Fils de pub. Ce vendredi 2 juin, France 3 diffuse le documentaire "L'âge d'or de la pub", produit par Thierry Ardisson (Ardimages) et Philippe Thuillier (ADL TV). Ce film retrace l'évolution de la réclame audiovisuelle de la fin des années 1960 à aujourd'hui. Et pour incarner ce doc, l'animateur en noir commente la production, délivrant des anecdotes et décryptant les spots les plus marquants du petit écran. A cette occasion, le présentateur raconte sa carrière dans la publicité et analyse le rapport de la publicité à la société, auprès de puremedias.com.
Propos recueillis par Florian Guadalupe.
puremedias.com : Tout le monde connaît le Thierry Ardisson animateur télé, mais moins le Thierry Ardisson de la publicité. Comment êtes-vous entré dans ce secteur ?
Quand j'étais adolescent, j'avais fait un concours par correspondance où il fallait trouver des slogans. C'était pour la marque des chaussettes Stemm. J'avais fait : "Stem, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout". Les mecs m'avaient répondu : "Vous n'avez pas gagné le concours, mais c'est bien". Quand j'ai eu 19 ans, j'ai arrêté les études, j'en avais ras le bol de tout. Je suis arrivé à Paris. Je ne connaissais personne. J'avais 50 balles. Je me suis dit que j'allais faire de la pub. A l'époque, personne n'en faisait. Je suis allé chez Publicis mais ils m'ont dit : "Non, vous n'avez pas fait votre service militaire". Quand je suis ressorti, j'ai descendu les Champs-Elysée et j'ai vu une plaque, BBDO, agence de publicité. Je suis rentré dans l'immeuble et je suis monté au 7e étage. Je suis arrivé dans un truc avec des fauteuils Knoll et une moquette épaisse comme ça. Je leur ai dit : "Bonjour, je cherche du travail". Un type est arrivé et m'a demandé ce que je faisais. "Je ne sais pas, je cherche du boulot". Lui, il s'occupait de la promotion des ventes. C'est comme ça qu'au début, j'ai travaillé sur Prisunic et que j'ai inventé les "prisuniens" et "prisuniennes". Les filles avaient des perruques jaune, verte, bleue... On allait dans des villes pour ouvrir des Prisunic (magasin de commerce de proximité, ndlr). J'ai commencé comme ça.
"Je suis parti aux Etats-Unis régler mon problème de drogue"
A cette époque, vous ne faisiez pas encore de la création de publicités.
Non, mais par la suite, l'écrivain Yves Navarre a débarqué à l'agence. Il m'a trouvé très mignon. Il me dit : "Oh qu'il est joli ! Qu'est-ce qu'il veut faire ce petit garçon ?". Je lui réponds : "J'aimerais faire de la création, parce que la promotion des ventes, ce n'est pas mon truc". Ensuite, j'ai eu la chance de travailler pour TBWA. Ils venaient de fonder l'agence. Elle est devenue ensuite mondiale ! Donc, j'ai fait de la pub pendant presque une dizaine d'années. J'ai été très heureux dans la pub, mais sa finalité me semblait inintéressante. C'est là que j'ai commencé à me droguer. Je suis parti aux Etats-Unis régler mon problème.
Et quand vous êtes revenu...
Quand je suis revenu, je n'ai plus fait de pub. C'était l'époque du Palace (la salle de spectacle, ndlr) et des Bains Douches (une boîte de nuit, ndlr). J'ai travaillé dans un petit journal aux Halles qui s'appelait "Façade". Puis, un jour, un pote m'a dit : "Et si on faisait une agence de pub ?". J'ai dit oui. On a créé Business. Là, j'ai fait de la néo-réclame. J'ai inventé : "Quand c'est trop, c'est Tropico", "Lapeyre, y'en a pas deux", "Chaussée aux moines, amen !", "Ovomaltine, c'est de la dynamite !". On a été les premiers à faire des spots de 8 secondes avec un slogan très fort. Comme ça durait 8 secondes, les petits annonceurs pouvaient passer à la télé. On avait une politique d'achat de week-end. Dans un week-end, on bastonnait 50 spots de 8 secondes.
