Après avoir marqué les auditeurs de RTL et un passage de deux années sur Europe 1, Patrick Cohen est de retour sur France Inter où il a succédé à Nicolas Demorand aux commandes de la matinale. Une station qu'il connait puisqu'il y a passé une saison à présenter le stratégique journal de 8 heures, en 2007-2008. L'occasion pour le journaliste d'évoquer ses nouveaux habits d'anchorman mais aussi sa carrière, l'évolution du monde de la radio et le débat autour des humoristes matinaux de France Inter. Entretien.
Ozap : Vous n'étiez pas à l'antenne ce matin, France Inter n'a pas pu proposer sa matinale suite à un mouvement social. C'est une particularité du service public. Un jour d'actualité comme aujourd'hui, n'êtes-vous pas frustré ?
Patrick Cohen : On est toujours frustré de ne pas faire son métier mais on prépare une magnifique matinale pour demain où on tirera toutes les leçons de la mobilisation d'aujourd'hui (rires). Nos auditeurs sont fidèles et on leur est reconnaissants.
L'interprétez-vous comme un manque de respect pour les auditeurs qui, en galère ce matin à cause de la grève, n'ont pas pu être informés sur Inter ?
Non, non. Moi, je respecte les choix de chacun. Il y a un mouvement qui est important, une bataille sociale qui commence autour d'un très grand enjeu, je comprends tout à fait que les gens souhaitent se mobiliser. Je n'ai pas à donner mon avis là-dessus. Le droit de grève doit être intangible et absolument respecté.
Vous êtes aux commandes de la matinale depuis dix jours. Si vous deviez en faire un premier bilan, quel serait-il ?
Il y a beaucoup de positif (rires). L'équipe, aussi bien au micro que derrière la vitre, a envie d'être là, a plaisir à faire ce qu'elle fait, et je pense que ça s'entend à l'antenne. Je suis d'abord là pour assurer la cohésion de tout ça à l'antenne et je pense que c'est plutôt très sympathique. Ensuite, et ce n'est pas une découverte, on a une équipe de chroniqueurs parfaitement rôdés et parmi les meilleurs sur la place de Paris : Bernard Guetta à l'international, Thomas Legrand pour la politique, Dominique Seux et Philippe Lefébure à l'économie. On est contents de les retrouver. Dans les nouveautés, on se réjouit aussi d'avoir la chronique de Didier Varrod, saluée de façon unanime ici et à l'extérieur.
Vous tenez à cette chronique, même à l'antenne, on le ressent.
Oui, j'y tiens beaucoup.
Comment est née cette idée originale où Didier Varrod mêle la musique à l'actualité ?
Euh... c'est moi ! (rires) J'avais envie d'un produit musical dans la matinale, chose qui ne fait plus sur les généralistes depuis longtemps. C'est une vieille idée que j'avais essayé de faire passer dans d'autres stations. On voulait quelque chose qui raconte une histoire, un clin d'oeil, en résonance avec l'actualité, ou encore qui donne des informations sur les nouveautés du disque et de la scène. On est très contents du résultat. Les gens apprennent des choses et ont le plaisir d'entendre un peu de musique à une heure très écoutée, quand nos concurrents ne sont que dans le robinet à paroles... ou à publicités pour nos concurrents privés (rires).
Audrey Pulvar anime aussi un débat dans votre tranche, à 7h50. Vous êtes satisfait de ce rendez-vous ?
Oui, je pense que ça répond à un besoin croissant dans le monde dans lequel on vit... Il y a un besoin de débats, de points de vue contradictoires. Ça me semble être une bonne idée. Ce n'est pas toujours facile d'avoir des gens avec un niveau d'argumentation équivalent pour apporter un éclairage pertinent en peu de minutes, mais on y travaille.
Des experts vont aussi leur arrivée vendredi, entre 8h30 et 9h. Ce sera récurrent ?
