Alexandre Delpérier : "J'aurais pu gagner beaucoup d'argent en restant à TF1, mais je m'emmerdais"

puremedias.com au rythme de Moscou. A l'occasion de la Coupe du monde de football, qui se déroulera en Russie du 14 juin au 15 juillet, les personnalités de l'univers du ballon rond se confient pendant un mois pour parler du mythique tournoi de football et de leurs actualités à la télévision ou à la radio. Ainsi, Alexandre Delpérier, patron de Yahoo! France a répondu à notre sollicitation.

Propos recueillis par Florian Guadalupe. Entretien réalisé le 3 mai.

puremedias.com : Quel est votre meilleur souvenir d'une Coupe du monde ?
Alexandre Delpérier : J'en ai deux. Comme la majorité des gens, j'ai évidemment le 12 juillet 1998, mais j'ai aussi l'élimination de la France en 1982 avec la remontée des Allemands en Espagne et les larmes de mes camarades d'aujourd'hui : Giresse, Trésor, etc. Je me souviens de ce match-là, j'étais tout jeune chez mes grands-parents. Ma grande-mère pleurait, c'était la première fois de sa vie qu'elle regardait un match de foot. Ce jour-là, j'ai eu un déclic sur le fait que le sport était une façon de réunir les gens et les générations. Ca peut être de belles émotions. Pourtant, là, c'était une défaite.

Quel est le plus mauvais souvenir ?
C'est probablement 2002. On avait une superbe génération. Il y avait eu les victoires de 1998 et 2000. Là, tu ne sors pas des poules. Il y avait une sensation de gâchis. Il y a plein de joueurs que je connais très bien. On se demande ce qu'il se passe humainement. Pourquoi la mayonnaise se délite comme ça ? Pourquoi cette équipe ne fonctionne plus ? Tu te rends compte que le sport, c'est plein de petites choses. Ce n'est pas parce que tu es le meilleur que tu gagnes. Parfois, c'est celui qui a le plus faim, qui a le plus envie et qui est le mieux coaché, qui l'emporte.

Quel joueur a marqué ce début de siècle ?
Je ne vais pas être très original parce que tu as Ronaldo et Messi qui sont au-dessus du lot. Je vais rester un peu dans l'actualité. Moi, je suis assez subjugué par les performances de Mohamed Salah. Quand tu vois comment il a porté Liverpool et qu'il a fait la différence, c'est exceptionnel !

Qui sera la surprise pour cette Coupe du monde en Russie ?
Je n'en ai aucune idée. Je ne veux pas m'amuser à ce jeu-là. Non pas que ça ne me plaît pas, car c'est le genre de questions que j'aime poser. Une fois de plus, c'est onze mecs, au même moment, qui se transcendent. Le parcours de l'Islande au dernier Euro, c'était totalement imprévisible. C'est la magie et la beauté de ce genre de compétitions. C'est ce qu'on attend et qu'on espère, une belle et vraie surprise totale. C'est la magie du petit qu'on retrouve parfois en Coupe de France.

Les Bleus peuvent-ils aller jusqu'au bout ?
Si Deschamps est audacieux, ils peuvent aller jusqu'au bout. Je pense qu'on dispose d'un effectif exceptionnel et de qualité. Ils n'ont pas tous une expérience phénoménale à l'international, mais en club, beaucoup l'ont. Ca doit aider Didier Deschamps et parfois, j'aimerais qu'il fasse sauter quelques verrous. Qu'il soit moins sage et moins dans la sécurité. Qu'il prenne plus de risques ! Il y a des gars qui sont juste des génies. Il a probablement son calendrier et il le maîtrise. C'est un manager fantastique et la mayonnaise peut prendre.

