puremedias.com au rythme de Moscou. A l'occasion de la Coupe du monde de football en Russie du 14 juin au 15 juillet, les personnalités de l'univers du ballon rond se confient pendant un mois pour parler du mythique tournoi de football et de leur actualité à la télévision ou à la radio. Ainsi, Anne-Laure Bonnet, journaliste à beIN Sports et à "C à vous" sur France 5 a répondu à notre sollicitation.
Propos recueillis par Florian Guadalupe. L'entretien a été réalisé le lundi 14 mai.
puremedias.com : Quel est votre meilleur souvenir d'une Coupe du monde ?
Anne-Laure Bonnet : En 2006, je couvrais la Coupe du monde pour M6. J'étais avec le Brésil. C'était un peu la fête en Allemagne pour les Brésiliens, ils étaient "à la cool". C'était l'une des plus belles équipes du Brésil. Il y avait tout le monde : Kaka, Ronaldo, Ronaldhino, etc. C'étaient des moments fabuleux. Ils m'ont tout de suite fait me sentir comme l'une des leurs. Pour moi, c'était une Coupe du monde extraordinaire.
"J'aimerais que le joueur de cette Coupe du monde, ce soit Marcelo"
Quel est le plus mauvais souvenir ?
C'était la défaite 7 à 1 des Brésiliens contre les Allemands à Bello Horizonte lors de la Coupe du monde 2014. Là aussi, je suivais le Brésil. Aujourd'hui encore, je ne sais pas ce qu'il s'est passé. C'était très étrange. Après, ce n'était pas dur à vivre. Les Brésiliens ont été extrêmement dignes à l'issue du match. Ils se sont tous exprimés. Eux non plus ne comprenaient pas. C'était un moment historique. Je leur souhaite que ça ne leur arrive plus jamais.
Quel joueur a marqué ce début de siècle ?
Messi. Parce qu'il a un talent qu'on ne voit chez personne d'autre. Je suis pourtant très Cristiano Ronaldo en termes de personnalité. C'est quelqu'un que j'apprécie parce que j'ai eu la possibilité de le suivre depuis ses débuts à Manchester United. Mais en termes de jeu et en termes de créativité, c'est Messi. On a eu la chance de le voir évoluer. Il vieillit mais pour ce début du siècle, c'est lui.
Qui sera la surprise pour cette Coupe du monde en Russie ?
Le problème d'une surprise, c'est qu'il faut vraiment que ce soit quelqu'un d'inattendu. J'aimerais que le joueur de cette Coupe du monde, ce soit Marcelo. Mais ce n'est pas vraiment une surprise, on le connaît un tout petit peu. Qui est-ce qu'on va pouvoir sortir de derrière les fagots ? Le Pérou ! C'est peut-être géographique. Ils sont là-bas, derrière la Cordillère des Andes. On ne les connaît pas trop. Ils ont un caractère absolument extraordinaire. Je me souviens du match nul contre l'Argentine pendant les éliminatoires. En termes de caractère, je pense que ça peut être eux la surprise.
Les Bleus peuvent-ils aller jusqu'au bout ?
Oui. Moi, je vais suivre le Brésil, donc je les attends pour la demi-finale.
"Je sais que c'est plus prestigieux d'être en plateau. J'en ai bien conscience"
Comment allez-vous aborder cette Coupe du monde sur beIN Sports ?
J'ai commencé il y a un an et demi à apprendre le russe. Pour moi, la Coupe du monde a vraiment commencé depuis l'annonce de la sélection des joueurs du Brésil. J'ai pu alors commencer à travailler. Après, ce n'est pas quelque chose que l'on travaille un mois avant la fin de la Coupe du monde.
Quelle sera précisément votre place dans ce dispositif ?
Je vais suivre le parcours du Brésil. Je vais d'abord faire le match d'ouverture à Moscou. Puis, je serai à Sotchi pour rejoindre l'équipe brésilienne. Je collerai aux basques des Brésiliens jusqu'à la finale à Moscou, qui sait ?
Pour un journaliste sportif, c'est le graal de suivre une Coupe du monde ?
