Ressorti aux Etats-Unis en 3D, "Le Roi Lion" continue de dominer la jungle du box-office 17 ans après. Balayant Brad Pitt d'un coup de patte et terrorisant la concurrence, il vient d'amasser plus de 80 millions de dollars. Hakuna Matata, quoi. Un énorme succès surprise qui pourrait bien en faire réfléchir plus d'un à Hollywood.
Pour gagner plus de 400 millions de dollars, il vous suffit de réunir un singe boiteux, un toucan, un phacochère, un lémurien et une famille de lions sur une grosse pierre plate avec du Elton John en fond sonore. C'est prouvé. Mais "Le Roi Lion" n'est pas qu'une histoire de (très) gros sous. C'est un chef-d'oeuvre impérissable dont le succès pourrait changer la donne outre-Atlantique.
En France, on a des idées... mais elles sont parfois très mauvaises. "Le Roi Lion" est disponible en Blu-Ray chez nous depuis un peu plus d'un mois, preuve qu'une ressortie n'était même pas envisagée. Mais le box-office américain a parlé : Simba a cartonné. A tel point que "Le Roi Lion", qui détenait déjà le record du film d'animation à la main le plus lucratif de tous les temps et du nombre de cassettes vidéo jamais vendues (55 millions), est désormais devenu le 10ème film ayant rapporté le plus d'argent au cinéma sur le continent américain. C'est Walt Disney qui va être content, une fois décryogénisé ! Mais pourquoi ce succès colossal, 17 ans après?
Parce que c'est Shakespeare qui a écrit le scénario. "Le Roi Lion", c'est Hamlet. Un père tué, un oncle assoiffé de pouvoir, une revanche et des conseils prodigués par le fantôme du père. Merci, William ! Dans un des plans, Scar tient même un crâne dans ses griffes, clin d'oeil à celui de Yorick dans Hamlet. Mais si le 32ème film des studios Disney est devenu un film culte, c'est qu'il emprunte aussi ses références à la légende d'Osiris : Mufasa, c'est Osiris, Scar, c'est Seth, son frère jaloux et Simba, le digne héritier, c'est Horus. Si le film est mythique, c'est parce qu'il est mythologique.
Il faut dire que Disney s'est aussi largement inspiré de l'oeuvre du japonais Osamu Tezuka et de son Roi Léo. Plagiat ? Disons, plutôt, inspiration. Car le résultat final, illuminé par les symphonies d'Hans Zimmer, est grandiose. A-t-on déjà vu séquence d'ouverture plus efficace ? Une nature sublimée, un thème darwinien universel (la jungle = la famille = la société = le monde entier) et un bébé lion trop mignon qui éternue. Indémodable. Pas étonnant que le film soit devenu une magnifique comédie musicale au succès planétaire : on comprend dès l'apparition tonitruante du titre rouge sang sur fond noir que "Le Roi Lion" n'est rien d'autre qu'un opéra.
Quand vous ne savez pas, demandez à Karl Lagerfeld. Il présentait il y a quelques jours sa énième collection Chanel dans une mise en scène subaquatique perlée et irisée de toute beauté. Et le génie noir et blanc de déclarer : "Il n'y a rien dé plu modern ke les formes au fond dé la mer qui ont des milliarrr d'années". Quel visionnaire ce Karl ! Il a tout compris à la vie. "Le Roi Lion" est actuel parce qu'il met en scène le sempiternel cercle de la vie. Plus c'est archaïque, plus c'est moderne. Et sa facture même, l'animation traditionnelle, le rend encore plus intemporel. Une des raisons du succès du "Rion Lion" est peut-être qu'en ces temps de crise, on se raccroche, apeurés, à des valeurs connues : certains y verront une régression, une peur de l'avenir, un sursaut misonéiste.
Mais si "Le Roi Lion" n'a fait qu'une bouchée de "Contagion", le film pseudo-événement avec Matt Damon, Kate Winslet, Jude Law, Marion Cotillard, Gwyneth Paltrow, etc., c'est sûrement parce qu'il apporte un nouveau souffle à Hollywood. Paradoxal, donc, qu'une ressortie soit révolutionnaire. C'est pourtant bien le cas. La production américaine est viciée, abîmée par des suites inutiles (voir "Very Bad Trip 2", c'est mourir un peu) et des productions 3D à vomir ("Piranhas 3D", "Shark 3D", vivement "Algues de mer 3D" !!). La 3D est bien trop souvent une fin et non un moyen. Dans le cas du "Roi Lion", elle est un écrin. Fort de son succès, Disney ressortira, entre autres, "La Belle et la Bête" en 2012 et "La Petite Sirène" en 2013 : la technologie servira une nouvelle fois la poésie. Espérons que ce Roi Lion 3D - qui sortira finalement en France en février 2012 - inaugurera une nouvelle ère et un retour aux sources.
Ce que nous enseigne "Le Roi Lion" dans son infinie sagesse c'est qu'un film de 17 ans a bien plus de valeur qu'une star du même âge. Taylor Lautner, par exemple, le loup-garou de Twilight, a bien mérité sa déculottée au box-office avec son insipide "Identité Secrète". Elle Fanning, 13 ans, est bien mignonne mais elle ferait mieux d'aller à l'école. Pour son bien-être comme pour le nôtre. Le jeunisme qui gangrène Hollywood doit cesser. Une société obnubilée par la prépuberté est forcément décadente. Désolé mais la valeur attend bel et bien le nombre des années. Débarrassons-nous de Justin Bieber, des enfants de Will Smith et de Miley Cyrus (à la retraite à 19 ans) en les envoyant en colo. Laissons-les être ados avant d'être stars. "Le Roi Lion" est un film millésimé aux dialogues riches de sens (sauf ceux de Timon et Pumba), contrairement à une grande majorité de productions Red Bull dont on nous abreuve chaque mercredi. Aussitôt consommé, aussitôt oublié. "Les Schtroumpfs", en tête du box-office mondial depuis des semaines, n'est pas un film, c'est une lobotomie. Méditation philosophique sur la place que nous occupons dans l'univers, "Le Roi Lion" pourrait être un remède contre cette course effrénée au toujours plus et au toujours plus neuf.
Disney, en capitalisant sur un de ses vieux succès, nous montre que ce que nous avons de plus précieux est déjà en nous. Dans le film, le père de Simba vit encore en lui, même mort. Et si l'avenir, c'était le passé : un passé accepté et dépoussiéré, un passé en 3D ?