Le groupe multiplie les rendez-vous d'information. Depuis le début de l'épidémie de Covid-19 en France, France Télévisions mobilise ses journaux et ses magazines pour couvrir la crise sanitaire et le confinement imposé par le gouvernement. Ce soir, France 3 propose ainsi en prime time un numéro spécial de "Pièces à convictions" et demain soir, France 2 diffusera un nouveau "Vous avez la parole", présenté par Léa Salamé et Thomas sotto, et intitulé "La France confinée". Afin d'en parler, puremedias.com s'est entretenu avec le directeur de l'information de France Télévisions, Yannick Letranchant.
Propos recueillis par Florian Guadalupe.
puremedias.com : Comment l'information de France Télévisions a-t-elle fait face au début de la propagation du coronavirus en France ?
Yannick Letranchant : Nous avons été confrontés très vite à ce qu'il se passait en Chine. Nous avons été parmi les premiers médias européens et le seul média TV français à avoir été sur place avec notre correspondant à Wuhan, en Chine, quand la ville a été confinée. Cela fait 63 jours aujourd'hui qu'Arnauld Miguet et Gaël Caron, son JRI, sont à Wuhan. Ils nous racontent la manière dont ça s'est passé depuis les premiers jours du confinement et la réaction des autorités chinoises. Maintenant, ils commencent à nous raconter la fin du confinement. Dans ses sujets, Arnauld Miguet nous a également raconté la manière dont il travaillait avec Gaël Caron dans une zone confinée et à risques. Son objectif était de témoigner sur ce qu'il se passait en Chine et mais aussi de se projeter sur ce qui pouvait arriver si le virus se propageait dans d'autres pays. Il a été l'un des premiers correspondants à intervenir avec un masque sur le visage parce que c'était une consigne des autorités chinoises. Donc, ça a été professionnellement notre première confrontation avec le virus.
Puis, nous avons couvert la propagation du virus en Europe. Notre travail est d'à la fois assurer notre mission d'information et en même temps de préserver la sécurité des salariés. Nous avons souhaité donner la priorité à l'interactivité : nous avons mis en place un dispositif avec la rédaction de franceinfo.fr pour faire remonter les questions des téléspectateurs et des internautes via le hashtag #OnVousRepond. On a fait en sorte d'être dans la co-construction avec le public, en reprenant les questions des internautes, des téléspectateurs et des auditeurs pour nos radios en Outre-Mer. On les passe donc à l'antenne et on y répond en plateau avec nos journalistes, notre médecin consultant du "Figaro", le docteur Damien Mascret, des personnalités politiques et des membres de la société civile.
"Ce n'est pas parce que nous sommes moins nombreux que notre exigence éditoriale sera moindre."
Ce soir, France 3 propose un numéro spécial de "Pièces à conviction". Demain, il y a "Vous avez la parole" à 21h sur France 2. Vendredi, en prime time, franceinfo diffusera "Scan" dédié au coronavirus. Que pourra-t-on apprendre de plus dans ces rendez-vous autour de l'épidémie ?
Il y a toute la couverture qu'on peut faire chaque jour dans les éditions régionales, ultra-marines, nationales et numériques. Nous avons donc des formats qui nous permettent d'aborder ce sujet de manières différentes. Ce soir, il y a "Pièces à conviction" en deux parties : "Les agriculteurs vont-ils sauver la planète ?" et "Comment les agriculteurs vont-ils faire face au Covid-19 ?". Nous sommes dans la réactivité par rapport à l'actualité. C'est un format plus long avec un style de narration différent, mais toujours dans le souci d'assurer notre mission de service public. Demain, nous proposons "Vous avez la parole" sur "La France confinée". C'est la deuxième spéciale sur cette thématique. Il y avait déjà eu une première, le 16 mars, à la suite de l'allocution du président de la République.
