France 2 tourne actuellement au Canada son émission de Noël, "Soir de fête au Québec", programmée le 24 décembre en prime sur la chaîne. Un lourd dispositif technique et logistique, étalé sur cinq jours, produit en partenariat avec plusieurs chaînes francophones dans un lieu époustouflant, l'hôtel Sacacomie au nord de Montréal. A cette occasion, Nathalie André, directrice des divertissements et des jeux de France 2, a accordé un entretien à puremedias.com.
Propos recueillis par Julien Bellver
puremedias.com : D'où est venue cette idée, de venir tourner l'émission de Noël ici, au Québec ?
Nathalie André : Ce n'est pas mon idée, l'émission a déjà existé en 2004, aussi sur France 2. On se réunit chaque année avec la CTF, la Commission des Télévisions Francophones, pour réfléchir à des idées d'émissions qu'on pourrait faire tous ensemble. L'année dernière, on a pensé à refaire l'émission avec Radio Canada, la RTBF et la TSR. Et c'est Gérard Pullicino, réalisateur et producteur, qui est à l'origine de ce projet. Comme vous le savez, nous avons des budgets très restreints, l'association avec les autres chaînes permet donc de réduire la facture. On peut se payer le luxe de venir ici et de faire venir les artistes. Cette année, nous avons décidé de mélanger l'humour et la chanson, avec des artistes québécois et français.
Est-ce bien raisonnable, en ces temps de diète à France Télévisions, de venir tourner une émission à des milliers de kilomètres avec des coûts de production qu'on imagine très élevés ?
Pas du tout, c'est possible grâce à un échange avec le Québec. On a des accords avec tous les partenaires, pour l'avion ou encore ici, pour le logement. Le titre, "Soir de fête au Québec", est important, pour que le Québec puisse nous aider. C'est un budget de prime normal pour France 2, autour de 450.000 euros. Ce sont les nouveaux prix 2013 ! Il y a des acteurs de tous les pays qui participent au financement, tout le monde s'y retrouve.
Les artistes ont tous répondu présent ?
La plupart oui, à de rares exceptions près. Ce n'est pas facile de convaincre les artistes de partir cinq jours, ça leur demande beaucoup d'investissement entre les tournages des pastilles en extérieur et les tournages sur le plateau construit ici. Ils ne sont pas payés pour faire ça.
Il y a de moins en moins de variétés à la télévision, vous le regrettez ?
Je n'ai pas beaucoup de place, mes samedis sont occupés. Il y a par exemple Patrick Sébastien, très populaire, je tiens à beaucoup cette émission. On va refaire la spéciale Charles Aznavour, on l'enregistre au mois de janvier pour une diffusion au premier semestre, toujours avec Alessandra Sublet (la première a été un grand succès avec 4,2 millions de téléspectateurs, NDLR). C'est Charles Aznavour qui m'a apporté ce projet, son histoire autour du patrimoine de la chanson française.
La variété passe souvent par la télé-réalité. Le retour des télé-crochets sur les chaînes de la TNT, c'est une bonne chose pour l'industrie ?
Il faut voir, la Star Academy sur NRJ 12, j'ai trouvé le niveau de chant assez moyen. Concernant "Nouvelle Star", je pense qu'ils ont un excellent jury, Maurane va être formidable.
"Nouvelle Star" est un programme très service public non ?
Oui, "Nouvelle Star" pourrait être un format pour nous, tout comme "Incroyable talent". On doit faire les programmes à la hauteur de nos moyens, nous n'avons pas encore trouvé le talent show qui correspond au service public, on y réfléchit. "Sing Off" était un format pour le service public, il aurait sans doute mieux fonctionné si nous avions eu plus de temps pour le casting.
C'est compliqué de travailler à France Télévisions, dans un contexte budgétaire chaotique et une direction très changeante ?
Non, cela reste passionnant. Je travaille très bien avec mes patrons qui sont arrivés au mois d'avril. Philippe Vilamitjana (directeur de France 2, ndlr) a une véritable expérience du service public, j'aime travailler en équipe et c'est ce que nous faisons ensemble. Je dis toujours, "Aucun de nous en agissant seul ne peut atteindre le succès", c'est une phrase de Mandela que j'adore, je pense qu'on ne fait rien seul, on ne fabrique aucun succès seul. J'aime travailler en équipe, la nouvelle direction de France 2 est ouverte, agréable. Ca va être dur avec les nouveaux budgets, qui vont être terribles à partir du mois de janvier. Il va falloir trouver des solutions pour faire de belles émissions.