"Tout ce que j'ai appris dans la pub, je l'ai appliqué à la télé"
Des techniques qu'on retrouve ensuite dans votre carrière à la télé.
J'ai eu envie d'utiliser les méthodes que j'ai apprises dans la pub pour l'appliquer non plus à des produits, mais à des artistes. C'est comme ça que j'ai fait "Bains de minuit", ma première émission de télé notable. La pub a été pour moi une grande école, mon université. Je ne savais rien foutre à 19 ans et quand j'ai quitté la publicité, je savais faire des petits films, des annonces, des affiches, des messages radios, etc. Tout ce que j'ai appris dans la pub, je l'ai appliqué à la télé. Quand je suis arrivé dans ce milieu, j'étais ultramoderne parce que j'ai été élevé dans cette pépinière très influencée par les Etats-Unis.
Pensez-vous que la publicité vous a donné des facilités pour faire de la télévision ?
Oui. Beaucoup. Dans la publicité, j'ai appris à rationaliser la création. Quand on pose un problème créatif, tu dis : "Est-ce que je fais une démarche produit, une démarche sex appeal, une démarche humour ou une démarche grand spectacle ?". Cette façon de rationaliser la création, c'est-à-dire ne pas partir tout de suite sur une idée, mais poser le problème de façon logique, ça m'a été super utile. J'ai eu une démarche quasiment marketing dans la création.
"La pub récupère l'avant-garde de la société"
Comment a débuté la production de ce documentaire sur France 3 ?
J'avais eu envie de rendre à la pub ce qu'elle m'a donné. Je voulais montrer aux gens cette époque bénie où il y avait beaucoup de libertés et de créations. C'est un peu un retour à l'envoyeur. Je veux dire merci à la pub et montrer ce qu'était la pub à l'époque. Comme j'ai fait de la pub, je peux expliquer dans le docu comment les publicitaires vous arnaquent. (rires)
Qu'est-ce que la publicité dit de la société ?
Avec Philippe Thuillier, mon co-producteur, on est parti sur une approche sociologique. Avec la chaîne, on voulait montrer en quoi la pub influence la société et en quoi la société influence la pub. Au bout de trois semaines, j'ai appelé Philippe pour lui dire que c'était chiant. Moi, je pense que la pub n'influence pas la société. Je pense que la pub récupère l'avant-garde de la société. Quand tu es publicitaire, tu regardes les nouvelles tendances et tu essayes de les attribuer à ton produit. Mais la pub n'influence pas du tout la société.
"En France, il y a eu une espèce de divorce entre le public et la pub"
Pour vous, la publicité française est-elle la plus belle du monde ?
Disons qu'il y a une embellie. En France, il y a eu une période faste avec Philippe Michel et Jacques Séguéla. Il y a eu une publicité française excellente. Pourquoi ? D'abord, il y avait de l'argent. Après, il y avait une volonté d'étonner et une grande liberté. Jusqu'au jour où sont arrivés les cost-controlers, qui ont commencé à dire aux annonceurs : "Vos films, vous les payez trop chers". Mais il y a eu aussi le fait que la pub a commencé à couper les programmes. Avant, la pub, c'était une récréation entre deux programmes. Tu allais te chercher une bière dans le frigo. Ca te faisait un break entre deux émissions. Ce qui était une récréation est devenu une punition. Puis, la pub s'est moins intéressée aux gens. Il y a eu une espèce de divorce entre le public et la pub. Je ne dis pas qu'aujourd'hui il n'y a pas de bonnes pubs. Mais à l'âge d'or de la pub, il y avait le Festival de Cannes de la pub - avoir un Lion d'Or à Cannes, c'était vachement bien -, des articles tous les jours dans les journaux pour parler des pubs marquantes, "Culture Pub" sur M6, les gosses qui en parlaient à la récré, les parents en discutaient à la machine à café... La pub était dans la société. On en riait. On en débattait. Les enfants disaient à l'école : "Hé, Maurice ! Tu pousses le bouchon un peu trop loin !". Ca, ça a disparu. Aujourd'hui, la pub s'est un peu refermée sur elle-même, elle est bunkerisée. A présent, on a des pubs sur les voitures électriques qui sont assez ésotériques dans des univers de science-fiction. Ou des pubs de hard-discount... Il n'y a plus toute cette finesse qui faisait que les gens appréciaient regarder la pub parce qu'elle a été bonne.