C'est extraordinaire. Je n'ai jamais fait de Jeux olympiques, donc je ne sais pas ce que c'est. Mais j'ai fait une saison complète de Formule 1 et l'Euro de football. En termes d'événement, la Coupe du monde est ce qu'il y a de plus grand. Rien que dans son nom, parce que c'est le monde. C'est le rêve de tout le monde. Pour un journaliste qui couvre le sport, c'est ce qu'il y a de plus beau.
Vous préférez ce statut de journaliste de terrain à celui de plateau ?
J'aime être avec les gens. Si j'ai appris le russe, ce n'est pas pour parler avec les joueurs de l'équipe de Russe, il y a peu de chance qu'ils passionnent le public français. C'est pour parler avec les gens là-bas. Je sais que c'est plus prestigieux d'être en plateau. J'en ai bien conscience. Pour le téléspectateur, la star c'est la personne qui est en plateau. Mais moi je suis plus heureuse avec les gens. Je veux faire plein de choses pour faire découvrir la Russie aux gens, avec mon russe de contrebande. On va rigoler. On va montrer un visage différent du pays. On va s'éloigner aussi un petit peu du foot.
"Il y a certains joueurs brésiliens du PSG qui ont découvert il y a trois mois que je n'étais pas brésilienne"
Être polyglotte, c'est indispensable pour un journaliste sportif ?
Si c'était indispensable, on serait plus nombreux (rires). Visiblement, ça ne l'est pas. Mais en tout cas, c'est utile parce que ça crée des liens différents. Il y a certains joueurs brésiliens du PSG qui me connaissent depuis que je suis rentrée en France - ça doit faire cinq ans bientôt -, qui ont découvert il y a trois mois que je n'étais pas brésilienne. Il y a quelque chose qui passe plus facilement quand on parle la même langue que quand on se force à parler anglais.
Vous avez le sentiment que c'est ce qui vous démarque des autres journalistes ?
C'est ce qui a toujours fait ma différence. Si je suis partie vivre en Italie pour travailler pour Sky Sport (chaîne de sport italienne, ndlr), c'est parce que je parlais italien. On a tous quelque chose d'un petit peu particulier et je suis persuadée que si je n'étais pas polyglotte, je ne ferais pas ce métier.
C'est aussi un bon passeport pour se rendre dans de nombreux pays en Europe et participer aux dispositifs des matchs de la Ligue des champions.
Exactement. L'UEFA a une liste des journalistes avec les langues parlées. A Madrid, lors de la demi-finale, je suis tombée sur cette liste, parce que nous demandions à interviewer les joueurs. Il y avait tous les noms des journalistes avec les langues à côté. Moi, à la place des langues, il y avait écrit "Anne-Laure" (rires). Je leur ai dit que "Anne-Laure", ce n'était pas une langue. Ca m'a tellement fait rire. Après, quand on se déplace, ils savent qu'on a plus envie d'avoir les joueurs français. Sur le Classico, j'avais plus envie de parler à Umtiti qu'avec un autre joueur du Barça. C'est normal.
"Les gros mots utilisés par Buffon à la télévision italienne et dans la zone mixte, bizarrement, je ne l'imagine pas les utiliser à mon micro"
Comment sort-on des questions très traditionnelles que l'on pose aux joueurs ?
Les stars, ce sont les joueurs, le match et l'enjeu du match. Il faut s'appuyer sur ça. Moi, dans mon canapé, je n'ai pas envie d'entendre "l'important, c'est les trois points" ou "on prend les matchs les uns après les autres". Ca, franchement, j'ai le sentiment que les joueurs ont fait beaucoup de progrès dessus. On l'entend de moins en moins... Je crois que je suis ronde dans mes questions, même si c'est piquant parfois, je n'ai pas d'agressivité. Ils ont tendance à s'exprimer. Il faut aussi leur laisser le micro, ne pas les arrêter quand ils parlent. Je pense notamment à Buffon après l'élimination de la Juventus. Je devais lui laisser le micro. Même quand il y a une respiration, il faut laisser le temps de parler. Si on n'enchaîne pas, si le micro reste là, il va continuer.
C'était votre séquence télé qui vous a le plus marqué cette saison ?