On essaie de mettre ça en place à un risque plus ou moins régulier. On proposera une table ronde d'experts autour d'un thème d'actualité. On a commencé vendredi avec la rentrée politique en prenant un peu de hauteur, sans avoir des gens qui passent d'un sujet à l'autre et qui glissent du commentaire sur les chiffres de la croissance aux performances de l'équipe de France de football. Les gens ne sont pas forcément omniscients et n'ont pas un avis sur tout. On aura des spécialistes.
Là, on pense forcément à des émissions qui existent sur la concurrence !
Pas aux mêmes heures ! J'y ai participé en mon temps. J'ai fait ce genre d'exercice. Sur France Inter et particulièrement le matin, je pense qu'on doit être un cran au-dessus et offrir une qualité d'analyse qui doit être, je pense, un peu plus élevée, d'où ce choix.
Vous évoquez l'idée de prendre de la hauteur. Que ce soit sur RTL ou Europe 1, vous avez toujours été en adéquation avec la ligne éditoriale. Mais, avez-vous envie, depuis longtemps, d'arriver sur France Inter ?
J'ai fait aussi bien sur RTL que sur Europe des choses qui me paraissaient, à certains moments, assez haut de gamme. Simplement, on écrit pour son lecteur et on fabrique des reportages pour ses auditeurs, c'est la base du métier. Je suis un professionnel, je sais m'adapter à des publics différents. Je connais, pour y avoir travaillé dans le passé, quel est l'auditoire de France Inter, et plus globalement celui du service public, puisque j'ai longtemps travaillé à France Info. Ce que je sais aussi, c'est qu'il y a pour France Inter un niveau d'exigence des auditeurs sans doute plus élevé qu'ailleurs, donc on fait attention.
Quand vous faisiez le 7/8 de RTL, vous présentiez le journal de 7 Heures. Aujourd'hui, les anchormen ne présentent plus de journaux. Pourquoi ?
On s'est posé la question pour cette rentrée. Historiquement, ça tient à un effet de vedettariat qui est venu pour les anchormen et qui n'existaient pas encore il y a une dizaine d'années. Les plus grosses audiences des années 80-90 ou même 2000, c'était sur RTL avec des gens comme Jacques Esnous et Hervé Béroud, qui n'étaient pas des stars. A RTL, ce système s'est arrêté avec l'arrivée de Christophe Hondelatte. A France Inter c'est particulier car même quand Stéphane Paoli faisait la matinale, il ne présentait pas de journal. Moi, j'avais en tête ce modèle RTL qui n'existe plus, mais on s'est rendus compte que ce n'était pas raisonnable : anchorman, rédacteur en chef de la matinale, intervieweur à 8h20... Avoir la charge d'un journal en plus, c'est trop.
Une matinale rien qu'à vous comme aujourd'hui, c'est quelque chose auquel vous rêviez depuis longtemps ? Dans le métier, on a coutume de vous présenter comme quelqu'un d'assez ambitieux.
Je ne sais pas si je suis ambitieux. En tout cas, je n'ai jamais fait mes choix en fonction d'un plan de carrière pré-établi. Je n'ai pas quitté France Inter il y a deux ans en me disant que je pourrais peut-être revenir pour faire la matinale. Si j'étais si ambitieux, j'aurais sans doute fait d'autres choix. J'ai pris les opportunités au fur et à mesure qu'elles se présentaient. C'est un très grand bonheur de faire ça et je suis vraiment très, très heureux d'être là aujourd'hui. Mais, en même temps, je prends les choses avec beaucoup de modestie et d'humilité. Preuve en est : j'ai dit dès le début qu'il ne fallait pas faire table rase de la matinale telle qu'elle existe et telle que Nicolas Demorand l'a fait vivre. Je m'installe dans un décor animé par d'autres et je n'ai pas cherché à en faire « ma chose ».
C'est une tranche que vous visiez quand vous étiez à RTL ou Europe 1 ?
