Il y a un an encore, il présentait "Carnets de campagne" dans la case précédant "Le jeu des 1.000 euros" sur France Inter. Philippe Bertrand fait l'objet depuis le 5 août 2019 d'une plainte pour viol sur mineure, a révélé le journaliste Jean-Baptiste Rivoire dans une enquête étayée, publiée ce dimanche 11 juin 2023 sur le site "Off investigation".
Au printemps 1993, à l'époque des faits qui lui sont reprochés par Marie T.*, son ex-belle-fille âgée de cinq ou six ans à l'époque, Philippe Bertrand, qui en avait quant à lui près de 35, est journaliste à Radio France Provence à Aix-en-Provence. En couple avec la mère de Marie T., une femme divorcée et mère de deux enfants, il emménage un an plus tôt au sein du foyer familial, situé juste au-dessus des locaux de Radio France Provence. Il s'occupe régulièrement des enfants, notamment lorsque sa compagne entame une formation à la peinture et aux décors de cinéma. Le viol se serait produit un matin, alors que Philippe Bertrand habillait sa belle-fille.
"Je ne bougeais pas, j'étais terrorisée (...) je me souviens avoir mis un coup de bras dans le mur car je n'avais pas d'échappatoire", a-t-elle raconté lors de son audition du 5 août 2019, dont certains extraits ont été publiés par nos confrères. "Pour le viol en lui même, il ne l'a fait qu'une seule fois, par contre, les attouchements ont été certainement répétitifs", détaille-t-elle avant de demander "que justice soit faite". "Je veux juste qu'il réponde de ses actes devant la justice. Qu'il reconnaisse ce qui s'est passé, que ma famille me croit enfin".
Mais la plainte de la victime est restée lettre morte. Dans son récit, l'ancien rédacteur en chef adjoint de "Spécial investigation" – émission supprimée de la grille de Canal+ en 2015 par Vincent Bolloré – met en effet en cause les dysfonctionnements de l'institution judiciaire. Un an après son dépôt, le parquet d'Aix-en-Provence a, en effet, classé la plainte "sans suite en raison de l'extinction/prescription de l'action publique", apprend du parquet un proche de la victime dans un mail laconique reçu le 7 octobre 2022.
Or, la prescription ne s'applique pas encore dans ce cas précis. Réclamé par la plaignante – qui assure n'avoir jamais été prévenue de la conclusion du dossier par la justice – "l'avis de classement à victime", au-delà de confirmer qu'aucune enquête n'a été déclenchée, est par ailleurs entaché de nombreuses erreurs manifestes.
Le 7 juin 2023, Jean-Luc Blachon, l'actuel procureur d'Aix, a reconnu face à l'évidence auprès de "Off investigation" l'erreur de son prédécesseur et décidé de rouvrir l'enquête. "L'analyse des éléments présents en procédure permet de conclure que la décision prise en 2020 était juridiquement erronée. Les faits n'étant toujours pas prescrits à ce jour, j'ai donné pour instruction que l'enquête soit immédiatement reprise".
Une enquête dont Philippe Bertrand semble découvrir la teneur de la bouche du journaliste de "Off investigation". Il affirme "tomber des nues" et nie les faits. "Je n'ai jamais eu, enfin, de comportement suspect... (...) Je ne suis pas débile, pas malade mental, il n'y a jamais eu quoi que ce soit de ce genre". "Je n'ai jamais eu de comportement vis à vis d'une gamine, enfin c'est inqualifiable, c'est moi qui vais porter plainte, là... je veux avoir les éléments. Et enquêter", insiste le journaliste, aujourd'hui à la retraite, qui a incarné "Carnets de campagne" de 2006 à 2022.
Philippe Bertrand officiait donc encore à la Maison de la radio au moment de la dénonciation de ces faits. France Inter a été prévenue. Afin de donner de l'écho à la démarche de la plaignante, un ami à elle envoie en 2022 un mail à plusieurs médias, dont Radio France : "Savez-vous qu'une plainte pour viol à été déposée il y à 3 ans à Aix en Provence à l'encontre de M. Philippe Bertrand, journaliste sur France Inter ?", interroge-t-il. La médiatrice de Radio France s'en saisit.
Laurence Bloch, directrice de France Inter à l'époque, est prévenue à cette période. Dans la foulée, une juriste spécialisée en ressources humaines à Radio France répond à l'ami de la victime en mai 2022. Selon la direction de la communication de Radio France, contactée par puremedias.com, la juriste précise à l'ami de la victime qu'il "fallait plus d'éléments pour permettre à Radio France d'agir". À cet instant, rappelle-t-elle, "nous ne disposons que d'un mail. Sans la plainte (qui leur sera envoyée plusieurs mois après le départ de Philippe Bertrand à la retraite), sans procédure judiciaire ouverte, nous n'avions malheureusement aucun ressort pour agir".
Six mois plus tard, en novembre 2022, l'ami de la victime fournit à Radio France une copie de la plainte du 5 août 2019 mais Philippe Bertrand est désormais à la retraite : il a quitté France Inter le 1er juillet 2022. La juriste de Radio France répond ainsi à l'ami de la plaignante par courrier recommandé que les informations portées à la connaissance de Radio France relèvent bien d'une "gravité extrême", qu'ils ne sont en aucun cas "tolérables" ni "admissibles", rapporte "Off investigation". Mais "nous ne pouvons malheureusement aujourd'hui agir sur cette situation qui ne concerne plus un salarié de Radio France et qui semble par ailleurs toujours faire l'objet d'une procédure pénale en cours".
"France Inter n'aurait pas pu se substituer à la police et à la justice" et précipiter le départ imminent de son présentateur, conclut auprès de puremedias.com la direction de la communication de Radio France.
*Nom utilisé dans l'enquête de "Off investigation".