journal et il n'a absolument rien dit.
On peut parler de bulle médiatique ?
Il profite incontestablement du fait que le PS n'a pas de candidat. Et qu'on ne sait pas encore si le candidat du PS sera plutôt quelqu'un de l'aile sociale démocrate ou un candidat plus sur l'aile gauche du parti. Dans le jeu politique d'aujourd'hui il y a un espace et il l'occupe avec talent.
Autre sujet, vous êtes un ancien d'Europe 1, Nicolas Demorand quitte bientôt la station pour prendre la tête de Libé. C'est un bon choix ?
Je n'en sais rien ! Je le connaissais assez peu. Mais c'est un type brillant, fin, rapide qui a formidablement réussi à Inter, il n'a pas eu le temps de prendre ses marques à Europe 1. Ce sera un patron qui sera médiatique, qui fera parler, peut être que l'actionnaire avait envie de quelqu'un qui incarne Libération dans les médias.
Vous êtes parti au bon moment d'Europe 1, c'est un peu la fuite des cerveaux là...
Je récuse le fait d'être parti au bon moment. Mon départ a précédé l'annonce du départ d'Alexandre Bompard. Je suis parti parce que le projet de France 2 était génial, point. Très sincèrement, je suis le premier malheureux des mauvais résultats d'audiences d'Europe 1. Je ne souhaite qu'une chose, qu'Europe 1 retrouve sa pleine forme éditoriale, ça m'a fait un petit coup au coeur quand j'ai vu les résultats il y a 15 jours. Europe 1 a traversé de grandes difficultés et la station a une faculté de rebond insoupçonnée, je ne suis pas inquiet pour eux.