Il y avait deux types de journalistes autour des candidats à la présidentielle pendant cette campagne. Ceux présents pour capter des réactions immédiates, destinées à être diffusées le jour-même dans les journaux télévisés ou traduites le lendemain dans la presse. Puis d'autres, là pour le tournage d'un documentaire sur les coulisses de cette course à l'Elysée, prêts à recueillir des confidences plus froides et posées. Avec comme garantie donnée à leurs interlocuteurs qu'elles ne seraient pas "on" avant la fin de la campagne, le 6 mai 2012.
Ces témoignages ont donné lieu à des livres et des docs, dont l'un est diffusé ce soir sur Canal+ à 20h55. Dans "Les stratèges, histoires secrètes d'une présidentielle", la caméra de David André et Thomas Legrand (France Inter) a suivi les principaux candidats dans cette course à l'Elysée. Un feuilleton politique qui ne s'embarrasse pas des histoires passées, comme les affaires DSK. Parmi les protagonistes assis sur le divan des journalistes, Jean-Pierre Raffarin, François Bayrou, Manuel Valls, Brice Hortefeux, Marine Le Pen, Daniel Cohn-Bendit ou encore Henri Guaino, conseiller spécial du président Nicolas Sarkozy pendant le quinquennat.
Le documentaire est construit en forme de thriller politique avec ses coups bas, calculs, tactiques. Et surtout ses stratèges, ces hommes de l'ombre chargés de mettre en musique une ligne politique de campagne. A droite, le plus influent d'entre eux se nomme Patrick Buisson, ex-FN, ex-patron du journal d'extrême droite Minute. Il ne s'exprime pas au cours de ces 90 minutes mais les autres conseillers du président parlent pour lui, sans jamais citer son nom. Sur la stratégie "à droite toute" adoptée par Nicolas Sarkozy envers et contre tous, ils confient leurs doutes.
Le témoignage le plus fort est probablemement celui d'Henri Guaino à l'automne dernier. Il prend tout son sens aujourd'hui, après la défaite du candidat sortant. "Moi, je ne veux pas savoir ce que le Front National raconte sur le chômage, l'immigration, ça ne m'intéresse pas ! Ma conviction profonde, c'est que c'est l'assurance de l'échec ! explique-t-il. Si on fait une campagne sur la division des Français, les uns contre les autres, si on fait la guerre aux pauvres, aux musulmans, on perdra. Le candidat qui fera ça perdra, voilà ma conviction profonde ! Un président de la République, cela ne peut pas être ça. Le rôle d'un président, c'est de réunir les Français, pas de les diviser, pas de les appeler à se battre les uns contre les autres. Au fond, la défaite morale précède toujours la défaite politique. Et elle l'entraîne". Une position contestée par Brice Hortefeux à l'époque, persuadé que "les propositions qui clivent le milieu politico-journalistique sont en réalité des positions consensuelles dans l'opinion."
Autre inquiétude à quelques semaines du scrutin, celle de Rama Yade. "Où va s'arrêter le curseur ? s'interroge-t-elle. Tout ne peut pas être réduit à la tactique politique. Combien de millions de personnes sont blessées ? Je veux bien, parce qu'on est des politiques, on doit être capable de retourner sa veste. Je veux bien, mais il y en a une dizaine à retourner, je ne pense pas que c'est la bonne stratégie." Ces points de vue, Rama Yade et Henri Guaino les ont transmis à Nicolas Sarkozy, à plusieurs reprises. Mais lui n'écoutait qu'un seul homme, Patrick Buisson, "le gourou du président".
"Les Stratèges"
De David André et Thomas Legrand
Le 9 mai à 20h50 sur Canal+.