Correspondante permanente à Washington pour Canal+ et i-Télé, Laurence Haïm, épaulée par le journaliste Antoine Estève, scrute la campagne présidentielle américaine, bousculée depuis 48 heures par l'ouragan Sandy. Réalisatrice d'un documentaire sur la dernière campagne de Barack Obama qui sera diffusé le 6 novembre prochain sur Canal+, elle décrypte pour puremedias.com la campagne médiatique du président sortant.
puremedias.com : Depuis plusieurs heures, on ne parle plus que de l'ouragan Sandy. La campagne présidentielle est-elle vraiment suspendue ou cette catastrophe naturelle peut faire basculer l'élection américaine ?
Laurence Haïm : La campagne présidentielle est complètement suspendue, Barack Obama est redevenu président, il a annulé tous ses meetings de campagne. En termes de communication politique, il gère ça assez bien, il faudra se demander dans les semaines à venir de quelle manière il a mis en scène tout ça. Côté Romney, je suis surprise par tous les e-mails envoyés aujourd'hui pour nous dire qu'ils allaient dans des centres de l'Ohio pour récolter des dons pour les victimes de l'ouragan. Il y a un président candidat et un candidat qui a interrompu sa campagne seulement 24 heures.
En France, on fait un parallèle avec l'affaire Merah, qui avait permis à Nicolas Sarkozy de se "représidentialiser" quelques semaines avant l'élection, sans succès...
Vous avez raison, mais ce n'est pas le même contexte. Il y a ici 11 Etats touchés, ce n'est pas un acte terroriste, c'est une catastrophe naturelle. Mon interrogation est de savoir si cela va jouer sur les indécis. Car avant l'ouragan, nous nous sommes aperçus que les indécis tenaient la clé de l'élection. Notamment en Ohio, se sentent-ils concernés par les victimes de Sandy ? C'est la grande question, personne n'a la réponse. Mais Obama montre qu'il sait gérer une crise, il a une bonne carte à jouer.
Les ouragans aux Etats-Unis ont souvent des conséquences politiques...
Oui, on se souvient quand Katrina avait frappé la Nouvelle-Orléans, Bush faisait autre chose. Cela lui avait beaucoup coûté ainsi qu'au parti républicain. Les gens avaient dit qu'il ne s'intéressait pas aux pauvres ! Dans une élection présidentielle, un ouragan est un sujet très sensible, les deux côtés le savent. Moi, je ne suis dupe de rien. Quand dimanche, toutes les chaînes d'info sont sur l'ouragan, et qu'à ce moment précis la Maison Blanche confirme un déplacement d'Obama pour un meeting alors qu'on apprend le lendemain qu'il a fait demi-tour en urgence pour Washington, ça ressemble à un coup très bien joué de la part des spin doctors. C'était bien de le faire partir et de le faire revenir en urgence !
Lors de la précédente élection, Barack Obama était adulé par tous les éditorialistes américains. Le vent a tourné depuis. Barack Obama paye-t-il aujourd'hui le prix de sa politique ou de son attitude vis à vis de la presse ?
Les deux. Le premier problème ici, c'est le chômage, l'élection va se jouer sur l'économie américaine. En 2007 et 2008, l'ensemble de la presse américaine était très amoureuse de Barack Obama, ça a bien changé depuis. Il y a des critiques notamment sur le manque d'accès au président, et cette politique people adoptée avant l'ouragan avec des émissions de divertissement. Le Washington Post ou le New York Times n'ont pas eu d'interview depuis plusieurs mois alors que Barack Obama fait le tour des plateaux, de Jay Leno en passant par MTV pour convaincre les jeunes. Ils privilégient des émissions où Barack Obama est assuré de ne pas être confronté à des questions difficiles. Objectif : convaincre l'Américain ordinaire.
Cette stratégie, c'est un immense changement par rapport à la précédente élection ?
Non, c'est plutôt une tendance. L'administration Obama respecte les médias, Barack Obama aime beaucoup la presse très sérieuse, il le dit et le répète. Il a une haute notion de ce que la presse doit faire. Mais lui et son administration, une fois au pouvoir, n'ont pas arrêté de dénoncer l'hystérie collective des chaînes d'information en continu. Ils pensent que la moindre petite phrase prend trop d'importance, ils essayent de contrer ça. En 2007 et 2008, ils étaient pourtant bien content de les avoir pour retransmettre les meetings.
Le vent a tourné aussi en France, il y a de plus en plus de papiers qui décrivent un Barack Obama pas si cool que ça...
Je trouve que c'est très facile de taper sur celui qu'on a aimé. Nous sommes dans une situation économique extrêmement difficile, pour Barack Obama et d'autres dirigeants. C'est très difficile d'être président dans le monde actuel.
Les médias étrangers intéressent Obama ou vous êtes la dernière de ses préoccupations ?
On est la dernière de ses préoccupations, il ne fait quasiment pas d'interview avec la presse étrangère. En dehors de la presse mexicaine, depuis six mois, nous n'avons aucun accès à lui. C'est traditionnel, aux Etats-Unis, de ne pas privilégier la presse étrangère. Moi, je suis déçue par cette attitude, je m'attendais à bien plus d'ouverture mais ils font exactement la même chose que les autres.
Lors de la précédente élection, il vous avait accordé un entretien exclusif, vous avez renouvelé votre demande cette saison ?
C'est une demande constante, permanente. J'espère que ça aboutira jour mais je pense que mes chances sont proches de 0,5 sur 100 millions... La plupart de mes confrères étrangers ne l'ont pas eu, ce sera donc très compliqué de privilégier encore une fois une chaîne française.
Vous êtes la réalisatrice d'un documentaire pour Canal+, "Obama, La dernière campagne", qu'apprenons-nous de cette campagne américaine ?
Les primaires républicaines ont duré très longtemps, Barack Obama n'a pas fait campagne pendant ce temps. En France, nous avions été passionnés par l'Obama qui faisait campagne dans les primaires contre Hillary Clinton. La campagne 2012 a été focalisée sur Mitt Romney. Comme toujours, j'ai essayé de montrer qu'il faut résister en tant que journaliste à ce que la communication politique américaine veut imposer, c'est à dire un contact politique virtuel, l'humanité qui disparaît au profit de spin-doctors qui font des messages par ordinateur. Il y a beaucoup de gens qui disent sur Twitter que je suis pro-Obama, ce n'est pas le cas, je suis juste là pour montrer comment cela se passe.
"Obama, la dernière campagne"
> Canal+, le 6 novembre à 22h50.
Laurence Haïm tous les jours sur i-Télé.