Oui. Parce que j'ai vu le moment où on aurait pu pleurer tous les deux (rires). A la fin de l'interview, la chargée de production qui était dans le car a cru que j'allais me mettre à pleurer. Buffon a annoncé à notre micro qu'il arrêtait sa carrière européenne, et dans certaines conditions... C'est peut-être le hasard des choses. Mais la position des chaînes italiennes était occupée quand il est arrivé pour les interviews d'après-matchs. Moi, c'est un peu la famille, l'Italie, forcément après mes années à Sky. Il me regarde, je lui dis de venir quand il le voulait car nous étions libres. Sa première prise de parole officielle était à notre micro. Sur les interviews qui ont suivi, il a mis beaucoup d'agressivité. Chez nous, il était désespéré. Pour moi, c'est un personnage particulier. J'ai travaillé avec son épouse. C'est quelqu'un que je connais dans la vie normale. Sans doute que ça aide. Ca a aidé dans la confidence. Les gros mots qu'il a utilisés à la télévision italienne et dans la zone mixte, bizarrement, je ne l'imagine pas les utiliser à mon micro. Il a détruit l'arbitre. Je me suis dit : "Pourquoi ? Pas toi !" C'était tout le désespoir d'un homme qui termine sa carrière comme ça.
"Je suis contente de voir que quand on vient me remplacer, on se rend compte que c'est difficile"
Vous êtes une journaliste de terrain, mais vous animez aussi une émission sur beIN Sports, "Club Europe". Quel bilan tirez-vous de cette première saison ?
J'ai passé une saison extraordinaire. Je me suis régalée. "Club Europe" était un peu une découverte. Personne dans la chaîne ne fait une émission seule, comme ça en plateau, pendant une heure, avec plein d'images. J'ai eu du mal au début, c'était très compliqué. C'était un exercice particulier. Je suis contente de voir que quand on vient me remplacer, on se rend compte que c'est difficile. Je suis contente d'avoir relevé le défi. Ce n'était pas gagné au début.
Vous avez également rejoint l'équipe de "C à vous". Comment s'est passée cette intégration sur France 5 ?
Quand une équipe est dirigée par Anne-Elisabeth Lemoine, pour que ça se passe mal, il faut vraiment être bizarre (rires). J'ai rencontré des gens extraordinaires. J'ai eu l'impression d'arriver dans une famille. La deuxième fois que j'ai participé, j'avais le sentiment de travailler avec eux depuis des années. Tout est bien organisé, tout est précis. C'est une autre façon de travailler. C'est du clair. C'est une émission généraliste, donc, il a fallu que j'adapte mon discours. Je ne peux pas parler aux abonnés de beIN Sports, qui sont des passionnés de foot, comme on parle au public de "C à vous".
Comment analysez-vous le succès cette saison de "C à vous" et d'Anne-Elisabeth Lemoine ?
C'est impossible de ne pas aimer Anne-Elisabeth Lemoine. Ce qu'on voit à l'antenne, c'est ce qu'elle est. Elle ne fait pas semblant. Elle a toujours le mot juste. Je ne saisis pas bien l'étiquette, qui lui collait, de la fille rigolote, tout ça. Elle est ultra cultivée. Elle a quelque chose que j'adore et que j'aimerais lui piquer, c'est cette bienveillance et cette empathie. Ensuite, l'équipe est bien rodée. Le producteur Pierre-Antoine Capton sait faire son travail. C'est sans doute l'un des meilleurs.
"Le jour où les réseaux sociaux agiront pour qu'on arrête ces attaques sexistes, vulgaires, sales, ce sera un grand pas en avant"
En mars dernier, l'équipe de "C à vous" avait pris votre défense à la suite de messages misogynes sur les réseaux sociaux. A l'heure de Twitter, est-ce plus difficile d'être une femme pour parler de football ?
Ce n'est pas plus difficile. On nous attaque sur des choses sur lesquelles il ne faut pas nous attaquer. Quand j'interviewe un joueur à la fin du match, je ne l'interviewe pas parce qu'il est beau ou qu'il est gentil ou que je l'aime bien. Je fais exactement le même choix que mes collègues hommes. Je choisis la personne qui est selon moi la plus adaptée . Après, on ne va pas se mentir, des adolescents pré-pubères, derrière leurs écrans, on ne devrait pas leur donner toute cette importance. Ce sont souvent ces gens-là. Venez avec moi, une semaine dans la rue, vous allez voir les commentaires des gens. Ce n'est pas "T'es une gonzesse qui ne comprend rien". En même temps, le jour où les réseaux sociaux agiront pour qu'on arrête ces attaques sexistes, vulgaires, sales, ce sera un grand pas en avant. Je pense en fait qu'il n'y a rien à faire.
