Il laisse le "20 Heures" dans un excellent état. Après trois mois de présentation ininterrompue, Julian Bugier cède les clés du journal de France 2 à Anne-Sophie Lapix avec, à son actif, un bilan d'audience flatteur. L'édition de la Deux a rassemblé 4,2 millions de téléspectateurs en moyenne cet été, soit 23,5% de PDA, au plus haut depuis... 2004. Après cet été chargé, c'est déjà la rentrée pour Julian Bugier puisqu'il lance demain la troisième saison de son magazine économique "Tout compte fait" tandis qu'il prépare les prochains numéros de "Cellule de crise", dont il a hérité après le départ de David Pujadas. puremedias.com a rencontré le journaliste pour discuter avec lui de ses activités sur la première chaîne publique.
Propos recueillis par Pierre Dezeraud.
"Tout compte fait" entame demain sa troisième saison sur France 2. Maintenant que la marque est installée, quel est votre objectif ? La continuité ?
L'objectif de cette troisième saison, c'est de consolider les acquis de l'émission et d'opérer une montée en puissance sur la ligne éditoriale. Je pense que "Tout compte fait" rencontre un vrai succès d'estime de la part des téléspectateurs mais également d'audience puisque l'émission progresse depuis maintenant trois ans. Nous arrivons désormais à presque 10%, ce qui est une performance puisque c'est une case très compliquée sur France 2. La première année était celle de l'installation de la marque, la deuxième était celle de la consolidation et la troisième sera celle de la montée en puissance. Pour ce faire, on muscle les effectifs de journalistes. On a aussi vocation à se diriger plutôt vers des sujets plus "enquête". La ligne éditoriale reste le décryptage des évolutions de la société de consommation. L'économie est un sujet prédominant dans le quotidien des Français. Il y a une appétence forte de leur part à connaître la société de consommation, les marques et les entourloupes.
Comment vous différenciez-vous des autres magazines économiques comme "Capital" (M6) ?
Les magazines économiques sont rares dans le paysage audiovisuel. Vous citez "Capital" qui est la référence historique dans le domaine. Aujourd'hui, il décrypte plutôt des coulisses d'entreprises. Notre vocation à nous est de décrypter des grands phénomènes de société de consommation, toujours avec rigueur et exigence, en allant au fond des choses et en traitant chaque sujet de manière anticonformiste sans manichéisme. Les magazines concurrents ont tout le temps un prisme ou un point de départ affiché. "Tout compte fait" aborde un sujet avec un regard neuf sans oublier les différentes aspérités de ce sujet en question.
Sur quelles thématiques allez-vous débuter la saison ?
Le premier sujet que l'on traitera ce samedi est consacré au "big business" du portable reconditionné. C'est un phénomène qui a explosé au cours des derniers mois. On décrypte ce marché à travers ses acteurs, les consommateurs et ses promesses. Le deuxième sujet est consacré à la rentrée scolaire et plus spécifiquement au business des fournitures scolaires. On va notamment l'aborder par le biais des nouvelles plateformes d'occasion qui ont émergé il y a quelques années sur internet. On s'interroge aussi sur le modèle économique qui permet de vendre des produits peu chers et de savoir s'ils sont dangereux pour la santé des enfants.
"On ne fait pas une ligne éditoriale ou un magazine en fonction de la concurrence."
Vous prenez la succession de David Pujadas à la tête de "Cellule de crises". Quelles évolutions allez-vous apporter à ce magazine ?
La différenciation que l'on va opérer cette année fait partie du renouvellement logique pour un magazine qui entre dans sa deuxième saison. Nous avons fait un premier numéro sur la disparition de Diana. Il s'inscrivait dans la logique et la ligne éditoriale classique de "Cellule de crise" même si c'est la première fois que l'on s'attaquait à un sujet si ancien. Cette saison, nous allons aborder de nouvelles thématiques tout en gardant le prisme de raconter les coulisses de la manière dont l'appareil d'Etat gère une crise mais en étant plus transversal dans notre traitement. Le prochain numéro sera ainsi consacré aux tempêtes, comme celle de 1999. Pour la première fois, nous allons traiter une gestion de crise de façon transverse en ne s'attachant pas à un moment en particulier. Cela nous permet de mettre en perspective la manière dont les services de l'État tirent des leçons de leurs précédentes erreurs. On aborde ainsi des questions aussi diverses que l'aide aux victimes, le rôle des collectivités ou encore l'urbanisme.
