Hugh Grant fut ma première fois. Oui j'ai souffert et ceux qui vous disent le contraire sont des menteurs. Car 'exercice du junket est une véritable angoisse pour les journalistes. Rangés comme des gentils petits soldats dans la salle d'attente, même les canapés et les jus d'orange fraichement pressés n'ont aucun effet sur cette boule de stress qui vous ronge l'estomac, faisant passer la pire des gastro pour un don du ciel.
Le seul point positif de ce dérangement gastrique improvisé ? Pendant mes longues années d'attente, j'ai pu piquer un bon paquet de mini shampoings dans les salles de bain des hôtels, jolis flacons qui trônent maintenant fièrement chez ma mère. Ça fait chic auprès des invités. Le propre d'un junket, c'est d'en faire le plus possible en un minimum de temps. Vous prenez la peine de saluer la star ? 1 minute de perdue. Un "comment allez-vous ?" et c'est la plantade assurée. Un problème de vocabulaire ? Un suicide organisé. Un rhume des foins ? Ce n'était pas la peine de vous déplacer...
Focus. Il faut rester focus. Une fois dans le couloir de la mort, l'enfer s'ouvre sous vos pieds. On vous assoit sur une chaise. Une toute petite chaise au milieu d'un ÉNORME couloir. Ça tombe bien, vous ne tenez plus debout après les litrons de jus ingérés. Votre vessie est sur le point d'exploser mais c'est trop tard. Moins de 30 mètres vous séparent des toilettes et vous êtes condamné à perdre toute votre dignité en vous dandinant devant Hugh Grant qui rassurez-vous ne fera aucun commentaire. Flegme britannique oblige. La petite lumière rouge s'allume au dessus de la porte. Le journaliste "condamné à mort" avant vous, sort. "Alors il est comment ?" murmurez-vous le gosier déjà asséché. La question qu'il ne faut JAMAIS poser car la réponse ne sera jamais celle que vous voulez entendre, oscillant invariablement entre "pas cool", "odieux", "bavard", "je n'ai pas pu placer plus de trois questions" et "jet lagué". Car oui, un acteur qui reste le cul vissé sur un fauteuil pendant 5 heures n'est pas un acteur heureux. Surtout s'il est sujet aux crises d'hémorroïdes et qu'il vient de se taper Los-Angeles-Tokyo-Moscou-Londres-Madrid-Paris en moins de 72 heures (si si c'est possible, ça s'appelle la magie du cinéma).
Nous sommes donc en pleine promo de Bridget Jones 2. Je suis à quelques secondes de ma rencontre avec Hugh Grant, l'homme grâce à qui je suis allergique au mariage (putain de comédies romantiques...). Mon coeur bat. C'est une bonne nouvelle. Petit Jésus, faites qu'il ne s'arrête pas pendant les 6 minutes à venir. J'entre dans l'antre. Hugh Grant est enfoncé dans son fauteuil. Le teint gris, l'oeil bouffi. Je le sens aussi vif qu'un paresseux.T'inquiète Hugh. J'ai au moins 49 questions à te poser. En 6 minutes, on n'est jamais trop prudent. Top chrono, je fais du zèle, je te demande comment ça va. 5mn50. Tu demandes un café. 5mn40. J'ai déjà enquillé une bonne dizaine de questions. 5mn30. Je crois que tu dors. 5mn10. Je fais une blague. 5mn. Tu dors toujours. 4mn30. Je viens de réaliser que pour mon premier junket, je suis face au syndrome du "monosyllabique", l'acteur qui ne répondait que par oui ou par non parce qu'il est crevé et qu'il n'en a absolument rien à foutre d'être là. 4mn. J'ai fini de réaliser, je suis confrontée à la réalité. 3mn30. Je n'ai plus de questions. 3mn20. Silence. 3mn10. Une larme coule. Sur ma joue, pas sur la tienne. 3mn. Un technicien tousse. 2mn55. Mon désarroi t'émeut. Face caméra, tu demandes à mon employeur de m'augmenter parce que tu me trouves génial. Point trop n'en faut, Hugh. 2mn30. Je me dis que Michel Denisot va peut-être te prendre au sérieux et m'augmenter. 2mn20. Tu bailles. Tu me dis que tu es complètement jet lagué. Ah bon ? C'est pas vrai ? 2mn. La tête haute et le coeur lourd, je décide d'abréger mes souffrances. Je sors. Hugh, où est passé l'humour à l'anglaise, le sens de la répartie, le mot qui fait mouche ? Probablement oubliés dans le wagon bar de l'Eurostar. Premier junket. Je suis rentrée. J'ai brûlé mon dvd de 4 mariages et un enterrement et sagement rangé mes miniatures de shampoing. La Tapineuse était née.