C'est une tranche que j'aime beaucoup. La radio le matin, c'est ce qui se fait de mieux (rires). C'est un moment particulier, c'est la vitrine de la radio. J'aime beaucoup les matinales à la radio mais je n'en ai pas fait un objectif de vie ! J'ai aussi été très heureux de faire ce que j'ai fait le soir.
Ce n'est pas l'image qu'on vous prête.
Quelle image me prête-on ?
Celle de quelqu'un qui voulait à tout prix décrocher cette tranche.
(rires) Ça veut dire quoi « à tout prix » ? Non, pas tout à prix.
Pour poser la question différemment : quand RTL, en 2006, confie sa matinale à Christophe Hondelatte, le comprenez-vous ou vous êtes-vous dit que vous auriez pu être légitime dans l'exercice ?
Oui, je pense très clairement que j'aurais pu le faire. Quand on m'a expliqué qu'on prenait Christophe Hondelatte, on me l'a justifié par des tests de notoriété. On ne m'a pas dit que ce serait beaucoup mieux sans moi et avec lui, on m'a dit qu'il était plus connu, voilà, très bien. Dans le détail, quand j'ai quitté RTL, la direction m'a dit que je faisais une connerie parce que Christophe Hondelatte n'allait pas faire plus de deux ou trois saisons et qu'après, ce serait sans doute mon tour. Ils avaient raison puisqu'il est parti au bout de deux saisons. Voilà, je suis parti. Si je voulais à toute force la matinale de RTL, j'aurais sans doute attendu. Ensuite, j'étais très heureux à Inter et l'opportunité d'aller sur Europe 1 le soir s'est présentée et, là encore, j'aurais très bien pu me dire que je devais rester dans l'ombre et que mon tour arriverait quand Demorand partirait... Quand je vous dis que je ne fais pas mes choix en ayant deux coups d'avance, je pense que je suis sincère. Et je pense qu'avec d'autres choix, j'aurais pu être titulaire sur une matinale plus tôt. Franchement, ce sont des choses sur lesquelles je n'ai aucun regret ou réflexion à postériori.
Vous évoquez la volonté des radios de se tourner vers des personnalités. Sur Europe 1, vous formiez en duo avec Marie Drucker, personnalité connue mais sans expérience à la radio. C'était une idée d'Europe 1 ?
Oui, Europe 1 voulait relancer un grand rendez-vous d'informations du soir mais avec un duo d'égal à égal, et non pas un chef et une petite main comme on l'entend parfois sur certaines tranches. C'est très difficile à faire, surtout le soir où l'actualité évolue perpétuellement. L'idée était séduisante.
Y-a-t-il aussi une question de personnalités qui fait que ça n'a pas fonctionné. En clair, est-ce que vous vous êtes bien entendus ?
Oui, on s'est bien entendus. Marie s'est mise à la radio à une vitesse et avec un talent assez exceptionnel. Il y avait simplement des choses qui ne fonctionnaient pas et la direction a fait le choix de changer la formule, en réduisant la deuxième partie en y mettant plus d'auditeurs et, chacun travaillant un peu plus séparément. On s'est assez vite éloignés de notre projet de départ parce que c'était difficile, très lourd, avec beaucoup de choses à gérer, des invités un journal à deux voix à écrire chacun... Je pense qu'on est parti trop vite sur un truc dont on n'a pas mesuré le poids. Je pense aussi que ce sera compliqué pour Nicolas Demorand car, ces dernières années sur Europe, il y a eu une formule différente chaque saison. Récréer un rendez-vous pour l'auditeur est difficile. Je pense qu'il faut du temps pour installer du temps, et je le souhaite à Nicolas.
Venons-en aux humoristes du matin, à 8h55, sur France Inter. Après ses premières prestations, Raphaël Mezrahi s'est fait étriller...
(il interrompt) Non, pas étriller. Si vous faites une recherche sur la toile - ce que je ne devrais pas d'ailleurs - et que vous regardez sur les blogs ou Twitter, je pense qu'il doit y avoir deux douzaines de tweets à tout casser. Si ça suffit pour dire que ça se fait étriller alors qu'on a un million et demi d'auditeurs à cette heure-là...
