Elle a stupéfait toute une profession ce mardi 19 septembre 2023. Près de 36 heures plus tard, la garde à vue d'Ariane Lavrilleux est toujours en cours. La journaliste d'investigation, dont le domicile a été perquisitionné pendant dix heures par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), a été conduite au commissariat de police de Marseille "dans le cadre d'une enquête pour compromission du secret de la défense nationale et révélation d'information pouvant conduire à identifier un agent protégé, ouverte en juillet 2022". Elle avait signé en 2021 une série d'articles pour "Disclose" et un sujet pour "Complément d'enquête", relatifs aux compromissions de la France avec l'Égypte.
Selon les informations que "Disclose" – média pour lequel Ariane Lavrilleux a enquêté – a en sa possession, "les enquêteurs de la DGSI reprochent à (la) journaliste d'avoir signé cinq articles sur les ventes d'armes françaises à l'étranger", publiées par le média d'investigation en ligne depuis 2019.
La première des enquêtes concernées a trait à l'opération Sirli en Égypte, en marge de laquelle des civils égyptiens auraient été tués arbitrairement par l'armée égyptienne avec la complicité de la France. "'Disclose' a obtenu (par le biais d'une source) des centaines de documents 'confidentiel-défense' qui dévoilent les dérives d'une opération militaire secrète de la France en Égypte", écrivait ainsi le média le 21 novembre 2021. "Des notes issues des services de l'Élysée, du ministère des Armées et de la Direction du renseignement militaire (DRM) qui révèlent les dérives de cette mission de renseignement débutée en février 2016, au nom de la lutte antiterroriste".
Ces documents, est-il précisé dans le même article, "démontrent comment cette coopération dissimulée au public a été détournée par l'État égyptien au profit d'une campagne d'exécutions arbitraires. Des crimes d'État dont François Hollande et Emmanuel Macron ont été constamment informés. Sans jamais en tirer les conséquences".
"Ces informations confidentielles sont d'intérêt général", souligne aujourd'hui "Disclose" sur X. "Elles éclairent le débat public sur la réalité des relations de la France avec des dictatures et jettent une lumière crue sur des armes, fabriquées dans notre pays, et retournées contre des populations civiles. Qu'importe si ces révélations sur les ventes d'armes de la France sont gênantes pour l'État français", plaide encore le média d'investigation, soutenu par toute une profession attachée à la protection des sources.
"J'imagine qu'il y a une seule question qui va être posée indéfiniment à Ariane aujourd'hui. C'est 'Quelle est ou quelles sont les sources qui ont conduit à cette fuite de documents (et) qui nous a permis de réaliser cette enquête ?'", redoute Hugo Plagnard, rédacteur en chef de "Complément d'enquête", sur le plateau du "12/13 info" de Franceinfo.
"Je pense que c'est bien cela le problème. Il n'y a pas de journalisme sans source. Et là, cette procédure peut inquiéter les prochaines sources qui ont des documents à nous confier et inquiéter aussi les journalistes. Est-ce que je vais risquer de me retrouver en garde à vue, interrogé par la DGSI ?".
Selon "Disclose", enfin, la DGSI aurait dans le collimateur quatre autres enquêtes signées par la journaliste d'investigation. Celles-ci ont trait à "la vente de 30 avions Rafale à l'Égypte", à la livraison d'armes à la Russie jusqu'en 2020, "la vente de 150.000 obus à l'Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis (EAU)" et au "transfert d'armes illicites des EAU vers la Libye".