Vous n'êtes arrivé à la tête du magazine qu'en juin. La mort de Diana ou les tempêtes, ce sont donc des sujets dont vous héritez. Comment imprimez votre patte dans ces conditions ?
Nous réfléchissons avec les équipes de Brainworks, la société de production de l'émission, à de nouvelles thématiques. C'est en cours de discussion avec la chaîne. Concernant Diana, l'enquête était déjà réalisée quand je suis arrivé. J'ai apporté ma touche sur la réalisation des plateaux et le séquençage. Ce sera pareil pour le numéro consacré aux tempêtes où j'aurai plus de temps pour me plonger dans la trame de l'enquête.
Concernant les audiences, pensez-vous avoir une réelle marge de progression ? "Tout compte fait" occupe une case compliquée face aux "Reportages" de TF1...
Je pense qu'on ne se positionne pas et on construit pas un magazine en fonction de la concurrence. La singularité de France 2, c'est de faire une contre-proposition sur ce créneau horaire. En face, la concurrence a fait le choix historiquement d'un magazine d'accueil et d'accompagnement avec des reportages très accessibles. Contrairement à nous, ce ne sont pas des sujets "révélateurs" d'évolution de la société. Aujourd'hui, nous sommes parvenus à hisser nos audiences au même niveau qu'a la grande époque du magazine "Envoyé Spécial, la suite". À l'époque, la concurrence était moins forte. Maintenant, l'idée, c'est bien sûr d'aller chercher encore plus de téléspectateurs.
"Sur 'Cellule de crise', il n'y a pas de bons et de mauvais sujets"
Ce n'est pas frustrant d'arriver sur un sujet plus "light" comme celui de la mort de Diana ?
Il n'y a pas de bons et de mauvais sujets, c'est un faux débat. L'important, c'est de se différencier. De ce point de vue là, le pari a été réussi. Aucun sensationnalisme, aucune promesse de révélation non tenue, nous avons raconté de l'intérieur la manière dont l'Etat et le gouvernement ont géré cette disparition soudaine. Cette fois encore nous avons revisité un événement par le prisme de la gestion de crise, donc le pari a été tenu et la promesse respectée.
Comment êtes vous arrivé à l'animation de ce magazine ? Sur proposition de Yannick Letranchant ?
Il y a eu une discussion et le choix a été fait de façon collégiale. Moi, je suis rattaché à la direction de l'information mais "Tout compte fait" et "Cellule de crise" dépendent du périmètre de l'unité magazine. C'est à la fois Yannick Letranchant et Caroline Got qui m'ont fait cette proposition, en accord avec Nicolas Daniel, le directeur de l'unité magazines de France 2.
Quelque part, "Cellule de crise" c'est un peu votre lot de consolation alors que vous pensiez être l'héritier naturel du fauteuil de David Pujadas au 20 Heures ?
Non, ce sont deux sujets qui ne sont pas liés. La décision sur le 20 Heures, je m'en suis déjà largement expliqué. Maintenant, c'est derrière nous. Je suis ravi de poursuivre mon travail de joker sur le 20 Heures. Je pense qu'il faut aussi savoir où est sa place. Je sais que la mienne est celle de numéro 2 pour les années qui viennent. Il n'y a pas de rancoeur ou d'amertume, je tiens à le dire puisque cela a pu être mal interprété. Concernant "Cellule de crise", c'est un autre moment, un autre magazine. Je suis ravi d'ajouter cet exercice à ma palette.
"Il faut savoir où est sa place"
Vous avez présenté hier votre dernier journal de l'été après trois mois passés à l'antenne. Une telle durée, c'est assez rare dans la vie d'un joker. Quel regard portez-vous sur ces trois mois ? Avez-vous été plus impliqué ?
Je suis systématiquement impliqué dans les choix éditoriaux. C'est aussi ce qui fait le sel de ce métier. C'est vrai que c'est un privilège de s'installer dans le fauteuil du journal de 20 Heures pendant trois mois. C'est aussi une satisfaction personnelle parce que ça a été un succès d'audience. Je pense que j'ai aussi relevé le défi de la succession de David. On aurait pu avoir un effet "départ", qui n'est pas arrivé. Quelque part, c'est assez flatteur. Mais c'est aussi et surtout un succès collectif qui est l'aboutissement du travail réalisé par les équipes d'Agnès Vahramian notamment et aujourd'hui Agnès Molinier et Yannick Letranchant.