Vous n'avez pas envisagé d'arrêter Twitter ?
Non, parce que pour moi, c'est une source de communication et d'information importante. Ce que j'ai arrêté, ce sont les notifications. Je ne sais pas ce qu'on dit de moi. Je le vis très bien. Je le vis même beaucoup mieux. Ce qui est dommage, c'est qu'il y a des gens tellement gentils. J'aimerais effectivement pouvoir sortir les gentils des méchants pour pouvoir communiquer un petit peu avec les gentils. Ce n'est pas jouable, ce n'est pas possible. Je me protège, moi, avant tout. Quitter Twitter à cause d'anonymes ? Qu'ils s'achètent une vie !
En préparant cette interview, j'ai tapé votre nom sur Google et je suis tombé sur des articles évoquant vos relations avec les hommes issus du milieu sportif. Est-ce que les médias n'ont pas un rôle dans l'image que l'on se fait des journalistes femmes ?
Parce que c'est la question que tout le monde nous pose. C'est une discussion qu'on a tout le temps. Pourquoi toujours me ramener au fait que je suis une femme ? Pourquoi ne pas s'arrêter au fait que je suis journaliste ? Est-ce que c'est compliqué pour un homme d'être journaliste dans le foot ? Je trouve que cette question vaut la peine. Parce qu'il y a des journalistes qui sont des footeux ratés, et du coup, ça les rend aigris. Moi, je ne suis pas une footeuse ratée. Je n'ai jamais voulu jouer au foot. Donc, parfois, j'aimerais bien poser la question à certains : "Ce n'est pas trop dur d'être un homme dans ce milieu ?"
"L'avenir sera plus doux parce que je serai chez moi un petit peu plus souvent. Je vais arrêter de vivre avec ma valise"
L'année prochaine, beIN Sports n'aura plus les droits de la Ligue des champions et de la Ligue Europa. Dans un tweet début mai, vous remerciez Sky Sport et beIN Sports pour "ces 9 belles années de Ligue des champions" et vous disiez espérer "que l'avenir sera doux" avec vous. Qu'est-ce que ça signifie ?
Il y a un mois, j'ai discuté avec mon directeur pour préparer la grille de l'année prochaine. L'avenir sera plus doux parce que je serai chez moi un petit plus souvent. Je vais arrêter de vivre avec ma valise. On va améliorer le fond éditorial de "Club Europe". C'est quelque chose qui me tient à coeur. J'ai une équipe autour de moi qui est juste extraordinaire. Ca va me permettre d'être encore plus dans le fond éditorial.
Vous pourriez aller dans le débat ?
Non, on ne va pas faire de talk. On a les droits, on a les images. On ne va pas montrer la tête de quelqu'un. Déjà, moi, j'ai le mot d'ordre que mes plateaux soient le plus court possible et qu'on me voit le moins possible pour que l'on puisse voir le maximum d'images. On a quand même la chance inouïe d'avoir des milliers de droits. Non, je ne fais pas de talk. Je trouverais ça étrange. Puis, il est tard quand on fait "Club Europe". Il faut que nos téléspectateurs voient tous les buts et aillent ensuite dormir. Donc, il n'y aura pas de consultants avec moi, il n'y aura pas de talk.
On vous retrouvera donc la saison prochaine sur beIN Sports. Allez-vous continuer dans "C à vous" ?
Tout ça, on va voir.
Le mardi 29 mai, vous allez présenter avec Nagui un prime time événementiel sur France 2 sur la Coupe du monde. Ce sera nouveau pour vous le divertissement.
Je le vis un petit peu comme mon arrivée dans "C à vous". Je suis accompagnée par une équipe extraordinaire. Nagui est bienveillant. Il a envie que ça se passe bien, donc il fait tout pour que les choses se passent bien. Il est entouré d'une équipe ultra-efficace. Il est tellement rôdé à l'exercice que j'ai l'impression d'arriver et de mettre des petites pantoufles. Forcément, j'appréhende un petit peu. C'est un nouvel exercice. Mais je serai entre de bonnes mains.
Vous aimeriez vous orienter un jour vers du divertissement ?
A priori, ce n'est pas quelque chose que je sais faire. Donc, il faudrait que j'apprenne.