[media id=4434462 format=620x0][/media]
Cela fait vingt ans qu'il chante et qu'il remplit les salles. Pourtant, on a l'impression qu'il ne figure toujours pas parmi les grands noms de la chanson française. A l'occasion de la sortie de son nouvel album au printemps dernier, "Je suis au paradis", Thomas Fersen s'est prêté au jeu des questions de puremedias.com et évoque sa place dans les médias mais aussi la crise du disque. Entretien.
puremedias.com : Il y a peu d'interviews de vous en fait...
Thomas Fersen : Vous avez tort. Le dossier de presse est assez conséquent et je donne beaucoup d'interviews en province parce que je tourne beaucoup.
Pourquoi on a cette impression de vous voir assez peu ?
Vous me posez une question à laquelle vous avez peut-être une réponse mais, moi, je n'en ai pas. A part que je suis un peu à l'écart parce que j'ai aussi choisi d'être un peu à l'écart dans la vie, socialement, et par le genre de choses que j'ai envie de raconter.
C'est quoi être à l'écart socialement ?
Le métier que je fais est un métier particulier, en dehors de la société mais c'est paradoxal car la société aime bien ça. Ça donne une bouffée d'air frais je pense mais bon, ça peut ne pas durer, ce n'est pas un statut.
(il interrompt) Ce n'est pas un statut et ça peut s'arrêter du jour au lendemain.
Est-ce que vous refusez des choses ? On vous voit très peu à la télé.
On m'invite très peu.
Comment vous l'expliquez ?
C'est marrant cette question parce que ce n'est pas à moi qu'il faut la poser. On ne pose pas la question à quelqu'un qui n'est pas invité pourquoi il n'est pas invité. Je peux vous donner des réponses que je peux imaginer mais je ne peux pas vous donner de réponse. Et c'est aussi peut-être parce que vous ne regardez que la télé car je donne chaque semaine des interviews à la presse, notamment en régions.
Et vous imaginez quoi alors ?
Je pense que mes histoires, avec mon balafré, ce sont des choses qui heurtent... Enfin, même pas, je n'ai pas de réponse, je ne peux pas répondre. Je ne suis pas people.
Vous avez une image d'artiste un peu hors-système, branché sur une certaine catégorie du public.
Oui, sans doute mais on se trompe aussi là-dessus. Il y a un déficit de communication sur ce que je suis vraiment, c'est sans doute aussi à cause de moi, ne serait-ce que parce que j'ai un pseudonyme, ça commence comme ça. Tout est flou chez moi quand on ne me connait pas. Et je pense que c'est un désintérêt total de la télévision... Enfin, pas total. Vous dîtes que je ne fais pas de télévision mais j'y vais. Il n'y a pas un album que j'ai fait sans que je sois allé chez Drucker où j'ai été invité par Daniel Auteuil, Serge Lama, Vanessa Paradis... Et il faut dire aussi que je suis toujours en tournée et il y a des émissions qui, par exemple, ne se tournent que le jeudi or je ne suis jamais libre. Je n'ai pas fait Ruquier par exemple parce que ça se tourne le jeudi et que je suis en concert. Je ne vais pas annuler un concert pour une télé.
Est-ce que vous estimez avoir du succès ?
Est-ce que j'estime avoir du succès ? Mais cette question est formidable ! Un mec m'a dit lors de la sortie de mon quatrième album "Est-ce que vous pensez un jour avoir du succès ?" Alors que j'avais vendu...
Mais ce n'est pas ce que je vous demande. Je vous demande si vous estimez avoir du succès alors que vous n'êtes justement pas dans ce circuit médiatique traditionnel des grands médias alors que vous vendez des disques.
Le succès, c'est vendre des disques et avoir du monde au spectacle, ce n'est pas passer à la télé, ça ne rapporte rien, que des emmerdes. Du succès, oui. J'ai vendu plus d'un million d'albums, ça fait vingt ans que je fais ça, j'ai rempli au printemps sept Cigale à Paris et il y en a qui passent à la télé qui en font moins (rires). Je n'ai pas de problème avec ça. Et la télé ne s'intéresse pas à la chanson car le public de la télévision ne s'y intéresse pas. Et comme le service public ne joue pas son rôle culturel, je parle surtout de France 2 et France 3, par rapport au rôle que joue France Inter. Si on rêve, on imagine une télévision qui joue le rôle de France Inter : à part Arte, il n'y en a pas. France 2 et France 3 ont pris d'autres options, j'imagine notamment celle de courir après TF1.
La radio joue plus son rôle ? Vous évoquiez France Inter qui est partenaire de votre disque. Sur quelles stations passez-vous ?