Alors, de l'intérieur, comment ça s'est passé ? Déjà, est-ce qu'il vous a fait rire ?
Oui, Raphaël Mezrahi m'amuse. Ce n'est pas du rire aux éclats mais il m'amuse et c'est quelqu'un que je trouve très sympathique. Il m'amuse mais il est aux antipodes de ce qui se fait d'habitude sur France Inter et de ce que les auditeurs ont eu l'habitude d'entendre le matin ces dernières années, où on était plus dans le billet d'humeur. Je comprends que ça puisse déconcerter mais ce n'est qu'un élément parmi d'autres et peut-être beaucoup d'autres. Les choses se sont calées très tard au mois d'août et on s'est donnés le mois de septembre, peut-être un peu plus, pour faire tourner un certain nombre d'humoristes.
Pour en fixer quelques-uns ensuite ou vous souhaitez rester sur ce roulement ?
On aimerait bien en fixer quelques-uns mais ça pourrait être deux ou trois dans la semaine. Il y a beaucoup de gens qui pensent qu'un billet d'humoriste s'écrit en deux heures, comme un papier de radio. Non, je sais que c'est compliqué et que c'est beaucoup de travail pour que ça fonctionne. Quand je côtoyais Stéphane Guillon ici-même il y a deux ans, je sais qu'il y passait la journée et une partie de la soirée. C'est difficile, ça ne s'improvise pas.
D'où l'importance de les tester ?
Non, ne me dites pas qu'on teste des gens parce que ce ne sont pas de novices. Sophia Aram, qui était là lundi a déjà un peu de surface et est apparue régulièrement sur Le fou du roi. Il y en aura d'autres, dont Raphaël Mezrahi. Tout ça a aussi été compliqué par les problèmes personnels de Gérald Dahan qui devait faire partie de l'équipe dès la première semaine. On aurait préféré que ce soit plus fixé mais, en même temps, je ne crois pas que ce soit un drame national si les auditeurs d'Inter ne savent pas trois jours à l'avance qui occupera cette case ! Il y a un aspect "pochette surprise" au rendez-vous de 8h55 (rires). On va trouver, je ne sais pas quand, mais on va se fixer, installer tranquillement cette tranche. Si ça change tous les jours et si ce n'est pas complètement abouti ou absolument hilarant tous les matins, ce n'est pas un drame national. Les auditeurs peuvent avoir un peu d'indulgence et j'aimerais que tout le monde ait conscience que c'est difficile. Guillon lui-même a mis des mois et des mois à s'installer et à faire parler de lui.
Vous n'avez pas un physique de radio. Je me suis toujours demandé si la télé ne vous avait pas fait les yeux doux.
C'est arrivé, pas très souvent. Aucune proposition n'a pu me donner envie d'arrêter de faire de la radio, ce qui est mon médium favori. Je connais les métiers de la télévision pour avoir fait du reportage ou présenté des journaux Outre-Mer dans un passé lointain. Je finis de fabriquer un documentaire pour France Télévisions consacré au 10 mai 1981 dont on va célébrer les trente ans au printemps prochain. Je connais tout ça. Je reste très attaché et toujours séduit par la souplesse de la radio, sa réactivité... Si, par extraordinaire, je suis aspiré par la télévision, ce que je ne cherche pas, j'aurais des regrets à arrêter la radio au quotidien.
Interview
Patrick Cohen : "Sur France Inter, il y a un niveau d'exigence des auditeurs plus élevé qu'ailleurs"
Publié le 7 septembre 2010 à 16:21
Quelques jours après son arrivée à la matinale d'Inter, le journaliste dresse un premier bilan et revient sur la polémique autour des humoristes qui ont succédé à Didier Porte et Stéphane Guillon.
Patrick Cohen© Radio France/Christophe Abramowitz
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