Après un été radieux grâce au Tour de France et aux Jeux Olympiques, retour aux réalités pour France Télévisions. Le groupe public doit faire face à de nombreux défis, alors que ses ressources financières seront une nouvelle fois en baisse en 2012. Rémy Pflimlin, actuel président de France Télévisions, va négocier un nouveau contrat d'objectifs et de moyens avec l'Etat et discuter de l'avenir de France 3. Entretien.
Propos recueillis par Julien Bellver et Julien Lalande
puremedias : Quel cap avez-vous fixé à vos équipes pour les programmes du groupe en cette rentrée 2012/2013 ?
Rémy Pflimlin : La singularité du service public doit être marquée plus que jamais. En termes d'offre, comme la création et les magazines d'information. Mais aussi autour d'événements particuliers pour faire émerger le service public. Notre différence doit se voir ! Le deuxième axe, c'est la complémentarité de l'offre avec la différenciation des chaînes, qui doivent avoir des positionnements complémentaires. On ne doit pas faire des succès d'audience à tout prix, ce n'est pas l'objectif ni le cadre de notre action. Troisième axe, c'est ce que j'appelle la modernité, être dans le coup. Nous devons continuer à développer tout ce qui est autour du numérique. Lorsque je suis arrivé, j'ai expliqué qu'il ne devait pas être en marge mais au coeur de notre développement. Nous devons enfin préserver le lien intime entre la population qui n'est pas une cible publicitaire et nos chaînes, avec des marqueurs qui créent le lien fort comme "Thalassa" sur France 3 ou Patrick Sébastien sur France 2.
Le virage amorcé sur le numérique, grâce à Bruno Patino, est-il une manière de faire barrage à Google et à la télé connectée, qui effraie beaucoup de grands patrons de chaînes ?
Non, ce n'est pas d'un barrage dont il s'agit. Nous devons répondre aux défis de la télé connectée. Première chose, l'offre infinie. Dans ce cadre, les marques de nos chaînes, différenciantes et porteuses de valeurs, peuvent être un vecteur de préconisation forte. La deuxième chose, c'est l'enrichissement de nos programmes, comme on le fait dans "C dans l'air", l'Eurovision ou encore Roland Garros. La télévision connectée est un outil sur lequel nous devons nous appuyer pour mieux atteindre nos objectifs.
Vous êtes un homme plutôt discret mais depuis la rentrée, on vous voit beaucoup dans les médias. Avez-vous besoin de justifier votre bilan à mi-mandat auprès de la nouvelle majorité ?
Je suis un chef d'entreprise, je ne suis pas un show man ! Il ne faut pas occuper en permanence les médias. L'entreprise a eu des succès importants et rencontre des défis importants. La communication, ça sert à ça. La rentrée des chaînes est un moment particulier et je voulais notamment la marquer des valeurs indiquées précédemment. C'est aussi un moment important pour l'entreprise, elle va passer un cap important avec l'accord social de fin d'année. L'équation économique est difficile, c'est normal que je prenne la parole pour l'expliquer.
On vous a souvent reproché d'être un mauvais communicant...
Il faut probablement que je communique non pas plus souvent mais dans des séquences plus fortes pour être entendu. On est dans un tel univers de bruit médiatique que parfois je peux être inaudible. Actuellement, c'est un moment fort. Mais la surmédiatisation d'un chef d'entreprise ne sert pas forcément l'entreprise, on l'a vu par le passé dans d'autres grandes entreprises.
La précédente loi audiovisuelle avait deux objectifs. Libérer le service public du diktat de l'audience et garantir son indépendance financière. Ces deux objectifs n'ont pas été remplis, des émissions ont été supprimées faute d'audience et France Télévisions va percevoir moins de ressources que prévu. C'était une mauvaise réforme ?
Non. Si nous n'étions pas libérés du diktat de l'audience, nous n'aurions pas diffusé plus de 100 heures de spectacle vivant inédits cet été ! Nous n'aurions pas non plus une politique de documentaire aussi audacieuse. Nous n'aurions pas non plus développé des magazines d'histoire. Plus que jamais, par les choix que nous faisons, on voit bien que nous sommes libérés de la pression de l'audience.
Vous avez pourtant supprimé des émissions comme "Semaine Critique" de Franz-Olivier Giesbert sur le critère de l'audience...
Non. Pourquoi la chaîne a arrêté cette émission ? Parce que je considère que le cadre de l'émission culturelle était marqué par une espèce d'habitude de la télévision française qui était de se mettre autour d'une table avec des livres où on invite des hommes politiques. Ce que je souhaite, c'est que nous fassions certes appel à des témoins mais on ne doit pas parler que du livre. Il faut parler théâtre, expositions, spectacle vivant, avec des images ! C'est la raison pour laquelle nous avons arrêté. Notre volonté : donner envie aux téléspectateurs de sortir de chez eux. On a essayé avec Elizabeth Tchoungui dans une formule qui sera revue cette année avec plus d'images incarnée par Aïda Touihri.
