Partenariat. Incontournable moment de la vie politique et médiatique d'une démocratie, le débat télévisé entre les candidats qualifiés au deuxième tour de l'élection présidentielle marque toujours les esprits, si ce n'est l'histoire. Le 5 mai 1981, celui qui a opposé le président sortant Valéry Giscard d'Estaing à son futur successeur, François Mitterrand, ne déroge pas à la règle : quelques répliques sont restées dans la mémoire collective et ressurgissent régulièrement dans les best-of des politiques. Avec le recul, la plupart des observateurs de cette élection affirment que les saillies de François Mitterrand ont fait basculer le deuxième tour, serré, en sa faveur.
Après une campagne acharnée, cette émission télévisée ne sera pas le lieu de grandes promesses mais l'affirmation d'un candidat au détriment d'un autre. Animé avec sérieux par Jean Boissonnat, alors journaliste à "L'Expansion" et chroniqueur à Europe 1, et par Michèle Cotta, journaliste à RTL, le débat, long de près de 2 heures 20 dans sa version intégrale, est découpé en trois parties : politique intérieure, vie quotidienne et économique, politique extérieure. Le tirage au sort ayant donné le dernier mot à François Mitterrand, c'est Valéry Giscard d'Estaing qui prend la parole le premier. Interrogé d'entrée sur sa mésentente notoire avec Jacques Chirac et ses difficultés à rassembler la droite, le président sortant manipule ses fiches, bafouille. "On ne consacre pas de temps au passé, il est derrière nous", annonce-t-il en espérant passer vite à autre chose. Sa nervosité est palpable. En face de lui, François Mitterrand garde un calme olympien : "Je voudrais simplement qu'on m'explique. Son raisonnement ne tourne-t-il pas dans le vide ?".
Dès qu'il a le micro, le candidat socialiste enfonce son adversaire et va même jusqu'à citer des propos peu flatteurs de Jacques Chirac pour pousser VGE dans ses retranchements : "Pour peu que vous soyez élu... vous n'avez pas de majorité", scande-t-il. La conversation reste bloquée sur ce point pendant les 30 premières minutes du débat. Les punchlines s'enchaînent : "Vous avez tendance à reprendre le refrain d'il y a sept ans : l'homme du passé. C'est quand même ennuyeux que, dans l'intervalle, vous soyez devenu, vous, l'homme du passif", assène-t-il, dans une formule quasi publicitaire qui passera à la postérité.
Bien préparé et en confiance, François Mitterrand rétorque du tac-au-tac, avec panache, dès que Valéry Giscard d'Estaing le presse de préciser ses réponses : "Ça fait beaucoup de questions à la fois..." ou encore "Je n'aime pas beaucoup ces manières ! Je ne suis pas votre élève et vous n'êtes pas le président de la République ici, vous êtes simplement mon contradicteur". Cette autre réplique restée célèbre sera reprise sept ans plus tard lors du débat présidentiel par un Jacques Chirac téméraire : "Je ne suis pas le Premier ministre et vous n'êtes pas le président de la République. Nous sommes deux candidats, à égalité". Ce à quoi répondra Mitterrand : "Vous avez tout à fait raison, monsieur le Premier ministre !".
Après deux heures d'échanges tendus et leurs différences politiques réaffirmées, chaque candidat dispose de 5 minutes pour conclure dans une adresse au spectateur. Si l'expression de Valéry Giscard d'Estaing a retrouvé un certain dynamisme pendant la deuxième partie du débat, sa prise de parole finale reste très technique et se termine par un aveu prémonitoire à propos de François Mitterrand : "Il y a quelque chose qui joue pour lui, c'est le goût du changement des Français. Ce goût existe et dans le passé d'ailleurs il nous a joué beaucoup de mauvais tours parce qu'on croit toujours que ce qui sera nouveau sera meilleur". A l'inverse, François Mitterrand clôt l'émission en relevant les sujets qui n'ont pas été abordés, du tiers-monde aux droits des femmes, allant même jusqu'à prophétiser : "Faut-il parler de l'informatique et de la menace qu'elle fait peser par exemple sur de nombreuses entreprises de presse écrite, dans la mesure où un pouvoir central ou un gouvernement pourrait se substituer aux entreprises de presse ?". Si cette remarque est anecdotique, elle révèle toutefois que celui qui allait devenir président une semaine plus tard anticipait bel et bien les révolutions des années 80.
Vous aimerez aussi :
https://madelen.ina.fr/programme/mitterrand-du-verbe-a-limage
https://madelen.ina.fr/programme/francois-mitterrand-albums-de-familles
https://madelen.ina.fr/programme/francois-mitterrand-esquisse-dune-ebauche