Tribune. En 2016, pendant que les personnes trans et leurs proches se battent pour faire avancer leurs droits, la télé ricane. Le mois dernier, l'Association des Journalistes LGBT (AJL) a saisi le CSA à la suite de l'émission de rentrée du "Grand journal" de Canal +, dans laquelle la journaliste transgenre Brigitte Boréale faisait ses débuts. Une avancée dans la visibilité des personnes trans qui s'est hélas accompagnée de plusieurs remarques transphobes sur le plateau. "Bonsoir monsieur-dame, enfin Brigitte", l'a notamment interpellée Ornella Fleury, la nouvelle "miss météo". Proférée à la télévision et non pas "entre amis" (comme les membres de l'émission ont pu le dire), cette remarque, qui nie l'identité de genre d'une personne trans, autorise et encourage le téléspectateur à faire pareil.
La transphobie est récurrente à la télévision depuis que, dans les années 1950, le journaliste François Chalais traitait la célèbre artiste transgenre Coccinelle de "monstre". Depuis, le petit écran, quand il ne se trompe pas de pronom pour désigner les personnes trans, les cantonne à la question "avant-après", cet éternel marronnier "Gaston est devenu Marguerite". Il y a quelques mois, lorsque "Le Supplément" de Canal + consacre un reportage à Mathilde Daudet, auteure du roman autobiographique "Choisir de vivre", le présentateur Ali Baddou pose comme question: "Vous êtes l'une des rares à pouvoir trancher un très vieux mystère, qu'est-ce qui est le mieux entre la jouissance masculine et la jouissance féminine ?" À qui d'autre, à la télé, pose-t-on des questions sur sa jouissance ? Ramener une personne trans au sexe et à ses attributs sexuels, une autre facette, violente, de la transphobie.
Dans un registre encore plus vulgaire, la parodie de Florent Peyre intitulée "Travelo", diffusée à plusieurs reprises sur TF1 à l'été 2015, a suscité la colère des personnes trans, en raison de ses paroles (la parodie démarre ainsi : "C'est une façon de voir la vie, avec des seins et un zizi"). Dans la vie de tous les jours, "travelo" est l'insulte la plus blessante à laquelle les personnes trans sont confrontées. La transphobie fait partie du quotidien des quelque 50.000 personnes souhaitant ou ayant changé de genre. En ne parlant pas de cette violence, les médias la nient. En la laissant s'exprimer sous des formes soi-disant humoristiques, ils l'encouragent. En France, la haine envers les trans atteint des sommets.
À Limoges, en 2013, Mylène est tuée à coups de marteau dans le visage. La presse reste muette, à l'exception des médias régionaux où l'on parle d'elle souvent au masculin. Quand Cassandra est égorgée dans un bois à côté de Rouen en 2012 et que son meurtrier asperge son corps d'essence et allume, même silence. À Marseille, en 2005, une prostituée migrante trans est assassinée de façon barbare : victime de 47 coups de couteaux, elle est décapitée, ses seins et son sexe sont arrachés. Un article dans la presse locale - qui, par la police, a obtenu son état civil - la nomme au masculin, rien d'autre. Les trans enterrent leurs morts et leurs mortes en silence.
Les organes de presse doivent se mobiliser sur le plan éditorial mais aussi en leur sein, pour accueillir des journalistes trans dans leur rédaction. Combien de trans travaillent dans les médias ? Une adhérente de l'AJL est une journaliste freelance qui donnait des formations dans de grandes rédactions télé. Quand elle a révélé sa transidentité, on ne lui a plus donné de travail.
Comme chaque année depuis 1997, un collectif d'associations organise à Paris l'Existrans, ce samedi 15 octobre. Cette marche des personnes trans et intersexes vise notamment à sensibiliser la société contre les discours et actes de haine. À cette occasion, l'Association des Journalistes LGBT (AJL) exhorte les médias à prendre conscience du rôle qu'ils peuvent jouer dans ces logiques de discriminations, et le CSA à remplir sa mission de régulateur pour lutter contre toutes les formes de transphobie. L'heure du réveil a sonné.
Par l'AJL, l'Association des Journalistes LGBT.