Ils ont déjoué des attentats terroristes, mené la vie dure au Hamas et au Hezbollah, négocié âprement avec l'extrême-droite israélienne. Ils parlent ce soir à bâtons rompus dans "The Gatekeepers", diffusé sur Arte. Nommé aux Oscars, ce documentaire de Dror Moreh donne la parole à six ex-responsables du Shin Beth, l'agence de contre-espionnage israélienne. Six haut-fonctionnaires, en poste entre 1980 et 2011, racontent l'envers du décor des manoeuvres tactiques et géopolitiques de la région pendant trente ans. Et ils sont bien placés pour s'exprimer, eux qui ont dû contrer deux Intifadas, faire face à deux guerres du Liban, orchestrer le retrait de Gaza, anticiper l'arrivée du Hamas au pouvoir...
A sa projection, "The Gatekeepers" a fait grand bruit. C'est la première fois que des haut-fonctionnaires aussi proches du pouvoir politique israélien se mettent à table et livrent leurs propres commentaires sur l'anti-terrorisme israélien. Morceau choisi avec Youval Diskin, chef du Shin Beth jusqu'en 2011, qui s'estime bien placé pour évoquer la méthode d'assassinats ciblés menée par l'Etat hébreu depuis quelques années.
"Quand on est à mon poste, rien n'est noir ou blanc. Le type qu'on cible n'est pas seul dans sa voiture, on ne sait pas si ce sont des hommes de son réseau qui sont avec lui. Alors on tire ou on ne tire pas ? Le temps est compté, c'est une course contre la montre et on attend le feu vert du Premier ministre. On fait sauter la voiture. Après, on se dit qu'on a pris la bonne décision, que ces gens s'apprêtaient à commettre des attentats et pourtant quelque chose vous dérange : le pouvoir de décider de leur mort", explique celui qui a participé à ces meurtres de chefs Palestiniens.
Tout au long du film de Dror Moreh, il est question des victoires amères de l'agence Shin Beth, mais aussi d'un certain échec permanent. Ainsi Yaakov Peri, qui l'a dirigée de 1988 à 1994, confie avec le recul : "C'était toujours de la tactique, jamais de la vision stratégique". Comprenez par là qu'Israël, selon lui, n'a jamais eu de vision à long terme quant à sa politique face aux Palestiniens.
Evidemment, le film agace la droite israélienne. D'autant qu'en moins d'un mois, 50.000 Israéliens auront vu ce documentaire au cinéma. "Le Premier ministre n'a pas vu le film et il n'a pas l'intention de le voir", a pour sa part déclaré le porte-parole de Benyamin Netanyahou.
La ministre de la Culture, Limor Livnat, a dénoncé son côté "ces films qui salissent l'image d'Israël" et est allée jusqu'à appeler les cinéastes hébreux à s'autocensurer. Ceux-ci lui ont répondu dans une lettre ouverte que "le rôle du ministre de la Culture est de promouvoir l'art, pas de censurer". La ministre a alors annoncé, rancunière, son intention de modifier l'équipe de la commission d'attribution de subventions pour les oeuvres cinématographiques.