C'est à Nilufer Demir, une photographe de 29 ans, que l'on doit la série de photos d'Aylan Kurdi qui a fait le tour du monde. La photo montre le corps d'un enfant syrien de 3 ans mort noyé avec son frère et sa maman suite au naufrage du bateau avec lequel cette famille tentait de rejoindre clandestinement l'Europe.
La photographe travaille pour l'agence turque DHA, qui a proposé ensuite la série de clichés aux grandes agences internationales (AFP, Reuters et Associated Press). Dans une interview au Monde, Nilufer Demir confie avoir été "très choquée" en découvrant le petit corps sur la plage de Bodrum. "La plage de Ali Hoca Burnu est une plage à l'écart de Bodrum. C'est un endroit d'où partent souvent les migrants, donc avec d'autres photographes, on y va chacun son tour pour voir ce qui se passe. Hier, c'était mon tour... Quand je suis arrivée le matin, vers 6 ou 7 heures, il y avait un groupe de Pakistanais. Je les ai rejoints et nous avons aperçu, un peu plus loin, quelque chose échoué sur la plage. En nous approchant, nous avons vu que c'était le corps d'un enfant", raconte-t-elle.
La jeune femme explique avoir hésité quelques minutes avant d'appuyer sur son appareil. "Je me suis dit que je pouvais témoigner du drame que vivent ces gens. Il fallait que je prenne cette photo. (...) Et aujourd'hui, j'ai un mélange de tristesse et de satisfaction... Je suis contente d'avoir pu montrer cette image à autant de gens, d'avoir témoigné, mais d'un autre côté, je préférerais que ce petit garçon soit encore en vie et que cette image ne fasse pas le tour du monde", déclare-t-elle en reconnaissant ne pas avoir réalisé sur le moment quel serait le retentissement de cette série de clichés, surtout qu'elle avait déjà pris plusieurs photos de migrants morts sur les plages de son pays.
Après avoir raté la photo hier, les quotidiens français se sont largement rattrapés ce matin. Tous évoquent ce vendredi à la Une l'histoire d'Aylan Kurdi. Johan Hufnagel, le numéro 2 de Libération, est revenu hier sur l'absence de cette photo dans son journal. "La réponse est malheureusement simple : nous ne l'avons pas vue. Pour être précis, ceux qui l'ont vue ont eu un mouvement de recul (la première image diffusée par les agences est un gros plan d'Aylan) ou n'ont pas tiré la sonnette d'alarme. Facile a posteriori de saisir combien cette photo bouleversante peut être capable de changer la perception que les Européens, et les Français, ont de ce terrible exode (...)", reconnait le journaliste dans une tribune publiée sur le site du quotidien. "Ne pas avoir été capables de déceler cette photo dans le flux de l'actualité est une erreur", admet-il parlant d'une "image symbole".