Ce soir, Canal+ lance "Rendez-vous avec Kevin Razy" à 22h30, un nouveau programme présenté par l'humoriste. Chaque lundi, l'ancien membre d'"On n'demande qu'à en rire" va aborder avec humour et sérieux un sujet d'actualité, qu'il va décrypter et explorer avec son point de vue de citoyen : des sondages aux hôpitaux, en passant par l'écologie, l'éducation, les prisons et le véganisme. Pour la première fois, la chaîne va retransmettre en direct sur Facebook l'émission, qui est évidemment en crypté. A l'occasion du lancement de ce nouveau format, puremedias.com a rencontré le comédien.
Propos recueillis par Florian Guadalupe.
puremedias.com : Ce soir, vous lancez votre première émission sur Canal+ en tant que présentateur, en abordant le sujet des sondages. Pourquoi avez-vous décidé de commencer par ce thème ?
Kevin Razy : On a commencé à écrire les épisodes il y a un mois et demi. Il nous fallait quelque chose qui soit intemporel et qui puisse quand même fonctionner le jour de la sortie. Les sondages, on est en plein dedans, à la suite de tout ce qui s'est passé l'année dernière, avec le Brexit, la primaire Les Républicains et Donald Trump.
Ce format était d'abord proposé sur le web avant de passer à la télévision. C'est une consécration ?
Pour moi, oui. Je suis content de voir qu'une chaîne a pris le risque de diffuser un programme comme celui-ci, un peu hybride, neuf et avec un ton un peu différent. Certains diront même impertinent. Je suis un enfant de la télé, je regarde la télé depuis tout petit. C'est quelque chose de fou de pouvoir se retrouver à l'antenne. Je l'ai déjà été, mais dans des émissions d'accueil, que ce soit "On n'demande qu'à en rire", "Le Grand Journal", "Le Before", "Jamel Comedy Club"... Être dans ma propre émission, c'est une consécration pour moi.
De quelle manière travaillez-vous chaque sujet de l'émission ?
En amont, avec des journalistes. On valide tous ensemble avec Mourad (Moqaddem, nldr), qui est le showrunner de ce projet et avec qui j'ai créé "Rendez-vous". On choisit un angle d'attaque. Les journalistes travaillent dessus pendant une journée et demie. Ensuite, avec le documentaliste, on cherche des images pour illustrer. De là, ils me font un genre d'exposé de 45 minutes, où je note des informations. Je fais un premier épisode, que je re-lisse avec Mourad. Enfin, je travaille avec les auteurs pour ré-insérer des vannes, des moments de jeu.
Qui vous a inspiré ce type de format ? Il rappelle énormément celui des late-shows américains...
Late-shows, non, car ils sont plus dans le divertissement. C'est plutôt inspiré des news-shows, c'est une petite nuance. C'est le même code, on a un desk, le fond de la ville de nuit, un animateur en costume, etc. La seule différence est que le news-show est un pastiche des JT, version satirique. Moi, je suis un grand fan de John Stewart, du "Daily Show", qui est maintenant présenté par Trevor Noah, de John Oliver dans "Last Week Tonight" sur HBO. Même aussi à l'étranger, que ce soit Bassem Youssef, en Egypte, ou alors "Al-basheer Show" en Irak, délocalisé en Jordanie pour des raisons de sécurité. J'ai toujours été inspiré par ces grands news-shows satiriques, qui prennent des risques pour expliquer des choses aux gens, parfois dénoncer des choses aussi. En France, ce n'est pas si neuf, car Yann Barthès avait déjà déblayé le terrain pour nous.
Avec l'humour, c'est plus simple d'aborder des sujets plus compliqués, comme vous l'avez fait avec Daesh sur le web ?
On est sur le fil, c'est à double-tranchant. Faire de l'humour sur un sujet très sensible, c'est quitte ou double. Soit on est excellent, on approche quelque chose de juste et là ça fait mouche, soit si c'est vaseux et qu'on veut juste sauter sur la première occasion de faire parler de soi, en faisant une mauvaise vanne sur un sujet épineux, là, c'est le couperet. C'est normal, c'est un sujet trop sensible pour qu'on se rate. Je suis partisan du "On peut rire de tout, mais sur les sujets sensibles, il faut être excellent".
Vous ne vous mettez pas de limites dans le choix des thèmes ?
On n'a pas de limites, maintenant pour notre arrivée à l'antenne, on a décidé de faire des sujets assez sociétaux plus que de l'actu chaude. On savait qu'on allait avoir un décalage dans l'écriture. C'est tout bête, mais avec tout ce qui se passe dans le monde, dans les médias et notamment en politique, on ne peut plus s'avancer à torpiller un programme, parce que le jour d'après, il y a un nouveau truc qui tombe. On le voit avec l'affaire Fillon, qui est montée progressivement et chaque jour, il y avait une nouvelle découverte.
