Un ogre numérique devenu hors de contrôle. Dans une tribune publiée jeudi dans le "New York Times", Chris Hugues, co-fondateur de Facebook en 2004 avec Mark Zuckerberg, tire la sonnette d'alarme. Même s'il a revendu ses parts et quitté la société dès 2012, il s'inquiète du pouvoir démesuré acquis par le célèbre réseau social au logo bleu en quelques années.
Sa longue démonstration, intitulée "It's time to break up Facebook" ("Il est temps de démanteler Facebook") fait explicitement référence aux scandales récents dans lesquels a été impliqué le groupe comme le dossier Cambridge Analytica, du nom de cette société britannique accusée d'avoir récupéré illégalement les données personnelles de 50 millions d'utilisateurs de Facebook en 2018. Pour Chris Hugues, Facebook, qui compte également dans son giron les populaires applications Instagram et WhatsApp, utilisées chaque jour par des milliards de personnes, est "un léviathan qui élimine l'esprit d'entreprise et limite le choix des consommateurs".
"C'est un puissant monopole, éclipsant tous ses rivaux et effaçant la concurrence de sa catégorie", ajoute le co-fondateur, qui rappelle que Facebook dispose d'une puissance telle qu'il est capable de racheter un concurrent, de le bloquer ou de le copier. C'est ce qu'il a fait par exemple après avoir tenté d'acquérir en vain Snapchat, qui draine un public plus jeune.
Pour Chris Hugues, il apparaît indispensable de scinder Facebook, Instagram et WhatsApp en trois sociétés distinctes pour mettre fin à cette situation de monopole, tout en interdisant au groupe d'acquérir de nouvelles entreprises durant une certaine période. Il en appelle à une intervention du gouvernement américain qui dispose déjà selon lui d'un arsenal juridique adapté, à travers le Sherman Act, la grande loi antitrust américaine. Il souhaiterait également voir se créer une agence fédérale spécifiquement chargée de réguler la Silicon Valley. Cela aurait pour vertu de mettre fin selon lui à un triptyque infernal. "Chaque fois que Facebook se trompe, nous répétons un schéma épuisant: d'abord l'indignation, puis la déception et, enfin, la résignation".
L'ex-homme fort de Facebook pointe également la personnalité de son collègue Mark Zuckerberg, qu'il décrit comme un patron omnipotent. "L'aspect le plus problématique du pouvoir de Facebook est le contrôle qu'il donne à Mark sur la capacité de surveiller, d'organiser, et même de censurer les discussions de deux milliards de personnes. (...) Le pouvoir de Mark est incroyable, et dépasse de loin celui de n'importe qui au gouvernement ou dans le secteur privé", observe-t-il. L'ultime phrase de la tribune de Chris Hugues résume sa pensée : "Mark Zuckerberg ne peut pas réparer Facebook, mais le gouvernement en a le pouvoir".
Le patron de Facebook est justement attendu à Paris ce vendredi pour rencontrer le président de la République, une rencontre au cours de laquelle il sera question de la régulation d'internet. Nick Clegg, le responsable des affaires publiques de la société, a réagi à cette tribune en estimant que "la responsabilité des entreprises de nouvelles technologies ne peut être renforcée qu'en introduisant de nouvelles règles rigoureuses pour internet. C'est exactement ce que Mark Zuckerberg demande. Et cette semaine, il rencontre d'ailleurs des chefs de gouvernements pour avancer vers cet objectif".