Partenariat. 27 septembre 1975. La jeune chaîne FR3, pour "France Régions 3", diffuse le premier magazine audiovisuel consacré à la mer : "Thalassa". A la manoeuvre : Georges Pernoud, un jeune cameraman formé à l'ORTF qui n'a pas 30 ans. "En 1975, je n'avais aucune idée de ce que ça pouvait durer", se remémore-t-il, quatre décennies plus tard, dans un documentaire de Simon Thisse baptisé "Il était une fois Thalassa", disponible sur la plateforme SVOD de l'INA, madelen.
Pendant quatre décennies et à travers près de 1.700 numéros, cet autodidacte "fou de l'image" a fait voyager des millions de téléspectateurs. "La mer est un moteur de rêves", aimait à répéter Georges Pernoud, né sur la rive Sud de la Méditerranée, à Rabat, en 1947. A 21 ans, après des études chaotiques - il n'a pas le bac -, Georges Pernoud devient pigiste caméra à l'ORTF et trouve enfin sa voie. Nous sommes à l'orée de 1968 que notre futur animateur de "Thalassa" filmera sous tous les angles, avant de rendre compte de grands évènements partout dans le monde, des inondations au Bangladesh en passant par une interview de Yasser Arafat, le leader du mouvement palestinien.
Parti en 1972 en reportage avec Haroun Tazieff, Georges Pernoud revient du Nyiragongo, l'un des volcans les plus dangereux du monde, avec ce choc de la nature qu'il a figé sur pellicule. L'idée de "Thalassa" est en train de naître. Le déclic définitif intervient l'année suivante, lorsqu'il se retrouve cameraman sur un bateau faisant le tour du monde à la voile en équipage. Embarqué sur un deux-mâts de 18 mètres baptisé "33 Export" comme la bière, le terrien se déleste dans la douleur de son mal de mer et découvre sur le tard un univers qui le marque de manière indélébile. "Je sens des gens pertinemment passionnés", relate-t-il.
Exalté par cette expérience totale, Georges Pernoud s'attelle à la création d'un magazine audiovisuel qui parlerait de la mer. Le nom "Thalassa", qui signifie "mer" ou "océan" en grec ancien, lui est soufflé par son père. Il servira à convaincre le patron des programmes de FR3 de l'époque, Maurice Cazeneuve, un helléniste distingué lui aussi. Une seule règle sera imposée d'entrée de jeu : parler à tout le monde, vieux corsaire comme marin d'eau douce !
Exit ainsi le langage marin totalement hermétique pour le commun des mortels. Le 27 septembre 1975, le premier numéro de "Thalassa" est diffusé à 20h sur FR3. Il dure 30 minutes seulement, n'est pas incarné et est proposé une fois par mois. Le premier générique n'est pas celui que tout le monde a en tête puisque Georges Pernoud avait repris pour l'occasion des images d'un croiseur fendant les flots filmées par le célèbre réalisateur Pierre Schoendoerffer. Dès ce premier numéro, ce qu'on appelle encore rarement l'écologie est déjà au menu, avec le développement des plongées en eaux profondes censées permettre l'exploitation offshore du pétrole en Norvège.
En 1980, la carrière de Georges Pernoud prend un tournant décisif puisque "Thalassa" est désormais programmé chaque semaine. Après avoir échoué à recruter une tête d'affiche, Jean-Marie Cavada, le patron de FR3 de l'époque se résout à tenter la carte Pernoud à l'animation. Le 4 janvier 1980, à 20h, c'est le grand saut dans le vide pour l'ex-cameraman qui a "la trouille". Une trouille qu'il gardera jusqu'à la fin de sa carrière. Neuf ans plus tard, doté de son désormais célèbre générique, "Thalassa" s'installe à 20h30, le prime time, l'heure la plus regardée du PAF. Une consécration.
Grâce à ses belles images et ses belles histoires, le magazine fera le plein de téléspectateurs pendant une quinzaine d'années. "Thalassa" fait ainsi la part belle aux récits extraordinaires de gens ordinaires, du lointain comme du proche. "Thalassa" part chaque semaine à la rencontre des femmes et des hommes qui vivent de la mer, la préservent, l'explorent ou la rêvent. Le magazine offre des rencontres étonnantes, à l'image d'Ernestine, une Bretonne de 80 ans qui part pêcher chaque matin par tous les temps, la palourde dans le Golfe du Morbihan.
"Thalassa" est aussi un magazine informant les téléspectateurs des catastrophes écologiques provoquées par l'Homme. Dès 1978, trois ans seulement après sa création, "Thalassa" couvre le terrible naufrage du pétrolier Amoco Cadiz au large du Finistère. En 1990, les équipes du magazine témoignent aussi de la disparition de la mer d'Aral en Asie centrale. "On n'est jamais allé sur le terrain du militantisme. On a simplement informé les gens", précise Georges Pernoud.
Il n'empêche. En près de 40 ans aux commandes du magazine, Georges Pernoud, décédé aujourd'hui, aura profondément marqué les Français par sa simplicité et son humanité. A beaucoup, il aura aussi donné le goût de la mer et de l'aventure. "Thalassa, c'est l'histoire d'une amitié avec les téléspectateurs", résumait celui qui a prononcé son dernier "Bon vent" iconique un soir de juin 2017 sur France 3.
=> Le doc "Il était une fois Thalassa" et de nombreux reportages du magazine de la mer sont à retrouver sur madelen.