Une émission qui correspond à ce cahier des charges qui ne fait pas plus de 5% de parts de marché peut-elle rester à l'antenne ?
Elle peut rester à l'antenne si elle progresse. Il faut laisser le temps qu'il faut à une émission de qualité.
La fameuse taxe télécom qui risque d'être retoquée par Bruxelles met-elle en péril le financement de France Télévisions ?
La taxe télécom a été créée pour permettre un équilibre du budget de l'Etat. Mais cette taxe télécom n'est pas affectée à France Télévisions, ça ne marche pas comme ça. La Commission Européenne a dit que le financement mixte de l'audiovisuel public ne contrevenait pas aux règles. Ce que dit aujourd'hui Bruxelles, c'est "Vous pouvez financer l'audiovisuel public". Parallèlement, la Commission dit que cette taxe télécom est indue. Mais cela n'a rien à voir avec France télévisions, c'est dissocié ! Cette taxe risque d'être annulée mais en aucun cas parce qu'elle sert France Télévisions, elle sert le budget de l'Etat.
Pour caricaturer, c'est à l'Etat de se débrouiller pour la compenser ?
Voilà ! A partir du moment où il y a un engagement pour verser 450 millions d'euros, l'Etat doit verser 450. A partir du moment où l'Etat a des problèmes de budget considérables, l'Etat dit qu'il faut faire des économies. La vision qu'on avait de cette loi qui disait "une ressource stable, pérenne et dynamique" butte contre la contrainte budgétaire globale.
Nicolas Sarkozy avait en effet assuré à l'époque garantir le financement de France Télévisions grâce à cette loi...
Je regrette cette insécurité budgétaire. Elle est causée par le fait qu'une partie de notre financement (la compensation de l'arrêt de la publicité entre 20h et 6h, NDLR) est inscrite dans le budget de l'Etat, mais qu'elle n'est ni sanctuarisée, ni garantie, contrairement à ce que laissait entendre le texte.
C'est une des conséquences de cette loi ?
Je ne sais pas si la loi est en cause, mais il y a effectivement un problème sur l'application ou sur les conséquences de la loi, très clairement.
Faut-il augmenter la redevance ?
Je ne me prononce pas là-dessus. Mais c'est le financement le plus pérenne et qui garantit l'indépendance de la société.
Il y a plusieurs voix discordantes dans le gouvernement autour de la réintroduction de la publicité sur France Télévisions après 20 Heures. Que vous a dit votre ministre de tutelle ?
La ministre de la Culture et de la communication a dit très clairement qu'il n'y aurait pas de publicité après 20 heures en 2013.
Vous êtes donc sûr que la publicité ne sera pas de retour après 20 heures ?
Non. Le Premier ministre et la ministre de la Culture ont dit que ce n'était pas d'actualité en 2013. La nouvelle loi sur l'audiovisuelle, qui est censée être votée en 2013 si j'en crois ce que j'ai entendu, peut-être promulguée très tard. En fonction des objectifs fixés, la réflexion du gouvernement et du Parlement pourrait peut-être évoluer pour les années suivantes.
Certains Français, certains parlementaires, critiquent régulièrement les coûts de fonctionnement de France Télévisions. Nicolas de Tavernost, le patron du groupe M6, vous suggère de réduire vos coûts.
Nous faisons en permanence des économies, cette année encore. 2011 est une année où nous avons eu 30 millions de recettes globales de moins que 2010. Nous avons pourtant équilibré nos comptes (avec près de 6 millions d'euros de bénéfices en 2011, NDLR) ce qui prouve bien que nous avons fait des économies.
Les économies, c'est aussi la réduction des effectifs de 5% d'ici 2015 que prévoit le contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions ?
Cette réduction de 5% est la conséquence de la fusion des entreprises que nous sommes en train de faire, un travail compliqué et difficile. L'idée est d'avoir des services communs, rassemblés et efficaces, au service d'antennes qui elles sont complémentaires.
Depuis quelques semaines, on entend beaucoup parler d'une réforme en profondeur de France 3. C'est en réalité un vieux serpent de mer...
Vu de Paris, il est pas anormal qu'on se dise que France 3, c'est la chaîne la plus onéreuse, la plus compliquée et celle qui emploie le plus de salariés et qu'elle a donc besoin d'être réformée. Cette chaîne est très particulière, c'est 28.000 heures de programmes environ avec plus de 100 JT par jour. France 3 a un coût de grille important (850 millions d'euros en 2012, NDLR) qui correspond à ces 28.000 heures mais la structure de la chaîne correspond à une époque où il y avait seulement cinq à six chaînes hertziennes. Dans le monde actuel, il n'est pas anormal qu'on réfléchisse au modèle actuel de France 3. Doit-il évoluer ? Si oui, vers lequel ? Est-ce qu'on doit aller vers le modèle américain ou allemand, c'est-à-dire la syndication ?
La syndication, c'est la solution qui a votre préférence ?
