Quarante ans après son lancement, la chaîne publique britannique Channel 4 est à vendre. Après plusieurs mois de consultation, "j'en suis venue à la conclusion que sa propriété par le gouvernement empêche Channel 4 de rivaliser avec les géants du streaming comme Netflix et Amazon", a convenu la ministre de la Culture, Nadine Dorries, lundi 4 avril sur Twitter. "Un changement d'actionnaires va donner à Channel 4 les outils et la liberté de prospérer tout en restant un service public", a-t-elle ajouté.
Downing Street souhaiterait mettre en vente Channel 4 avant les prochaines élections générales de 2024. D'ici là, un Livre blanc devrait être publié ce mois-ci, et un projet de loi de privatisation intégré dans le prochain programme législatif du gouvernement Johnson, rendu public le 10 mai, relate "Le Monde". Cette vente pourrait rapporter aux caisses de l'État 1 milliard de livres sterling, soit l'équivalent de 1,2 milliard d'euros, selon les médias nationaux. "Le produit de la vente de Channel 4 ira dans les domaines laissés pour compte en investissant dans les indépendants et les compétences créatives dont ont désespérément besoin nos industries créatives en croissance rapide", a précisé la ministre sur Twitter.
Évoquée à maintes reprises, notamment par le gouvernement Cameron en 2016, la privatisation de Channel 4, entièrement indépendante financièrement, irrite passablement les défenseurs de la télévision publique. Paradoxalement, la chaîne ne coûte rien aux contribuables britanniques. Elle ne bénéficie pas de la redevance réservée à la BBC et tire donc l'écrasante majorité de son financement de la publicité, sur le même modèle que TF1 et M6, par exemple en France. Mais contrairement à ces dernières, elle n'a pas vocation à verser de bénéfices à des actionnaires mais à réinjecter ces gains dans le financement de programmes. Plutôt que de créer ses propres programmes, Channel 4 les commande en effet à des sociétés extérieures, "ce qui a notablement contribué à développer le secteur de la production télévisée indépendante britannique", observait "Le Figaro" l'an passé.
Channel 4, dont la mission de service public est inscrite dans la loi britannique, est à l'origine de divertissements culte, à l'image de "Big Brother", "Peep Show", l'émission de téléréalité "Gogglebox", "The Great British Bake Off", émission de pâtisserie au succès considérable pendant les confinements, ou encore la série "It's a Sin", en lice dans 11 catégories pour les prochains Baftas de la télévision. C'est d'ailleurs pour redynamiser la production audiovisuelle dans le pays et remplir les cahiers de commande de cette industrie que le gouvernement Thatcher avait créé cette chaîne dans les années 1980.
"Il est décevant que l'annonce (de la privatisation) ait été faite sans formellement reconnaître les importantes préoccupations d'intérêt public qui ont été soulevées", a regretté Channel 4 dans un communiqué. L'opposition est vent debout : "Vendre Channel 4 qui ne coûte de toute façon pas un centime au contribuable à ce qui est susceptible d'être une entreprise étrangère, c'est du vandalisme culturel, cela coûtera des emplois et des opportunités dans le nord et le Yorkshire et touchera l'économie créative britannique au sens large" a affirmé le parti travailliste.
La décision de privatiser la chaîne "n'a aucun sens", a estimé mardi la députée d'opposition Lucy Powell, en charge des questions de culture. "Plutôt que de concurrencer certains des grands géants américains du streaming, je crains qu'il soit plus probable que (la chaîne) soit rachetée par l'un d'eux", a-t-elle dit au micro de la BBC. La newsletter "Mind media" rapporte que le groupe américain Discovery (WarnerMedia) serait le candidat le plus crédible au rachat en cas de privatisation, selon "The Guardian". ITV, Sky (groupe Comcast) et Paramount seraient aussi sur les rangs.
Cette opération vise-t-elle à affaiblir le service public audiovisuel britannique ? La question se pose. Des membres du parti conservateur au pouvoir, très critiques en général contre l'audiovisuel public, reprochent régulièrement à Channel 4 d'être biaisée, notamment depuis que l'ancienne responsable des programmes d'actualités Dorothy Byrne a qualifié en 2019 Boris Johnson de "menteur" et de "lâche", contextualise l'AFP.
En parallèle, en janvier, Nadine Dorries, la ministre de la Culture qui ignorait il y a peu le modèle de financement de Channel 4, annonçait "la fin programmée de la redevance pour 2027, plongeant le financement de la BBC dans la plus grande inconnue de son histoire", rappelait ce mercredi Sonia Devillers sur France Inter. Les débats à venir au Parlement s'annoncent mouvementés.