Les titres présentés à l'Eurovision ne sont pas toujours anodins. C'est le cas de celui choisi pour représenter l'Espagne lors du concours musical, qui se tiendra du 7 au 11 mai 2024 prochain à Malmö, en Suède. La chanson, intitulée "La Zorra", est interprétée par une chanteuse d'Alicante et son mari, qui forment le duo Nebulosa, jusque-là inconnu du grand public. Rien à voir pourtant avec le personnage masqué qui se bat contre l'injustice à l'aide de son épée. En fait, c'est la signification du mot "zorra" qui pose problème.
A priori, le terme désigne une "renarde", mais comme tout comme "chienne" en français, dans le langage courant espagnol, il prend des connotations négatives et misogynes, désignant tantôt une femme "facile" qui multiplie les partenaires sexuels, une "trainée", ou une "salope". Un double sens ambigu qui a permis à la chanson d'être validée par les organisateurs du concours, où les insultes et gros-mots sont normalement interdits. l'Union européenne de radio-télévision (UER), qui organise l'Eurovision, a ainsi déclaré qu'il existait "beaucoup d'interprétations du titre de la chanson" et conclu que le titre était "éligible pour participer au concours de cette année".
Pour la chanteuse María Bas, il s'agit de se réapproprier ce mot pour mieux le dénoncer, et en faire ainsi un étendard féministe. "On m'a souvent appelée chienne. Ce titre est une manière de transformer ce mot en quelque chose de beau", a assuré la chanteuse de 55 ans à la Radio-télévision publique espagnole (RTVE) après sa victoire au festival de Benidorm, où le représentant espagnol du concours est désigné chaque année. Son discours n'est pas sans rappeler une pratique courante dans les milieux militants : celle de détourner une insulte de son utilisation initiale pour qu'il perde son sens haineux. "Si je sors seule, je suis une chienne. Si je m'amuse, je suis la plus chienne. Si je prolonge et qu'il fait jour, je suis encore plus qu'une chienne. Quand j'obtiens ce que je veux (chienne, chienne), ce n'est jamais parce que je le mérite (chienne, chienne)" peut-on l'entendre chanter dans le refrain.
Mais le titre n'est pas au goût de certaines associations féministes espagnoles, qui voient l'idée de se réapproprier cette insulte sexiste comme une fausse excuse, et demandent le retrait pur et simple du titre du concours. La chanson "insulte les femmes de manière machiste", a écrit le Mouvement féministe de Madrid dans un communiqué, qualifiant d'"absurdité" l'idée de "prétendre laver l'offense en répétant qu'il s'agit de donner plus de pouvoir à la femme". La polémique est même montée jusqu'aux oreilles du gouvernement, qui s'est vu obligé de prendre position. La ministre de l'Égalité, Ana Redondo García, a défendu une "chanson drôle, qui rompt les stéréotypes". De son côté, le Premier ministre socialiste, Pedro Sánchez, a également fait part de son opinion : "Le féminisme n'est pas seulement juste, mais aussi divertissant, c'est pourquoi ce type de provocation doit nécessairement venir de la culture", a-t-il déclaré lundi sur la chaîne espagnole Sexta.