Réaction à chaud. Ce mardi, le tribunal de grande instance de Nanterre a décidé de relaxer France 2 et par conséquent son journaliste Tristan Waleckx après la plainte pour diffamation déposée par Vincent Bolloré fin novembre 2016. Celle-ci faisait suite à la diffusion le 7 avril 2016 sur France 2 dans le magazine "Complément d'enquête" d'un sujet s'intéressant au parcours de l'industriel breton. A l'issue de ce procès, le reporter s'est confié à puremedias.com.
Propos recueillis par Florian Guadalupe.
puremedias.com : Êtes-vous soulagé de la décision ?
Tristan Waleckx : On est très content, même si depuis le début de la procédure on est relativement serein, parce qu'on estime avoir dit toute la vérité. On a tous les éléments, tous les témoignages qui prouvent ce qu'on dit dans le reportage. En même temps, je n'ai pas très bien dormi cette nuit, parce qu'on ne sait jamais, il y a peut-être un risque pour qu'on soit condamné.
"Est-ce que le journaliste qui a réalisé ce reportage rigoureusement exact aux yeux de la loi française mérite de faire de la prison ferme ?"
Comment s'est passé le procès ?
On a gagné mais pas un tout petit peu, pas à la 93e. C'était vraiment point par point. La présidente du tribunal a repris point par point toutes les choses que Vincent Bolloré nous reprochait, toute la séquence sur les plantations, sur la présence de mineurs, sur l'absence d'équipements, sur les logements vétustes. Elle a expliqué que tout ça n'était absolument pas diffamatoire. Sur les neuf points qui étaient attaqués, il y en a huit pour lesquels elle a dit qu'elle n'a même pas étudié le sérieux de l'enquête ou nos pièces, parce que ce n'était pas attentatoire à l'honneur. Le neuvième, c'est sur l'histoire de la concession du port de Kribi. Elle a expliqué que non seulement il n'y avait pas d'animosité personnelle, mais qu'il y avait aussi de la prudence de propos, de la recherche de contradictoire et une enquête sérieuse. On était allé retrouver le rapport de la commission d'appel d'offres, un témoin de la commission d'appel d'offres. Pour avoir épluché pas mal d'arrêts de journaliste pour préparer mon procès, je sais que ça arrive très souvent que les journalistes soient relaxés, mais que le tribunal leur fasse aussi la morale. En général, il dit : "Vous y êtes allé un peu fort, vous auriez pu passer un coup de fil". Là, c'est tout le contraire. Là, c'est une raclée. C'est 9-0. Il y a deux ans, on savait quand il nous attaquait qu'on disait la vérité. Néanmoins, on a appris que même si on a toute la vérité, tout est possible quand on a face à nous quelqu'un qui raconte n'importe quoi.
Vous n'en avez pas fini juridiquement avec Vincent Bolloré.
Oui, on sait que ce n'est pas fini. En gros, on a encore deux procédures avec le Tribunal de Commerce et au Cameroun. C'est pareil. Philosophiquement, c'est intéressant. Dans une semaine, on saura si en 2018, en France, un reportage qui est considéré complètement conforme à la réalité, respectant rigoureusement la loi de la presse de 1881, peut valoir à mon employeur 50 millions d'euros de dommages et intérêts, parce que les choses vraies et qui sont reconnues comme étant vraies par un tribunal portent atteinte aux intérêts commerciaux d'une multinationale. Est-ce que le fait de dire la vérité peut donner droit à des préjudices ? Pour l'autre procès, ce n'est pas Bolloré directement, mais la Socapalm, un partenaire très important pour Bolloré. Est-ce que le journaliste qui a réalisé ce reportage rigoureusement exact aux yeux de la loi française mérite de faire de la prison ferme ? Car c'est ça qu'on encourt au Cameroun, pour Delphine Ernotte, Nicolas Poincaré et moi-même. Même si Bolloré n'est pas dirigeant de la Socapalm, il est actionnaire. En fonction de sa réaction, à voir s'il estime qu'on mérite la prison.
"Dans cette histoire, c'est Bolloré qui est en guerre contre France 2, et pas l'inverse. Nous, on ne fait que se défendre"
Avez-vous reçu des pressions ou des menaces ?
Vous faites référence au cambriolage. Sur l'histoire du cambriolage, on est hyper prudent, car ce n'est pas rien. On n'a pas envie d'avoir une quatrième plainte. A part la coïncidence de dates, on a rien qui nous permet de relier ça à Bolloré. Même si, effectivement, le calendrier nous a paru curieux. On n'a rien pour démontrer quoi que ce soit. Depuis, je n'ai rien eu de spécial. Mon témoin camerounais, Emmanuel Elong, qui était venu jusqu'en France, avait eu de gros problèmes. Il avait raconté avoir eu des pressions et qu'on lui a proposé de l'argent en échange de son silence pour qu'il ne témoigne pas à Paris. Lui, pour le coup, on a activé nos leviers pour qu'il soit protégé au Cameroun. Il a été reçu par le ministre de la Justice camerounais. A priori, il va bien aussi.
Que souhaiteriez-vous dire à Vincent Bolloré aujourd'hui ?
Ca aurait été mieux qu'il vienne discuter devant une caméra, pour nous raconter ce qui est faux et diffamatoire. Moi, je vous redis ce que je lui ai dit des dizaines et des dizaines de fois par SMS, mail et message vocal. S'il estime que c'est faux, qu'il n'y a pas de mineurs dans les plantations de Socapalm, qu'ils sont bien équipés, qu'ils sont bien logés, qu'il vienne en discuter. On lui a proposé de parler pendant le reportage. On lui a proposé après le reportage, quand il nous a accusés publiquement d'avoir dit n'importe quoi. On voulait confronter nos arguments. Au lieu de ça, il préfère passer par les tribunaux, sans vraiment y croire. C'est ça que je trouve un peu triste dans cette histoire. Je pense que c'est très bien quand une personne s'estime diffamée qu'elle saisisse un tribunal. Sauf que j'ai l'impression que Vincent Bolloré sait très bien qu'il n'y a rien de diffamatoire. Tout ça, c'est du bluff. Il est obstiné à nous faire perdre du temps, à nous embêter, à nous faire pression, à nous intimider. Il s'en fiche de perdre. Tout ce qu'il veut, c'est faire peur, intimider et empêcher les gens de travailler sur lui. Surtout qu'il est désormais patron de presse, donc il devrait se préoccuper un petit peu de la liberté d'expression en France. Il peut encore changer d'avis. Dans cette histoire, c'est Bolloré qui est en guerre contre France 2, et pas l'inverse. Nous, on ne fait que se défendre. Plusieurs fois on aurait pu le poursuivre en diffamation. On reste droit dans nos bottes.