Qu'y-a-t-il de pire ? Ecouter, comme en Grande-Bretagne, les conversations de people, victimes, familles de victimes, pour alimenter la presse de caniveau en révélations graveleuses ? Ou surveiller et espionner un journaliste français, auteur de révélations dans une affaire qui éclabousse le plus haut sommet de l'Etat ? Sur l'échelle de la gravité, les deux se valent, probablement. Mais ces affaires n'ont, à ce jour, pas eu le même retentissement dans leurs pays respectifs. L'affaire Murdoch Outre-Manche a déstabilisé le pouvoir en place de David Cameron, secoué un groupe de presse implanté aux quatre coins du monde. On ne connaît pas encore toutes ses conséquences. Mais elles seront lourdes, pour la classe politique et médiatique.
Ici, en France, la révélation faite par Le Monde ce matin de l'espionnage de l'un de ses journalistes par les services secrets français n'a produit aucune déflagration. L'opposition s'insurge, c'est son rôle. Les membres du gouvernement et du parti majoritaire crient à la manipulation, démentent. Sans même savoir parfois de quoi ils parlent ! Même Claude Guéant, ministre de l'intérieur, a admis des "repérages". Repérage et non espionnage, appréciez la subtilité. Les Français, de plus en plus dépendants à l'information, devraient s'auto-saisir de cette affaire d'Etat, crier au scandale, demander de nouvelles garanties pour que ces pratiques cessent enfin. Pas une loi, on les outre-passe déjà ! La récente législation sur le secret des sources, voulue par Nicolas Sarkozy lui-même, vole déjà en éclats, avant même la fin de son mandat.
Que reste-t-il d'une démocratie sans un contre-pouvoir incarné par la presse ? Les médias doivent impérativement remplir ce rôle. La télévision, la radio, la presse écrite, internet. Il ne s'agit pas d'un problème de droite ou de gauche. Un pays libre par sa presse est un pays en bonne santé. Selon le dernier classement de RSF, la France arrivait en 44ème position. La France ! Qu'attend-on à gauche et ailleurs pour proposer, dès aujourd'hui, de remettre à plat toute la législation qui encadre ce contre-pouvoir ? Le projet socialiste pour 2012 le prévoit, il veut garantir "une information libre et pluraliste (...) renforcer l'indépendance des rédactions, protéger les sources des journalistes". N'est-il pas opportun de profiter de ce scandale d'Etat pour aller plus loin ? De détailler aux Français le projet, le renforcer. De faire preuve de pédagogie auprès du grand public pour lui expliquer qu'il ne s'agit pas d'un point de détail mais d'un projet dont dépend sa liberté d'être informé au quotidien !
Les Français n'aiment pas les journalistes, les Français n'ont pas confiance dans leurs médias, toutes les enquêtes d'opinion le démontrent année après année. Il est bien là, le problème. Le pouvoir en place le sait, en use et en abuse. Bâtir de nouvelles conditions d'indépendance et de respect pour la presse, c'est redonner confiance aux Français dans leurs médias et leurs institutions. Leur probable indifférence à ce dossier n'en est que la conséquence, pas la cause. Il est urgent d'y remédier.