C'est une des solutions. La syndication, ce sont des chaînes qui sont installées régionalement, qui ont leurs propres programmes mais qui ont aussi des plages communes, l'information nationale par exemple. J'ai des idées assez précises sur ce projet, mais je préfère les réserver à la ministre.
Vous serez le réformateur de France 3 ?
C'est une chaîne que j'ai dirigé durant sept années. Je crois que France 3 a un rôle fondamental à jouer. Elle doit évoluer et c'est l'une de mes plus importantes responsabilités en tant que Président de France Télévisions.
Parlons de la prochaine loi audiovisuelle que la nouvelle majorité projette de mettre en place l'an prochain. Membre de la commission des affaires culturelles et de l'éducation et membre du conseil d'administration de France Télévisions, le socialiste Patrick Bloche souhaite que vous repassiez devant le CSA après la promulgation de la future loi, pour éventuellement mettre fin à votre mandat de manière prématurée. On veut vous évincer ?
Je suis à la tête d'une entreprise dont j'ai engagé la transformation et je suis en train de discuter avec le gouvernement d'évolutions stratégiques. Donc, pour mettre tout ça en oeuvre, il faut de la stabilité. J'entends bien ce que dit Patrick Bloche mais, premièrement, j'ai un mandat de cinq ans et j'entends le mener à bien et, deuxièmement, la ministre de la Culture a dit publiquement que nous devions faire ce travail dans la stabilité. Au Royaume-Uni par exemple, les patrons de la BBC restent au moins dix ans à leur poste. En France, on observe également ce phénomène dans les chaînes privées comme TF1, Canal+ ou M6.
Dans quelques semaines, Canal+ va se lancer dans la télévision généraliste gratuite avec le rachat de Direct 8. TF1 et M6 sont montées au front pour empêcher l'opération. On a peu vu, peu entendu France Télévisions. Vous n'êtes pas inquiet ?
D'abord, l'opération n'est pas faite, le CSA est en pleine instruction. Il pourra très bien délivrer son autorisation selon un cahier des charges plus ou moins restrictif. Ensuite, j'observe deux points. Premièrement, dans un marché publicitaire dont nous dépendons en partie, l'arrivée d'un nouvel acteur avec des moyens importants peut déstabiliser nos ressources. C'est quelque chose que j'ai signalé aux autorités compétentes. Deuxièmement, les risques dans les domaines du cinéma et du sport, inscrits dans les obligations de France Télévisions. Quand les producteurs de cinéma vont voir Canal+ pour le payant, il ne faut pas que Canal dispose d'un privilège sur le gratuit avec Direct 8 et Direct Star qui nous empêcherait d'avoir accès à des films. Ce serait une position dominante sur deux marchés qui étaient jusqu'ici complémentaires. Même chose pour le sport, sur un certain nombre d'événements sportifs que nous co-diffusions jusqu'à alors.
Canal+ a pris des engagements en ce sens et l'Autorité de la concurrence lui en a imposé d'autres...
Oui, mais ils nous paraissent insuffisants. Nous espérons que le CSA sera plus sévère sur ces sujets-là qui sont stratégiques pour nous.
Jean Reveillon, le directeur de France 2, expliquait qu'il avait l'impression que France 2 était dans le viseur de Direct 8. Vous êtes sur la même ligne ?
Les dirigeants de Canal+ indiquent qu'ils veulent transformer Direct 8 en une chaîne haut de gamme, en direction des CSP+. Ce qui est un peu le positionnement de France 2. On va voir... Canal+ est un groupe très puissant, il y a là-bas un vrai savoir-faire, de véritables talents que je salue pour leur professionnalisme. On va observer tout cela de près. C'est en même temps très stimulant, mais il ne faut pas qu'avec la puissance des abonnements et de quelques avantages sur le payant, Canal+ puisse tordre la concurrence.
A chaque changement de majorité, on observe des inquiétudes dans les équipes dirigeantes de France Télévisions, voire des départs et des arrivées. Pourquoi France Télévisions nourrit-elle autant de fantasmes et d'ambitions ?
C'est peut-être la reconnaissance du rôle considérable de France Télévisions dans l'information, en termes de lien avec les Français aussi. C'est aussi son histoire, lorsqu'il n'y avait qu'une seule chaîne en France. Il ne faut pas oublier que l'Etat est son actionnaire. La question de son indépendance est donc fondamentale et le Président que je suis dois en être le garant. Il y a une autre raison : chacun est téléspectateur, chacun a son avis sur la télévision et ses programmes, chacun veut s'en mêler. France Télévisions est la télévision de tous les français. C'est un peu la même chose que la SNCF ou La Poste.
Nicolas Sarkozy, qui vous a nommé, était très interventionniste à France Télévisions selon les déclarations de la précédente direction. François Hollande l'est-il autant ?
A ce jour, j'ai des contacts normaux avec la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti. Nous avons même de bonnes relations de travail. Mes relations avec le Président de la République et le Premier ministre sont tout à fait normales.