"Victor Hugo, ennemi d'État" : Que vaut la fiction historique de France 2 ?

Critique. Il est l'un des plus grands écrivains du XIXe siècle. Au cours de cette période marquée par le progrès technique et les révoltes, Victor Hugo a donné vie à certains des héros les plus connus de la littérature française, de Jean Valjean à Quasimodo en passant par Cosette. Père de "Lucrèce Borgia", "Hernani" et "Les Misérables", l'écrivain était aussi un homme politique. Victor Hugo a ainsi été nommé pair de France en 1845. En 1848, après la révolution et la chute de la monarchie de juillet, Victor Hugo a été élu représentant à l'assemblée constituante puis représentant de la Seine à l'Assemblée nationale.

C'est à travers cette histoire-là, celle de l'éphémère IIe République (1848-1851), que France 2 a décidé de raconter ce soir Victor Hugo, figure paradoxalement peu exploitée en télévision, si l'on excepte l'adaptation de ses oeuvres. L'une des dernières fois que l'écrivain avait été porté à l'écran, c'était en 2002 dans "La Bataille d'Hernani", téléfilm diffusé sur France 2 dans lequel Alexandre Brasseur ("Demain nous appartient") prêtait ses traits à l'auteur des "Misérables". Dans la fiction de France 2, c'est Yannick Choirat, comédien de théâtre vu dans "De rouille et d'os" mais aussi dans la série "Paris Etc." qui a été choisi pour incarner Victor Hugo.

Le comédien livre d'ailleurs une performance remarquable dans la peau de l'écrivain et homme politique, âgé à cette époque d'un peu moins de cinquante ans. À ses côtés, Isabelle Carré, rare en télévision, incarne avec justesse Juliette Drouet, maîtresse de l'écrivain. Dans le quatrième et dernier épisode, la comédienne parvient à jouer de manière tout à fait crédible le désarroi qui a pu s'emparer de Juliette Drouet lorsque celle-ci a appris, en lisant leur correspondance, que Victor Hugo entretenait une autre passion avec Léonie d'Aunet, son autre maîtresse depuis sept ans. La jeune femme est ici interprétée à l'écran par Erika Sainte, vue dans "Baron Noir" et "Jacqueline Sauvage".

Outre la vie politique de Victor Hugo, son rapport avec sa famille et ses maîtresses est ainsi exploré, à travers notamment des extraits de ses correspondances avec Juliette Drouet et Léonie d'Aunet. Cette série permet de mettre à jour une face moins exposée de Victor Hugo, celle d'un homme volontiers menteur voire manipulateur avec ses maîtresses. À travers ses relations de famille, c'est aussi la figure d'un père écrasant, doté d'un orgueil démesuré, - appelé "le pèrissime" par son fils Charles -, qui est portée à l'écran. Marqué par le décès prématuré de sa fille Léopoldine quelques années plus tôt, l'homme, qui n'écrivait plus à cette époque, n'apparaît pas dénué de failles.

Ce n'est donc ni un panégyrique à la "Secrets d'Histoire" ni une fiction romancée que propose France 2 avec "Victor Hugo, ennemi d'État" mais un vrai récit historique. Pour le mener, les producteurs Iris Bucher et Luc Martin-Gousset mais aussi la chef décoratrice et la chef costumière se sont appuyés sur les conseils de nombreux historiens dont Manuel Charpy et Anaïs Albert, spécialistes de la vie quotidienne au XIXe siècle, Olivier Le Troquer, spécialiste du XIXe siècle, Guy Rosa, spécialiste de Victor Hugo ou encore Michèle Fizaine, spécialiste de la presse, et Mark Traugott, spécialiste des barricades.

Le tout donne logiquement un récit sérieux, appuyé en partie sur des écrits de Victor Hugo dont son célèbre "Discours sur la misère", prononcé en 1849 à l'Assemblée nationale. La mise en scène de la lecture de ce dernier rappellera d'ailleurs aux connaisseurs celle de la déclaration des droits de l'homme dans le film historique "La Révolution Française - Les Années Lumières et Les Années Terribles". Le sens du détail a d'ailleurs été poussé jusqu'à représenter Louis-Napoléon Bonaparte (Stefan Konarske) blond aux yeux clairs avec un accent germanique ce qui colle, contrairement à l'idée répandue, parfaitement à la réalité historique.

Seuls quelques déplacements factuels mineurs ont été effectués selon Luc Martin-Gousset. Le seul élément qui pourrait potentiellement froisser les historiens, c'est l'omniprésence du tutoiement dans la fiction. Un anachronisme alors que le vouvoiement était de rigueur à l'époque. Les décors et les costumes sont, eux, en parfaite cohérence avec la période. Clin d'oeil de l'histoire, la salle utilisée par la production pour y installer l'Assemblée nationale n'est pas celle du palais Bourbon - basse à l'époque - mais la salle du congrès du château de Versailles. C'est d'ailleurs la première fois qu'une fiction télé y est accueillie.

Récit presque pédagogique, "Victor Hugo, Ennemi d'État" n'était pas formaté, à l'origine, pour être une fiction. Lorsque Vincent Meslet, à l'époque à la tête de France 2, en avait passé la commande en 2016, le programme était prévu pour être un croisement entre le documentaire et la fiction télévisée. La Deux a finalement décidé d'en faire une fiction historique pure, même si celle-ci dépend de l'unité documentaire de France Télé, et de la prolonger par un documentaire "Victor Hugo, un siècle en révolutions", diffusé hier à 22h35 sur France 5 et disponible en replay sur france.tv, qui la complète parfaitement.

"Victor Hugo, ennemi d'Etat" est finalement l'occasion d'une plongée dans un morceau de la (très) riche histoire du XIXè siècle, injustement coincé entre deux siècles bien plus explorés à l'écran. C'est aussi l'exploration passionnante des combats politiques de Victor Hugo et des méandres de sa personnalité complexe, tout cela à l'aube de sa révolution personnelle : celle de sa transformation de monarchiste en plus ardent défenseur de la République.