N'est-ce pas aussi la stratégie du slogan, qui devait entrer dans le langage courant, qui a un peu disparu ?
Bien sûr, il y avait beaucoup de slogans que les gens répétaient et les transformaient à leur sauce. C'était dans l'air du temps. Moi, la pub que je préfère, c'était chez TBWA, mais ce n'est pas moi qui l'ai faite. C'était pour les handicapés physiques. Le gouvernement voulait que les entreprises engagent des handicapés physiques. On voyait un mec sur une chaise roulante. Devant lui, il y avait un téléviseur à l'envers. Le mec dévissait le capot à l'arrière. Il y avait écrit : "Ce que vous voyez sur cette image, c'est un téléviseur qui répare un homme". C'est magnifique ! Grandiose ! Il y avait des trucs d'excellentes qualités !
"Demain, on me demande de faire une campagne de pub pour Free ou Renault, j'y vais avec plaisir"
Comment l'évolution de la publicité a affecté la télévision ?
Ce raisonnement que j'applique à la pub, on peut l'appliquer en effet à d'autres choses en France. En télévision aujourd'hui, il n'y a plus une volonté d'étonner. En septembre, quand il y avait les conférences de présentation des programmes, tout le monde voulait étonner tout le monde. Il n'y a plus la volonté d'étonner dans tous les milieux. C'est un mouvement général. Je pense que les chaînes aujourd'hui sont prudentes et veulent acheter de gros formats qui ont marché ailleurs, ce qui tue la production française. Des producteurs comme moi, bientôt il n'y en aura plus. S'ils continuent à acheter les formats qui marchent en Corée du Sud ou aux Etats-Unis, il n'y aura plus de boulot pour nous. C'est mon côté Jean-Pierre Coffe ! (rires)
L'arrivée des nouvelles technologies avec le smartphone ou les réseaux sociaux a peut-être aussi joué, non ?
Le réseau social te touche personnellement. Ca, c'est imbattable. Une campagne de pub à la télévision, c'est un tapis de bombes, c'est-à-dire que tu mets des bombardiers jusqu'à ce que la ville soit rasée. Tu finis par y arriver, mais tu tues beaucoup de gens. Le réseau social, lui, te frappe directement. Il arrive à te proposer une publicité ciblée. Les annonceurs dépensent alors moins d'argent en pub. Comme il y a moins d'argent, il y a moins de talents et les films sont moins créatifs.
Pourriez-vous aujourd'hui refaire de la publicité ?
Oui. Sans problème. Tout le monde croit que je suis un animateur télé. Ce que je ne réfute absolument pas. Mais mon vrai métier, c'est concepteur. J'ai commencé dans la pub en tant que concepteur. Aujourd'hui, je crée des concepts d'émission. J'ai des idées et j'ai envie de les voir à l'écran. Le jour où je n'ai plus d'idées, je m'arrêterai, mais aujourd'hui, j'en ai toujours plein. Demain, on me demande de faire une campagne de pub pour Free ou Renault, j'y vais avec plaisir. Je n'ai pas de mépris pour la pub. Ce n'est pas un art mineur.
La suite de l'entretien à retrouver demain sur puremedias.com.