Pourriez-vous parler de Vincent Bolloré ?
On s'est posé la question. Pourrait-on parler de Vincent Bolloré ? Ce serait encore mieux qu'on puisse le faire venir dans l'émission. C'est ce que je me suis dit. On part toujours du principe que si on veut parler de quelqu'un, autant l'inviter et lui demander directement. Pourquoi pas. Je ne lui en ai pas encore parlé, je ne l'ai pas encore rencontré. (Rires) Ce serait sympa, après j'espère qu'il acceptera.
Est-ce l'année présidentielle en France qui vous a donné l'idée de lancer ce format ?
Non, ça fait un an et demi que je bosse dessus. C'est vrai qu'après les attentats et en prévision de l'année présidentielle, je me suis dit qu'il fallait avoir un show de ce type, afin de pouvoir décrisper les gens. C'est vrai qu'on a vécu des moments difficiles et ça a continué un petit peu, comme on a pu voir récemment, avec l'affaire Théo ou Adama Traoré. Je pensais que ça allait être important d'avoir un souffle et intéresser les jeunes, même si l'émission n'est pas que pour eux.
En tant qu'humoriste, c'est un devoir citoyen d'aborder ces sujets ?
Je pense que c'est une démarche citoyenne, même si je ne me considère pas comme un humoriste engagé. C'est patriote, défendre notre pays, comme face à Daesh ou face à l'obscurantisme, faire en sorte d'éviter qu'ils puissent recruter d'autres personnes via les réseaux sociaux. Après, je ne dis pas que tous les humoristes doivent le faire, mais d'un point de vue général, les artistes ont un impact. C'est cool quand un artiste utilise son art pour faire passer des choses. On pense aux pièces de Molière, quand ils critiquent les gentilshommes, c'était pour déstabiliser l'ordre établi, mais en utilisant des feintes. Je pense que l'art a toujours eu une portée citoyenne, qu'il faut essayer d'entretenir.
N'y a-t-il pas une frustration de voir votre émission en crypté, et non pas en clair sur Canal+ ?
Les gens me le disent beaucoup. Comme ils l'ont découverte sur YouTube, ils se demandent si elle sera toujours dessus. Pour pallier ça, on a la chance d'avoir une chaîne qui a joué le jeu en nous laissant mettre un dispositif assez exceptionnel pour le lancement d'un programme. L'émission sera en direct sur Facebook, en même temps que la diffusion sur Canal+. Cela va permettre de pouvoir contenter tout le monde. Je peux comprendre que la chaîne décide d'investir dans un programme et préfère privilégier ses abonnés. C'est une logique qui est la leur et que je respecte. Quand on lance un show, c'est très compliqué. J'ai fait partie de l'équipe de "5 à 7" d'Arthur, donc je sais ce que c'est. Quand on est tout de suite mis sur une grosse case, tout le monde nous regarde. En clair, on regarde alors plus les courbes d'audience que le contenu de l'émission. Au final, ça nous fait passer à côté de bonnes émissions. En crypté, on sera concentré uniquement sur le qualitatif. Après, peut-être qu'à terme, ils décideront de le mettre en clair.
Vous avez participé au "Grand Journal" sur Canal+, avec notamment la pastille "Pendant ce temps". Que vous a inspiré l'annonce de son arrêt la semaine dernière ?
Ça m'a fait bizarre. J'ai grandi plus avec "Le Grand Journal" qu'avec "Nulle Part Ailleurs", qui était son ancêtre. C'est quand même une grosse institution qui s'arrête. Ça m'a fait de la peine pour les équipes qui y travaillent encore. La chaîne a pris une décision, parce qu'elle a un projet. On n'arrête pas une institution comme ça. Après, je pense que ça fait partie du renouveau pour revenir plus fort avec un nouveau concept. Je me souviens que quand "Le Grand Journal" avait pris la place de "Nulle Part Ailleurs" au début, c'était chaotique, puis c'est devenu "Le Grand Journal" qu'on a connu. Ce sont des cycles et comme le dit Laurent Ruquier : "En général, je fais dix ans d'une émission, et après je change".
En parlant de Laurent Ruquier, avec du recul, est-ce que vous pensez qu'"On n'demande qu'à en rire" a été votre tremplin ?
Ce n'est pas l'unique tremplin. En 2012, quand j'ai commencé "On n'demande qu'à en rire", j'ai aussi eu la chance de rejoindre le "Jamel Comedy Club" et faire partie des membres fondateurs du "Studio Bagel". Tout ça la même année, je pense que j'ai pris plusieurs tremplins. "On n'demande qu'à en rire" m'a permis de me faire connaître du grand public, et pas seulement du petit milieu parisien. C'était une émission populaire, très regardée en province. J'ai pu avoir la chance de tourner hors de Paris et rencontrer des gens qui ne se seraient peut-être pas attardés sur moi sans cette émission. Aujourd'hui encore, je garde contact avec des fans qui m'ont connu dans "ONDAR". Cela va faire quand même 5 ans. Pour certains, ce sont devenus des amis. Cette expérience est assez folle et restera effectivement l'un de mes plus beaux tremplins.
