En première ligne. Sébastien Charbit, aujourd'hui producteur du feuilleton à succès de France 3, qui a fêté ses 15 ans vendredi, a rejoint la grande famille de "Plus belle la vie" en 2015, d'abord aux côtés du producteur historique Hubert Besson. Depuis deux ans et demi, c'est à lui qu'incombe la lourde responsabilité de présider aux destinées de la série avec la productrice associée Michelle Podroznik, présente depuis le premier jour. puremedias.com a pu interroger Sébastien Charbit au cours de la journée spéciale 15 ans organisée dans les studios de la Belle de Mai, à Marseille, début juillet.
Propos recueillis par Christophe Gazzano. Montage vidéo réalisé par Florian Guadalupe.Sur la capacité à se renouveler après 15 ans d'existence.
Il y a deux manières de se renouveler : des nouveaux personnages - ceux qui sont arrivés et qui viennent avec leur lot de surprises, de passé inconnu, de découvertes, de mystères - et puis après il y a comment on re-convoque, comment on réinvente les personnages historiques de la série. Et là, l'exercice est forcément plus intéressant parce que ça veut dire qu'on compose avec leur passé et qu'on leur écrit un avenir qui est inattendu. C'est le cas avec Luna quand elle devient handicapée. On essaie de faire les deux : des nouveaux personnages et des nouveaux destins pour les personnages qu'on connaît déjà depuis longtemps.
"Sur Twitter, on est là pour critiquer"
Sur les remarques des fans sur les réseaux sociaux.
Chaque réseau social a sa grammaire et son mode de discussion. Sur Twitter, en général on est là pour critiquer ; sur Facebook, on est là pour critiquer et admirer un petit peu ; sur Instagram, on est plutôt dans un monde qui est ultra-positif où tout est beau... Quand on les regarde mis bout à bout, ce qui se dégage c'est qu'il n'y a pas les mêmes personnes, qui n'expriment pas les mêmes choses en fonction des réseaux sociaux. On les regarde, évidemment, mais si on pilotait la série uniquement en fonction des audiences du matin ou de Twitter, on changerait d'avis 50 fois par jour. La seule certitude, c'est qu'il n'y aurait pas d'épisode le soir-même. Comme on doit piloter une série où il y a 200 personnes qui travaillent chaque jour, on prend ça en compte quand il s'agit de traînes au long cours. Le public qui regarde ne se dit pas : "Je ne veux pas regarder un nouveau 'Plus belle la vie' ; je veux regarder le 'Plus belle la vie' que je connais, renouvelé". Ce ressenti est confirmé par les audiences, par les études qualitatives...
Sur la nouvelle concurrence représentée par "Demain nous appartient" sur TF1 et "Un si grand soleil" sur France 2.
Objectivement, c'est une formidable opportunité. De nombreuses personnes prévoyaient l'impossibilité pour trois feuilletons de coexister, mais si on regarde l'audience, tout le monde est dans ses chiffres et est plutôt très content. La réalité, c'est qu'il y avait un énorme manque en France en matière d'histoires quotidiennes. Finalement, cela a été comblé et chacun est venu avec sa spécificité et sa manière d'appréhender le sujet : un ton plus saga romanesque pour "DNA", un ton entre divertissement et société pour "Plus belle la vie", son ton propre pour "Un si grand soleil". On a travaillé de manière différente. Parfois, je lis qu'il y a des histoires qui sont comparables, mais il n'y a jamais les mêmes traitements. Ce ne sont jamais les mêmes personnages. Chaque équipe fait attention à ce que soit une proposition complémentaire. La preuve : 11 millions de Français regardent un épisode d'un feuilleton tous les soirs. Il faut se réjouir ! C'est de la croissance, du travail pour tout le monde, des histoires différentes... Après, ceux qui n'aiment pas ce genre-là ont plein d'autres choses à regarder, Dieu merci.
"La concurrence n'est pas arrivée avec les feuilletons"
La concurrence pousse à réinventer des choses, à tourner de manière différente. Mais la concurrence n'est pas arrivée avec les feuilletons. Elle était déjà présente avec Netflix ou des séries qui ont plus de moyens que nous. On est comme les gens qui nous regardent, on regarde des séries ailleurs et quand on n'a pas réussi à faire quelque chose, on se demande pourquoi. Cette question-là a animé les équipes qui ont lancé le feuilleton, que ce soit Hubert Besson, Olivier Szulzynger ou tous les gens qui étaient là au début. On a un point commun avec eux parce que c'est encore ce qui nous anime tous les jours.
Sur le potentiel de "Plus belle la vie" à durer aussi longtemps que "Coronation Street", diffusée depuis 1960 au Royaume-Uni.
Oui, pour trois raisons. "Plus belle la vie" est une série chorale : on a des départs dans la série et on les déplore, mais la vérité est que la série n'appartient pas à un personnage, pas plus qu'elle n'appartient à un auteur. C'est une oeuvre collective, cela offre donc une longévité plus tenable qu'une série qui ne dépend que de quelques personnages. Ensuite, le concept de "Plus belle la vie" est de suivre la vie des Français. Un concept large, faible diront certains, mais pour moi, il est fort car il permet de s'adapter à toutes les situations. On peut traiter de sujets de société, de thriller, de comédie romantique... Honnêtement, hormis les feuilletons quotidiens, quelles sont les séries qui peuvent se permettre d'aborder autant de genres ? A peu près aucun.
"On a 25 auteurs qui bossent à plein temps"
Enfin, dans d'autres pays, ces séries couvrent plusieurs générations. Quand on voit les chiffres d'audience réalisés encore par "Plus belle la vie" aujourd'hui, dans une télé qu'on dit en décrépitude et quand on voit qu'elle est piratée entre 300.000 et 350.000 fois par jour, plus l'audience en live, plus l'audience en replay, plus les audiences sur le site (plus de 6 millions de vues chaque mois) : c'est colossal. La question n'est donc pas de savoir combien de temps ça va durer, la question, c'est comment on se renouvelle pour rester intéressants. C'est ce qui nous anime, avec des personnages auxquels on est attachés au long cours et des sujets de société, des péripéties, des aventures, des difficultés, qui elles se renouvellent avec l'époque.
Et comme nos personnages, on traverse des difficultés qu'on n'avait pas prévues. C'est ce qui permet de faire durer le projet si longtemps. Je pense que personne n'est en mesure de dire quand ces projets s'arrêteront. Le jour où on n'aura plus d'idées ? On fait le maximum pour continuer à en avoir plein, on a 25 auteurs qui bossent à plein temps dessus pour cela. Ce sont des gens talentueux donc j'ai bon espoir que ça continue encore longtemps.