En juillet dernier, Audrey Crespo-Mara confiait à puremedias.com qu'elle souhaitait aborder davantage la thématique du destin des gens. Et vous, quels sont vos intérêts premiers ?
C'est surtout la partie news du journal qui m'intéresse. C'est d'abord cela que les gens viennent chercher dans un journal. Depuis mon arrivée il y a six ans, la ligne éditoriale du journal a énormément varié. Depuis cinq ans, elle est plus claire. Aujourd'hui, nous avons un journal plus court, resserré sur l'actu chaude, le grand reportage, l'économie, les sujets de société et l'impertinence avec "L'oeil du 20 Heures".
Hier soir, vous avez reçu Edouard Philippe. Les interviews politiques sont souvent le Graal pour un journaliste. L'exercice va vous manquer ?
C'est certain. Une interview sur un plateau de télévision, ça se joue toujours à peu de choses. Aujourd'hui, les téléspectateurs attendent autre chose en termes d'interview notamment pour les politiques. Il y a quelques années, nous étions dans des interviews d'accompagnement. L'objectif des journalistes était surtout de faire de la reprise, de décrocher une dépêche AFP. Aujourd'hui, ce qu'attendent de nous les téléspectateurs, c'est aussi d'être plus incisifs, et de mettre à jour les contradictions entre le discours et la réalité. C'est un exercice exaltant. Que je continuerai à pratiquer lorsque je remplacerai Anne-Sophie Lapix durant ses congés.
Vous avez eu de belles opportunités. Cet été était justement très politique.
Oui mais nous avons eu assez peu d'invités car ce gouvernement est, semble-t-il, moins disponible. La communication est plus verrouillée même si j'entends que cela pourrait changer...
"À terme, traiter de politique m'intéresse"
Faire davantage de politique à l'antenne, à travers un magazine par exemple, cela pourrait vous intéresser ?
Pas dans l'immédiat. Le besoin n'est pas là, il y a un rendez-vous politique bien installé autour de Léa Salamé et de ses chroniqueurs. En revanche, à terme, oui car la politique est une matière noble. C'est évidemment excitant d'y toucher quand on fait ce métier.
Puisque l'on parle des politiques, quel regard posez-vous sur la grande tendance de la rentrée, à savoir la reconversion de personnalités politiques en éditorialistes à la télévision et à la radio ?
Je m'amuse toujours de voir ces politiques qui critiquent beaucoup la presse et deviennent ensuite des polémistes. Est-ce bien ? Je n'en sais rien. Dans le sens inverse, je pense que c'est un voyage sans retour. Je suis de cette génération qui pense que l'on ne peut pas mélanger les genres. L'indépendance du journalisme, ça veut dire quelque chose. Quand on voit le niveau de défiance à l'égard de la chose publique, des hommes politiques et des journalistes, je pense que nous avons plus que jamais un devoir d'exemplarité.
Revenons au 20 Heures de France 2. Les audiences ont été excellentes cet été. Vous avez battu TF1 à deux reprises. C'est assez flatteur pour un joker...
Cela fait presque quinze ans que le 20 Heures de l'été n'avait pas été aussi performant. On travaille évidemment pour faire un journal regardé par le plus grand nombre. Ces chiffres, c'est un vrai succès collectif d'autant plus que l'écart avec notre principal concurrent n'a jamais été aussi réduit.
"Je n'ai pas l'intention de partir de France 2"
En définitive, avec France 2, vous vous inscrivez dans le long terme ?
Cela fait six ans que je suis là et je n'ai pas l'intention de partir. Outre les remplacements au 20 Heures, j'ai de nombreux rendez-vous qui me tiennent à coeur sur cette chaîne. Je pense notamment aux soirées continues, comme dernièrement celle sur l'homophobie, qui correspondent, selon moi, à l'esprit du service public. Il y a donc ces soirées, les éditions spéciales de la rédaction, "Cellule de crise", Tout compte fait"... Franchement, je pense qu'aucune chaîne concurrente ne pourrait m'offrir un éventail aussi varié et me permettre de mettre autant de ce que je suis dans ce que j'incarne.