Comment Yahoo! va couvrir cette Coupe du monde ?
Comme lors de la précédente Coupe du monde en 2014 et du dernier Euro en 2016, on va faire en sorte qu'on devienne le deuxième site digital en France, derrière nos camarades de "L'Equipe". On a fait plus de 200 millions de pages vues à l'Euro. Depuis, Yahoo! a été racheté par Verizon. Aujourd'hui, on est de plus en plus axé sur de la vidéo destinée aux téléphones, donc dans un format vertical. On a beaucoup axé notre stratégie de développement là-dessus. On veut faire plus de 250 vidéos, avec beaucoup de motion design (animation graphique, ndlr). On va faire plus de 100 heures de direct. Il y aura à la fois du débat, des revues de presse, des avant-matchs et des retransmissions des conférences et des entraînements. On aura plus de 100 shows de débat, avec Vikash Dhorasoo et Alain Boghossian. On aura nos formats qui marchent très bien comme les dessins de Faro, qu'on diffuse en vidéo chez nous. C'est un format qui cartonne et que les gens aiment beaucoup.

Certains journalistes suivront l'équipe de France ?
Oui, j'aurais une équipe dédiée pour ça, avec notamment Giovanni Castaldi. Depuis le 15 mai, ils suivent partout l'équipe de France et le feront jusqu'à la fin de leur parcours en Russie. On aura aussi un format animé de notation des joueurs. On a préparé de grosses choses pour les 20 ans de 98, avec notamment la présence de Zizou. On va être très occupé. On n'espère qu'une seule chose, c'est que la France aille le plus loin possible et qu'on parlera plus des Bleus que des autres.

Quelle sera votre place dans ce dispositif ?
Je manage et je dirige ces équipes. Je vais gérer à la fois l'activité, la créativité, les angles à trouver et l'énergie de mes petits gars. Il faut aussi qu'ils se reposent et qu'ils soient en forme. Quand on part sur une Coupe du monde, on part à 200 à l'heure. On est comme des joueurs, il faut qu'on soit bon dès le début et qu'on termine en flèche. En présence antenne, je vais juste continuer à animer les émissions de débat. J'aime laisser ma place aux autres et faire émerger des petits jeunes. J'aime donner de l'importance aux consultants.

Selon vous, le web accorde une plus grande liberté de ton que la radio ou la télé ?
Pour moi, le web est un choix. J'ai fait et produit de la télé. J'ai fait et produit de la radio. Quand l'opportunité du digital s'est proposée à moi et qu'on m'a proposé le poste de directeur des sports, avant de devenir le directeur de tous les contenus il y a deux ans, j'ai senti que c'était ici qu'il fallait que j'aille. Moi, j'ai cette capacité de savoir tout produire, tout programmer, tout diffuser et créer des formats sur tous les supports. Pour être passé par RMC, je crois que le style décontracté, il y a très longtemps que je l'ai. Certains me l'ont reproché. Moi je l'assume parfaitement et je ne changerai pas. Si je veux dire "merde" ou "c'est génial", je le dis. Si j'ai envie de crier parce que c'est merveilleux, je le fais. C'est probablement plus approprié au digital.

Est-ce que Yahoo! est un média comme les autres ?
La télé, c'est la télé. La radio, c'est la radio. Le digital, c'est le digital. Nos formats de vidéo sont différents, personne ne les fait. A tel point que les Etats-Unis dupliquent les formats que nous faisons en France. Quand je vois des formats qu'on a créés ici, qui ont fait 6 millions de vues et qui font 80 millions de vues aux Etats-Unis, je souris, je suis heureux et satisfait. Moi, je veux créer, innover, trouver des nouveaux talents et laisser à tout le monde une liberté de ton. Quand j'ai pris Vikash Dhorasso, tout le monde ne m'en disait pas du bien. Maintenant, je me rends compte que tout le monde le veut. Il n'est pas comme les autres. Il crée du débat. Il est sincère et honnête. C'est une personnalité riche.

Quelles sont vos ambitions pour Yahoo! ?
Sur le sport, on veut talonner "L'Equipe" d'ici quelques années. On veut continuer à se différencier et produire des formats inédits. Puis, ce sera de faire du live avec les meilleurs consultants. On a failli avoir quelqu'un de très gros pour la Coupe du monde, qui ne sera finalement pas avec nous, car il a signé pour un énorme club. Je ne peux rien vous dire. Je veux souligner qu'il n'y a pas un seul site qui fait autant de live que nous. On diffuse le dernier multiplex du championnat de France de basket. On est en discussion avec pas mal d'autres sports aussi. On regarde tous les droits qui passent.

Yahoo! est capable de se positionner sur des droits sportifs sur le même modèle que celui de "L'Equipe" ?
On va se positionner sur des droits sportifs. Je ne peux rien vous dire de plus.