Un peu sur Europe 1. Il y a eu des périodes où Europe défend la chanson comme dans les années 90 et là, c'est revenu, donc j'ai fait beaucoup d'émissions chez eux. J'ai longtemps été diffusé par RTL, moins à une période au début des années 2000 et là, ils me rejouent un peu. Sinon, sur les réseaux, pas un passage en vingt ans de carrière. Je n'ai pas d'amertume et j'y réponds parce que vous me posez ces questions qui ne m'intéressent pas vraiment pour dire la vérité.
Quand on vous voit sur scène, on vous imagine très bien au théâtre ou au cinéma voire seul sur scène.
Je ne sais pas si j'en suis capable. Pour l'instant, c'est moi qui suis capitaine de mon projet et ça, c'est extraordinaire. Je pourrais être seul en scène mais il faudrait que ce soit moi qui écrive. Mais il faudrait que j'en ai l'intuition, ça ne se décrète pas. C'est comme si je disais que je veux être président de la république ou champion de natation, il faut en avoir les moyens.
Vous ne parlez pas de politique dans vos chansons...
Mais que voulez-vous que je dise ? La chanson engagée politiquement est un genre mais ce n'est pas "le" genre de la chanson. Et je n'ai pas envie d'alourdir mes chansons en reprenant ce que je lis dans le journal, je ne vois pas l'intérêt. J'aimerais bien faire de la chanson sociale mais il faut que je trouve la forme. Et, contrairement aux apparences, toutes les chansons engagées qui fonctionnent ne fonctionnent pas parce qu'elles ont un bon fond mais une bonne forme. La forme, c'est une phrase, une façon de tourner la chanson, un style... C'est difficile à faire.
On a déjà tenté de vous récupérer politiquement ?
Bien sûr. J'ai des idées, des convictions, des sensibilités en tant que citoyen, j'ai une sensibilité humaniste, des choses qui me troublent mais il se trouve que, pendant longtemps, les artistes, parce qu'ils étaient de gauche, soutenaient le PS. Mais comme le PS a essayé de nous entuber dans les années 2000 avec la licence globale, ça refroidit un peu. Se faire trahir, ça fait mal, ils se sont tirés une balle dans le pied. Ils ont voulu faire du populisme en disant "Oui, c'est gratuit" mais non.
Vous estimez d'ailleurs être épargné par tout ce qu'on a coutume de résumer sous le terme "la crise du disque" ?
Absolument pas, c'est la crise totale.
Ça se concrétise comment ?
Vous prenez les ventes d'il y a cinq ans, vous les divisez par cinq. La production est beaucoup plus difficile, on fait travailler moins de gens et en tournée, c'est pareil. Je suis devenu mon propre producteur justement parce qu'il y a cette crise du disque parce qu'à l'issue de mon contrat chez Warner, je ne trouvais personne pour investir sur des chansons comme "Le Balafré" ou "L'enfant sorcière". Ça piétinait donc je suis devenu mon propre producteur pour garder mon autonomie et ma liberté. Tout le monde a peur quand vous arrivez avec une chanson avec le mot "mort"... Avant, ce n'était pas le cas. Ça, c'est la crise du disque, la liberté, la gratuité sur internet.
Et on a tenté de vous dire "Écoutes, refais les mêmes chansons qu'il y a quelques années" ?
Bien sûr, tout à fait, de la part de mon propre label et c'est d'ailleurs pour ça que je suis en licence avec ce label. Il y avait un blocage. La crise du disque amène un rétrécissement des moyens et la création diminue. Car la création, ce n'est pas que chez soi avec son petit ordi.
Et on fait quoi alors ?
On fait des choses mais on ne peut plus faire certaines choses. On est contingenté dans une certaine forme de travail. Je ne fais plus de clips par exemple donc tous les gens qui faisaient des clips font autre chose. Il n'y a plus de diffusion, ça coûte trop cher et ça ne rapporte plus rien donc personne ne veut produire un clip dans mon genre d'économie. Maintenant, les clips, ce n'est plus de la création, c'est juste faire le bellâtre.
Mais ce n'est pas tentant d'aller dans une grosse maison de disques pour avoir malgré tout plus de moyens ?
Mais ils ne veulent pas de moi, ils ne signent pas d'artistes comme moi. Ils préfèrent signer un jeune artiste en développement où ils auront la tournée, l'édition, le management. Et quand la prime de la nouveauté est passée, le gars se retrouve coincé dans une maison de disques qu'il ne veut plus le faire tourner et lui réaliser un disque.
De votre côté, vous êtes assuré de pouvoir refaire un disque ?
Mais de toute façon, c'est un métier précaire donc d'accord pour la précarité mais pas pour l'enfermement. Se débrouiller avec des bouts de ficelle pour faire un projet d'accord, mais demander l'autorisation à faire le disque avec des bouts de ficelles, ça devient dur.