Que retenir de l'année médiatique écoulée ? Pour la sixième année, puremedias.com a proposé à plusieurs personnalités de revenir sur ces douze derniers mois, avec la désormais traditionnelle "Année médias vue par...". Au tour d'Augustin Trapenard, animateur de "Boomerang" sur France Inter du lundi au vendredi à 9h10 et présentateur du "Cercle" sur Canal+ le samedi à 13h45 et de "21cm" sur Canal+ une fois par mois.
La personnalité médiatique de l'année ?
La Terre, depuis le Salon de l'agriculture jusqu'à la COP24, en passant par la journée mondiale de l'environnement. La Terre qui a permis certaines des plus belles Unes de cette année, certains des plus beaux et des plus grands sujets. La Terre, dont Sylvain Tesson disait à juste titre au tout début de l'année dans l'émission "21cm" qui lui était consacrée, qu'elle était avant toute autre chose "notre actualité".
La personnalité politique de l'année ?
Chaque collectif plus ou moins organisé, chaque groupe de manifestants qui revendique un droit ou une liberté, celles et ceux vêtus de jaune, de rose, de vert ou de violet, qui résistent, précisément, pour que le fait politique ne se réduise plus à une personnalité, une posture ou un parti mais à des idées partagées.
Le coup médias de l'année ?
L'interview de Bruce Springsteen sur France Inter par Antoine de Caunes dans "Popopop", où The Boss revient sur sa jeunesse, sur l'histoire du rock et sur l'Amérique d'aujourd'hui. Une parole rare, pour ne pas dire exclusive, qui me semble plus forte, par sa lucidité, son expérience et ses trébuchements, que celle si suturée des experts, des journalistes et des politiques de tous bords.
Le mensonge médiatique de l'année ?
Le terme de "fake-news" quand il est pris en charge par le président américain. Cette expression qui revient comme un refrain, un TOC ou un grigri pour stigmatiser tel ou tel média qui s'avère souvent, preuve à l'appui, avoir eu raison. La manipulation des images lorsque le journaliste de CNN Jim Acosta pose une question à Donald Trump et qu'une stagiaire de la Maison Blanche tente de lui prendre son micro est à ce titre édifiante. Ici le mensonge se montre du doigt.
L'émission TV de l'année ?
"Clique Dimanche" de Mouloud Achour sur Canal+ – qui se décline également sur la chaine Clique TV. Pour la diversité des sujets, des intervenants et des invités. C'est suffisamment rare pour être noté. Ce qui me frappe toujours, c'est l'attention portée à la programmation et les rencontres inopinées que l'émission fait surgir. On voit par ailleurs s'imposer ici une autre forme de présentation que celle qui nous vient des journaux télévisés, et qui permet une proximité inédite avec les invités. En matière d'émission d'accueil et de plateau, je ne vois pas mieux.
L'émission radio de l'année ?
"Dans le genre de..." par Géraldine Sarratia sur Radio Nova. À travers des variations sur un questionnaire précis et bien senti autour de questions d'identité et de genre, cette journaliste propose des portraits singuliers d'artistes variés. Cette émission, c'est le pari de la profondeur, de l'intimité et du temps. Un lieu de pensée, de questionnement et d'émotion. Un espace musical, aussi, pour approcher l'invité autrement. J'ai toujours pensé qu'une bonne émission de radio reposait sur un disque bien lancé. Bref, je n'en loupe pas une parce que l'émission a toutes ces qualités.
La série de l'année ?
"Wild Wild Country" sur Netflix autour de l'exode du gourou indien Bhagwan / Osho au milieu de nulle part, en Oregon, au tournant des années 80. Outre son travail d'archive, de narration et de montage absolument saisissant, cette série documentaire met en scène et dessine graduellement les contours d'un personnage extraordinaire : la secrétaire du gourou, Ma Anand Sheela. À travers ses errances et ambivalences, cette figure, mi-personnage mi-narratrice, tour à tour géniale et bienveillante, diabolique et cinglée, devient peu à peu le coeur et le moteur de l'intrigue. Pour le pire et pour le meilleur. Immanquable.
Le dérapage médias de l'année ?
La tribune sur la "Liberté d'importuner" publiée dans "Le Monde" au mois de janvier – dont plusieurs signataires ont fini par se désolidariser. Manifestement rédigé en 5 minutes chrono au Café de Flore, ce texte a mis tout le monde dans l'embarras (à commencer par celles et ceux qui s'interrogeaient à juste titre sur les potentielles dérives du mouvement #metoo) par son manque de rigueur, sa faiblesse argumentative et sa mauvaise foi. S'il est toujours intéressant d'ouvrir un débat d'idées, en particulier sur ce sujet, on attendait de certaines signataires et du journal qui les publiait un peu plus de précision, d'écriture et d'ambition.
Le flop TV/radio de l'année ?
Le cinquantenaire de mai 68, un rendez-vous manqué dans les médias, à mon avis, cette année – qui pourrait revenir en force dans la révolte de ces dernières semaines comme un retour du refoulé. Pour de bonnes et de mauvaises raisons, cet anniversaire n'a pas vraiment été assumé (parfois même renié) et a fait surgir un conflit de générations et nombre de tensions passées. Ce fut pour moi un non-événement, étrangement passionnant, dans les non-dits de son traitement.
Le/la journaliste de l'année ?
Dans le domaine culturel, je pense d'emblée à Laure Adler sur France Inter ("L'Heure bleue"), Marie Richeux sur France Culture ("Par les temps qui courent") et Lauren Bastide sur le Podcast "La Poudre" de Nouvelles Écoutes. Trois modèles d'intervieweuses qui se distinguent, à mon sens, par la finesse de leurs approches, la nuance de leurs discours, et l'effacement de la journaliste au profit de la parole et du sens de chaque invité.e. Dans le domaine politique, je suis toujours saisi par l'acuité et la rigueur de Karim Rissouli sur France 5. Outre sa pertinence et la qualité de sa programmation, "C Politique" tente toujours d'échapper au buzz pour lui préférer le sens. C'est à la fois rare, nécessaire et salutaire.
L'animateur/animatrice de l'année ?
Alain Chabat dans "Burger Quiz" sur TMC – qui est toujours à l'aise dans ce qui me semble le plus difficile à faire à l'écran, qui sait rire de lui autant que des autres, et qui réalise avec bienveillance et autorité cette grande mission de la télévision qu'est le divertissement.
La personnalité médiatique qui marquera 2019 ?
La Terre, plus que jamais – à travers laquelle il sera encore question de responsabilité individuelle et collective, de parti-pris éditoriaux pour la mettre toujours plus en avant, d'humanité en mouvement.