Changement de paradigme à la tour TF1. Hier matin, le groupe dirigé par Gilles Pélisson présentait aux investisseurs ses résultats annuels pour l'année 2016. Propriété de Martin Bouygues, le groupe audiovisuel a notamment fait état d'une forte chute de son bénéfice net et d'un tassement de ses recettes publicitaires. Au cours de la présentation, Gilles Pélisson et son directeur adjoint aux contenus, Ara Aprikian, en ont profité pour revenir sur la vision, les enjeux et les perspectives du groupe pour les années à venir.
Un discours plus que jamais scruté à l'heure où la chaîne-mère, autrefois monarque absolu du PAF, voit ses audiences s'essouffler de manière drastique auprès de l'ensemble du public. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le patron de ce qui reste le premier groupe audiovisuel européen n'a pas traîné des pieds pour annoncer la couleur.
En proclamant au début de son intervention que la FRDA était désormais "le mot d'ordre" de la première chaîne, Gilles Pélisson a surpris l'assistance en reprenant des éléments de langage fréquemment utilisés par Nicolas de Tavernost, le patron de M6. Il faut dire que l'éternelle soeur ennemie de TF1, malgré des audiences presque deux fois plus faibles auprès de l'ensemble du public, s'est imposée comme le modèle de rentabilité par excellence des chaînes privées en France. À contrario, TF1 souffre de l'un des plus faibles taux de marge sur le marché européen.
TF1 a-t-elle l'ambition de devenir une "super-M6", sacrifiant de facto son coût de grille et sa part d'audience auprès de l'ensemble du public pour viser une rentabilité plus élevée en se recentrant sur les cibles commerciales ? La question a été posée directement à Gilles Pélisson hier matin et, de "super-M6", il n'en est point question selon le dirigeant. Même s'il concède avoir "envisagé" cette hypothèse "tentante", il assure vouloir préserver la prime au leader dont bénéficie TF1, arguant notamment du maintien du coût de grille des cinq chaînes à 980 millions d'euros et de la vocation de la Une à rester "la chaîne de l'événementiel au quotidien".
En fait, en s'intéressant à la feuille de route établie par Ara Aprikian, il semble plutôt que la première chaîne opte pour un modèle hybride, visant à conserver son leadership tout en accroissant sa rentabilité. Mais difficile en écoutant la litanie des remèdes imaginés par le discret patron des contenus de la Une de ne pas constater un parallélisme criant entre cette nouvelle stratégie et celle qui fait de M6 une coqueluche en bourse depuis plusieurs années.
Ainsi, sur le modèle de ce que fait la Six via ses filiales Studio 89 et C. Productions, Ara Aprikian veut renforcer "l'internalisation" de la production des programmes de flux via ses filiales Newen et TF1 Production. Un modèle plus rentable qui permettra à la Une de diffuser des programmes de flux "moins coûteux" sur les cases de day-time. "On va accentuer notre positionnement FRDA-50 en journée" promet le patron des contenus, citant notamment l'exemple de la reprogrammation en matinée des "Feux de l'amour" et la diffusion, en après-midi de deux téléfilms étrangers. Un dispositif calqué au millimètre sur celui de... M6.
En parallèle de cette course à la rentabilité, la Une veut concentrer sa puissance sur le 12h-14h et se renforcer sur le 19h-23h. Ce dernier ayant une importance capitale puisque, selon le patron des contenus de la Une, "Sur TF1, quand l'access va, tout va". Pour ce faire, la chaîne veut donc reconstruire ce dernier autour d'une offre renouvelée et parie énormément sur "The Wall", qualifié par Ara Aprikian de "plus grand jeu de l'histoire", et sur "Demain nous appartient", la saga estivale quotidienne qui sera installée cet été en access prime-time. La rentabilité étant désormais le nerf de la guerre, cette série sera produite en interne, par Newen.
Se définissant désormais comme "un groupe multichaînes et multimédias", le groupe TF1 est aujourd'hui à la croisée des chemins. Tournant le dos au glorieux passé de la chaîne-mère, ses dirigeants semblent avoir trouvé un cap dans une mer qui n'a jamais été aussi agitée. Alors qu'ils s'activent à bâtir un nouveau modèle dans lequel la rentabilité supplantera la puissance, plusieurs mois voire plusieurs années seront nécessaires pour jauger du bienfondé de cette stratégie. Pour l'heure, les investisseurs ne cachent pas leur enthousiasme. Hier, le titre a fait un bond de 11% en bourse, clôturant sur un gain de 5,8%.