Ca représente quoi aujourd'hui le trafic de Yahoo! ?
C'est important de rappeler que Yahoo! a été racheté par Verizon. Verizon a créé Oath, qui veut dire "le serment". Oath, ça représente Yahoo!, AOL, le "Huffington Post" et entre autres TechCrunch. Oath, c'est aujourd'hui 39 millions de visiteurs uniques. J'ai aujourd'hui la chance de gérer tous les programmes, les contenus, l'information et les acquisitions de Oath. Quotidiennement, il y a 14,2 millions de Français qui passent dans les univers de Oath. On a une base phénoménale. Un internaute sur trois passe dans nos tuyaux. A nous de savoir les intéresser, les capter, raconter des histoires, les informer et les divertir. Yahoo! représente 8 millions de pages vues et 3 millions d'utilisateurs de stream par mois. Sur des gros évènements, ce sont des audiences colossales. Le week-end du deuxième tour de la présidentielle, le dimanche et le lundi, on a fait 95 millions de pages vues. C'est phénoménal. Aujourd'hui, les gens passent par Yahoo!.

Yahoo! a également un rôle important d'agrégateur de flux.
On est à la fois créateur de contenus et agrégateur. La nouvelle équipe qui vient d'être mise en place aux Etats-Unis va complètement revoir la front page et faire en sorte qu'elle devienne encore plus performante, avec des choses que je ne peux pas vous divulguer.

Est-ce que votre groupe pourrait un jour bousculer les GAFA ?
Regardez Verizon ! Il est numéro 1 aux Etats-Unis. Verizon a racheté Yahoo! il y a moins d'un an. Dans la foulée, pour plusieurs milliards de dollars, ils ont racheté les droits de la NBA et de la NFL. Ils ont tué le marché américain. Je crois que la réponse est donnée.

Pour revenir sur votre carrière, vous êtes passé par plusieurs médias et plusieurs domaines : le foot, le divertissement, les jeux. Quel a été le domaine dans lequel vous vous êtes le plus épanoui ?
Je suis quelqu'un qui ne planifie pas. Je suis un jouisseur et une éponge. J'ai besoin de prendre du plaisir. J'ai quitté des aventures où je gagnais très bien ma vie en travaillant très peu, mais je m'emmerdais. Je prends l'exemple de "Video Gag", même si je ferais bien de ne pas trop en parler. Néanmoins, on faisait des primes à plus de 11 millions de téléspectateurs. Je gagnais très bien ma vie. J'aurais pu continuer et gagner beaucoup d'argent en restant à TF1. Mais je m'emmerdais. J'ai donc décidé du jour au lendemain de partir, pour me lancer dans d'autres aventures. Moi, je suis comme ça. Je fais selon mes envies et mes opportunités. Je ne reste pas pour l'argent. J'ai besoin d'apprendre. Il y a des gens qui n'ont pas compris pourquoi je suis allé sur Yahoo!. 4 ans après, la réponse est là avec les audiences et le plaisir que je prends à travailler tous les jours. J'ai pris beaucoup de plaisir un moment à RMC et il fallait que je passe à autre chose. Je suis parti à Europe 1. J'ai eu beaucoup de plaisir à C8 à un moment, puis j'en prenais moins. Je suis passé à autre chose. Ca ne veut pas dire que je suis un papillon, mais je pense que si on veut être bon, on doit être à 100% investi. Moi, je ne suis pas un tricheur.

Pourquoi vous ne pouvez pas parler de "Video Gag" ?
Il y a beaucoup de gens qui disent que Delpérier, c'est l'ancien de "Vidéo Gag" et c'est connoté de manière péjorative. Je trouve ça stupide. Je l'assume parfaitement. Si j'ai pu faire plus de dix ans de radio avec des shows en direct, qui ont toujours été leaders quelle que soit la radio où j'étais, c'est aussi parce que je suis passé par la case divertissement. Je savais donner un peu d'empathie, de convivialité et d'interactivité. Pour moi, tout est complémentaire, j'ai présenté les journaux et j'ai fait du jeu.