L'une des conséquences de ces restrictions budgétaires, c'est l'arrêt de l'émission de Bruce Toussaint à la fin de l'année. Vous trouvez ça normal ?
Je trouve cette situation très difficile pour Bruce, car on a beaucoup travaillé sur l'amélioration de son émission, elle commençait à s'installer. Le producteur de l'émission, Pierre-Antoine Capton, a fait un vrai travail sur l'habillage, les magnétos, les chroniqueurs. Nous améliorions cette émission chaque semaine, notamment après les critiques de la première. On a beaucoup bossé, semaine après semaine. Quand vous avez de l'argent, vous faites une semaine de pilotes. Sur le service public, vous pilotez presque à l'antenne. Je pense souvent à l'époque où je faisais "Studio Gabriel" avec Michel Drucker. Les trois premiers mois, c'était la catastrophe. Le Parisien avait titré "Michel Drucker, le flop de la rentrée", on a fini l'émission à 57% de parts de marché ! Une émission ne s'installe pas en trois mois, cela n'existe pas.
Vous croyez au nouvel access, qui sera lancé en janvier avec Nagui et Patrick Sabatier avant le JT de 20 heures ?
"Mot de passe" a toujours été baladé dans la grille de France 2, cette nouvelle programmation devrait permettre aux téléspectateurs de découvrir le jeu, qui s'est arrêté à 13% de parts de marché en septembre dernier. Ce double jeu en access, c'est une décision obligatoire à cause de la coupure pub. J'y crois, car il a été imaginé par tout le monde. Et je voudrais qu'un jour on puisse faire des choix sans être critiqué avant que cela commence.
Vous tenez pour responsable de cette situation Nicolas Sarkozy, qui, lorsqu'il a décidé de supprimer la publicité après 20 heures, a bousculé le modèle économique du service public ?
Je ne suis pas capable de vous parler de ça, je n'étais pas là quand cette décision a été prise.
Peut-on continuer à fabriquer une télévision publique de qualité avec ces nouvelles règles budgétaires ?
On peut si on laisse la possibilité à de nouveaux producteurs d'arriver avec de nouvelles méthodes de travail. "Hebdo musique mag" le samedi matin par exemple, trois jeunes producteurs travaillent avec des méthodes nouvelles. Leur budget est ridicule mais ils arrivent à sortir un beau magazine, très apprécié des téléspectateurs, des artistes et des maisons de disques. Ce qui est difficile, c'est de travailler avec des gens qui ont beaucoup de talent et qui forcément, sont plus chers. Je ne crois pas aux amateurs dans ce métier, je travaille avec de grands professionnels, ça a un coût. Sur la spéciale Céline Dion par exemple, on ne la fait pas sans moyens. Comme nous n'avions pas beaucoup de budget, on a regroupé avec l'émission "Simplement pour un soir", on s'est débrouillés pour que Céline soit contente de venir sur France 2 dans de bonnes conditions de production. Si nous n'avions pas pu grouper le tournage par exemple, les moyens auraient été moindres.
Votre job, c'est donc de trouver des astuces pour réduire les coûts en 2013...
Exactement ! On doit trouver des astuces pour faire en sorte que les artistes aient envie de venir chez nous et offrir aux téléspectateurs des programmes de qualité.
La création coûte cher, France Télévisions n'est-elle pas condamnée à adapter des formats étrangers ?
Cela n'a aucun rapport avec le financement mais avec la crainte, on n'ose plus. C'est exactement le même problème en radio, il faut oser ! Je me battrai toujours pour programmer des artistes dont personne ne veut car ils ne sont pas connus, c'est exactement la même chose en télévision. Il faut de temps en temps avoir le courage de lancer des nouvelles créations. Toutes les chaînes en manquent par peur de ne pas faire d'audience. Les gens sont trop frileux, on a tous peur du lendemain.