Vous avez gardé contact avec les anciens de l'émission ?
Déjà Ahmed Sylla et Wally Dia, avec qui on a fait le film "L'Ascension". Artus, avec qui j'étais chez Artur, que ce soit dans "Vendredi, tout est permis" ou "5 à 7". J'ai gardé contact avec Hugues Duquesne des "Lascars Gays" et Luc Sonzogni, son metteur en scène, qui est devenu mon manager. Je croise souvent Charles Hudon, le directeur artistique, mais aussi Vérino et Shirley Soignon. C'est une vraie famille.
Vous étiez aussi un visage du "Gros Journal" de Mouloud Achour sur Canal+. Les audiences sont très mauvaises, vous trouvez que l'émission est mal payée ?
Je parlais tout à l'heure des émissions qualitativement bonnes et qui ne suivent malheureusement pas en audience. "Le Gros Journal" en fait partie. Elle a eu la malchance d'être changée d'horaire en cours de route, et mine de rien pour habituer les gens, c'est très compliqué. Ils sont passés de 20h20, un bon créneau, à 18h55, soit l'ouverture du clair sur Canal+. Il faut savoir que personne n'attend 18h55 pour zapper sur Canal+. On ne reste pas devant un écran noir pour regarder un programme. Sachant qu'il dure huit minutes, il est très compliqué de prendre de l'audience sur la durée du programme. Tous ces facteurs font que c'est mal payé, mais je pense que dans les semaines qui viennent, j'ose espérer que ça puisse changer. La suppression du "Grand Journal" va modifier cette grille et "Le Gros Journal" va prendre une place plus importante.
Vous avez participé à la campagne gouvernementale contre les conspirationnistes et vos spectacles traitent beaucoup des théories du complot. D'où vous vient cet intérêt pour ce sujet ?
C'est leur progression dans l'imaginaire collectif, surtout auprès des jeunes. Dès qu'il y a des choses qu'ils ne comprennent pas, c'est de la faute des illuminatis. Du coup, ça me fascinait et je voyais que personne n'en parlait. Ça me faisait peur, car des gens ne se basaient que sur ça. Ce qu'on a voulu faire dans cette campagne, ce n'était pas de dire "ne croyez pas ce que vous entendez", ça aurait fait bizarre, surtout si c'est l'Etat qui se met à se dire ça. On se dit qu'il cache quelque chose, c'est le serpent qui se mord la queue. Le but du message - il a été un peu perdu- est que c'est sain de remettre en question ce qu'on peut entendre à la télé ou dans les médias. Mais quand on le fait, il faut s'appuyer sur des sources solides, il ne faut pas prendre le premier site venu, nouvelordremondial.com. Même sur mon fil d'actualités sur les réseaux sociaux, je vois des amis partager des sites internet en me disant "t'as vu dans le lait, y'a des micros puces". Tu regardes le titre du site, ça s'appelle illuminatinews.com. Si ce n'est pas Puremedias ou le Huffington Post, tu ne peux pas te dire que c'est vrai. Il faut faire des recherches et recouper des infos.
Avec "Rendez-vous" le lundi soir, est-ce que vous aurez le temps de poursuivre la scène et YouTube ?
Pour la scène, j'ai mis de côté. Il me reste quelques dates de tournée le week-end. Donc, à part ma femme, ça va, personne ne se plaindra. (rires) Les vidéos sur le web, évidemment, je vais arrêter. Ce n'est pas qu'une question de temps, mais aussi parce que je vais avoir l'occasion de tout capitaliser sur l'émission. L'idée est d'éviter de s'éparpiller et de créer une exclusivité. J'ai refusé pas mal de projets, que ce soit des films, des séries et des vidéos pour le web. Je voulais absolument me concentrer sur mon émission. Je me suis beaucoup éparpillé ces dernières années.
Vous avez un nouveau spectacle en préparation ?
Pour l'instant, je garde "Mise à jour" (son actuel one-man-show, nldr). Je pense que le prochain arrivera dans un ou deux ans. Disons que j'aimerais terminer l'exploitation de "Mise à jour" et faire des grandes salles parisiennes. D'ailleurs, j'ai juste une date sur Paris le 26 avril, à Bobino. Le changement de spectacle me demandera un peu de temps, parce qu'il faut tout réécrire. Au delà du temps, c'est aussi se laisser vivre, j'ai besoin de vivre des choses pour pouvoir les raconter.