Vous avez commenté beaucoup de grandes affiches de matchs de football à la télévision. Est-ce que ça vous manque ?
Non, je continue de commenter. J'ai commenté la demi-finale aller de Ligue des champions. Moi, l'antenne ne me manque pas. Ca me fait marrer de faire de temps en temps un poil d'antenne, mais aujourd'hui, je suis plus dans une dynamique où je préfère manager des groupes, gérer des budgets et monter des coups. Ces deux dernières années, j'ai refusé des choses. On a beau me proposer plus d'argent, je m'amuse dans ce que je fais aujourd'hui. Des commentaires, j'en ai fait beaucoup. Je suis content d'en faire de temps en temps. Ce sont des petites parenthèses. Mon avenir, ce n'est pas ça.

Le dernier grand match que vous avez animé à la télévision en prime time, c'est la finale de Ligue des champions en 2016 sur C8. Que s'est-il passé après ?
Je continue à commenter tous les matchs en décalé de Ligue des champions. Vous avez surtout noté qu'il y en avait un, parce que c'était la finale de la Ligue des champions. Thierry Cheleman (directeur des sports du groupe Canal+, ndlr) m'a dit que le groupe Canal voulait faire la promo du crypté sur le clair. A ce moment, tu mets les animateurs du crypté sur le clair. C'est une logique implacable. Comme on s'entend très bien avec Thierry, il m'a même demandé si je voulais faire des choses. J'ai fait un peu de prod' l'an dernier en contre-partie. J'ai fait des programmes autour de la Ligue des champions. Si j'avais insisté, je pense que j'aurais pu continuer à le faire. Aujourd'hui, je réagis plus en manager qu'en défenseur de ma petite cause personnelle.

Mais pourquoi n'avez-vous pas été à la tête d'autres programmes, autres que le sport ?
Parce que je ne veux pas. On m'a proposé des tranches d'info sur des chaînes d'info. Non, je ne veux pas. Aujourd'hui, ma vie, c'est Yahoo! et je compte y rester.

Au lancement de D8, vous étiez à la tête d'un grand jeu d'aventures, "Amazing Race".
En revanche, c'est un vrai regret. Je me souviens l'avoir dit aux dirigeants de Canal+, lors de la grande présentation en fanfare au Louvre, où enfin ils me disaient quand serait programmé "Amazing Race". Quand ils m'ont dit que ce serait le lundi soir, je leur ai dit que c'était une connerie monumentale. Parce qu'un programme familial, il ne se regarde pas un lundi soir. Mes enfants peuvent le regarder le vendredi ou le samedi, mais pas le lundi. On a fait une moyenne - hormis la finale qui a été diffusée un 24 décembre - entre 600.000 et 800.000 téléspectateurs. Quand tu regardes aujourd'hui les audiences, tu te dis que c'était dans la moyenne haute. Il y a eu un deuxième paramètre qui a fait que tout s'est arrêté. J'ai compris les arguments d'Ara Aprikian - à l'époque, il était le patron. C'est au moment du décès sur "Koh-Lanta" et du suicide du docteur derrière. Il m'a dit que ça devenait très dangereux. On n'avait probablement pas évalué les risques et on ne voulait pas en prendre. Donc, l'aventure s'est arrêtée là.

C'est pour cette raison qu'il n'y a pas eu de saison 2 ?
Oui, alors qu'elle était déjà dans les tuyaux et qu'on était déjà en pré-production. J'ai compris la décision. Moi aussi, aujourd'hui, en tant que manager, je ne vais pas faire faire n'importe quoi à mes employés. En revanche, oui, j'ai toujours en travers cette erreur fondamentale de programmation. C'est aussi l'une des choses qui explique que ma carrière aujourd'hui, c'est de décider moi-même de ce que je fais. Je préfère aujourd'hui diriger mes équipes et choisir mes programmes que subir des mauvaises programmations.

Aujourd'hui, vous préférez donc être derrière la caméra que devant ?
Oui derrière. Puis, le journalisme m'amuse plus que le divertissement. Le divertissement a été une formidable école, un passage génial, je ne regrette pas du tout. Mais je m'amuse plus dans le journalisme. Le storytelling est plus intéressant. Trouver des angles, trouver les bons témoignages, avec les bons formats, les bonnes technologies. Je trouve ça très chouette.