Demain, ce ne sera pas une émission politique comme on la connaît. Ce sera une émission sociétale sur la progression de l'épidémie et le quotidien des Français en confinement. Il y aura des spécialistes, des politiques et nos éditorialistes en plateau. Elle se fera en direct à France Télévisions. Nous respecterons bien sûr la distance spatiale d'au moins un mètre. Les interventions extérieures se feront en duplex par nos outils de direct à distance. En plateau, il y aura Guillaume Daret pour poser les questions des téléspectateurs, ainsi que Nathalie Saint-Cricq, Michel Cymès, aux côtés de Léa Salamé et Thomas Sotto. On travaillera avec l'institut de sondage Ipsos qui aura sondé les Français pour évaluer leur moral. Enfin, pour clore cette série de spéciales de la semaine, "Scan" sera diffusé vendredi soir sur franceinfo. Ce format a une signature particulière. On reprend des images qui n'ont pas été utilisées dans des rushs. C'est de l'actualité brute. Ce numéro spécial sera consacré au coronavirus. On retrouvera notamment ce qu'il s'est passé à Wuhan, en Chine, avec le récit inédit d'Arnauld Miguet.
Comment s'organisent aujourd'hui les différents journaux de France Télévisions ?
Nous cherchons à avoir moins de monde dans les rédactions, sur les plateaux et dans les régies. Nous n'avons plus qu'un seul plateau et une seule régie, hors franceinfo, pour réaliser les journaux de France 2 et France 3 et nos magazines d'information. Comme il y a moins de monde pour fabriquer les sujets, on les mutualise entre les journaux. J'assume pleinement cette multi-diffusion qui est dans l'intérêt de la sécurité de nos salariés. Dans cette organisation, nous avons décidé de réduire la voilure. Il y a moins de monde car certaines personnes sont touchées directement ou indirectement par le virus. Certains doivent aussi garder leurs enfants. D'autres personnes sont en télétravail. Nous expérimentons aussi le télétravail dans la fabrication de l'information, comme dans le montage par exemple. Mais nous devons garder notre rigueur et notre exigence. Ce n'est pas parce que nous sommes moins nombreux que notre exigence éditoriale sera moindre. Elle est justement très forte en particulier dans ce contexte de crise et surtout adaptée à la situation.
Combien de salariés dédiés à l'information travaillent toujours dans les locaux de France Télé ?
En ce moment, en comprenant la rédaction et la technique, il y a 10 à 15% de notre effectif qui est présent. C'est une réduction drastique. C'est compliqué d'aller en deçà si nous voulons continuer à proposer nos différents rendez-vous d'information. On a fait ce choix de maintenir nos éditions très identifiées par le public.
"Dans les rédactions, nous nous posons les mêmes questions que les Français."
Concernant le "20 Heures", qui a été rallongé depuis le confinement, comptez-vous continuer à recevoir un membre du gouvernement par jour ?
Oui, nous allons essayer. Le journal de "20 Heures" fait 52 minutes depuis l'allocution du président de la République du 16 mars dernier. Il est composé de reportages, de décryptages et de l'intervention de membres du gouvernement. Mais pas seulement ! Il y a aussi des scientifiques, des médecins et des membres de la société civile chaque soir. Par exemple, dimanche soir, le président de Carrefour était présent pour expliquer la stratégie de son groupe face au confinement.
Quelles sont les mesures prises pour les salariés en reportage sur le terrain ?
Nous sommes dans les règles communes : la distanciation sociale, l'usage de gel hydroalcoolique, le nettoyage du matériel de tournage avec des lingettes, deux personnes maximum par voiture, etc. Quand on est amené à interviewer des personnes, afin de ne pas se mettre en danger ou de mettre en danger les personnes interrogés, il est nécessaire de garder la distance de rigueur. Par exemple, on utilise des perches. On protège les micros avec une charlotte ou du film plastique. On prend des mesures afin de continuer à être sur le terrain car c'est important pour assurer notre mission d'information.
Comment va le moral de vos équipes ?
Il y a une vraie conscience de notre mission de service public. Je l'entends et le vois tous les jours. Il y a un vrai partage de cette mission d'utilité publique. Dans les rédactions, nous nous posons les mêmes questions que les Français : "Est-ce qu'on prend les bonnes mesures ?", "Est-ce que c'est suffisant ?", "Est-ce que je suis protégé ?". Il y a un questionnement légitime. Notre responsabilité en tant que manager est d'y répondre, par des règles claires et des organisations adaptées. Les syndicats nous posent des questions. Ils sont dans leur rôle. J'entends quand même que nous partageons largement notre démarche d'utilité publique.
En cette période de confinement, France Télévisions multiplie les rendez-vous d'information dédiés au coronavirus. Ne craignez-vous pas d'épuiser les téléspectateurs avec une telle couverture de cette épidémie ?
On est dans notre rôle en proposant des rendez-vous qui ne se ressemblent pas. Je ne souhaite pas mettre du tout les bonnes audiences que nous faisons. Mais le public est là ! Le public est en demande. Quand on additionne chaque soir les deux "20 Heures", celui de France 2 et de TF1, on rassemble entre 15 et 20 millions de téléspectateurs. C'est énorme ! Il faut donc répondre à cette demande d'information. Au-delà de l'information, il y a tout ce que le service public propose, comme les cours qui sont diffusés sur nos antennes, et les films grand public l'après-midi sur France 2 après "Le 13 Heures". L'offre de France Télévisions est très diversifiée. Concernant les émissions sur le coronavirus, elles fonctionnent bien car nous répondons aux attentes des téléspectateurs.
"Le retour de 'Télématin' ? Il n'y a pas d'échéance particulière."
Quand est prévu le retour de Marie-Sophie Lacarrau à la présentation du "13 Heures" de France 2 ? Et celui de "Télématin" ?
Marie-Sophie Lacarrau doit revenir lundi prochain. Elle est en capacité de faire le "13 Heures". Concernant "Télématin", une grande partie de l'équipe a été placée en quatorzaine. Il a été décidé de maintenir un rendez-vous d'information, c'est-à-dire la matinale de franceinfo en double diffusion sur France 2. Il n'y a pas d'échéance particulière pour le moment. L'idée est de proposer un grand carrefour d'information le matin. Nous avons aménagé la formule de la matinale de franceinfo, en y intégrant des visages de "Télématin" qui interviennent à distance par Skype. On retrouvera sans doute des interventions de Laurent Bignolas.
Le coronavirus a masqué une partie des élections municipales. Y a-t-il eu une frustration de n'avoir pas pu aller au bout des dispositifs sur lesquels vous aviez travaillé depuis des mois ?
Une actualité en chasse une autre ! On a couvert les élections municipales à l'aune de ce qu'il se passait avec le coronavirus. On a eu un premier tour d'élections municipales très particulier. On l'a couvert doublement. Il y avait à la fois l'acte électoral et en même temps des mesures sanitaires particulières dans les bureaux de vote. Les deux étaient liés. On n'était pas encore dans un contexte de confinement. On a réduit les points de direct qu'on devait avoir pour les élections, pour ne pas trop exposer nos équipes. On a fait des soirées inédites, mêlant des résultats du scrutin et la couverture de cette épidémie. Ça a donné lieu à des émissions inédites.
Quelles seront les leçons que l'on pourra tirer de cette crise ?
Nous savons être réactifs et je crois que nous l'avons été. Nous ne nous attendions pas à une telle pandémie. Je pense qu'il aurait fallu anticiper davantage à la fois l'offre éditoriale proposée et la manière dont nous devons travailler dans des conditions sanitaires très strictes. Pour tout événement particulier, il y a un savoir-faire et une réactivité dans nos rédactions et une volonté d'être au rendez-vous avec le public. Ça m'impressionne à chaque fois ! Plus on peut anticiper, plus on est opérationnel. Point important : c'est un contexte qui nous renforce dans notre démarche de lutter contre les fake news. On est déjà très actifs en la matière. Dans ces moments-là, il faut être encore plus rigoureux pour débusquer les fausses informations. Ça nous a renforcés dans cet objectif-là et dans l'idée d'être en prise direct avec le public pour répondre à ses questions.