Le triomphe de "L'amour ouf", le dernier film de Gilles Lellouche, ne se dément pas : troisième plus gros succès français de l'année, le film, présenté à Cannes en mai dernier, caracole en tête du box-office après trois semaines d'exploitation, et devrait passer la barre des trois millions d'entrées cette semaine. Avec un casting intergénérationnel, une histoire d'amour qui traverse les décennies, et une réalisation visuellement léchée, ce film inclassable, entre comédie musicale, romance et thriller, semble rassembler tous les ingrédients d'un carton. Mais si l'on en croit l'accueil public et critique, un autre aspect du film semble avoir particulièrement contribué à sa popularité : sa bande originale, riche en titres emblématiques des années 80 et 90.
The Cure, Prince, Daft Punk ou encore NTM, cette BO éclectique, supervisée par Emmanuel Ferrier, a coûté cher aux producteurs Alain Attal et Hugo Sélignac, qui ont dépensé "environ 750.000 euros" pour utiliser les morceaux dans le film, ont-ils révélé dans une interview accordée à BFMTV. "Et encore, ça devait être plus cher, mais petit à petit, il y a eu une envie de Gilles de baisser un peu la voilure pour ne pas non plus faire un jukebox avec son film." Ces chansons, emblématiques et nostalgiques, accompagnent et soulignent les moments-clés du film, permettant au spectateur de voyager à travers les époques avec les personnages. Mais malgré cette playlist soigneusement élaborée, un titre, pourtant très cher au réalisateur, n'a finalement pas pu y figurer. Lors d'un entretien accordé à "Allociné", Gilles Lellouche a en effet confié qu'il rêvait d'inclure "Never Tear Us Apart", un morceau culte du groupe australien INXS.
Ce titre emblématique, également utilisé dans la série américaine "Euphoria", incarnait pour lui l'esprit et l'intensité qu'il souhaitait transmettre dans certaines scènes du film. Mais face au prix exorbitant des droits d'utilisation, le réalisateur a dû revoir ses plans. "Il y a une musique qui m'a échappé pour une question d'argent, de budget, parce que cette musique avait été prise dans la série 'Euphoria.' Et du coup, ils sont devenus fous, mais complètement fous au niveau des tarifs. C'est un morceau d'INXS. 'Never Tear Us Apart'. Donc, je me suis passé de cette musique, mais ça ne m'a pas manqué", confie le cinéaste. Le coût de cette chanson s'élevait en effet à 200.000 euros, un prix hors de portée pour le budget du film.
À titre de comparaison, les droits de "A Forest" de The Cure, une autre chanson présente dans le film, ont coûté 15.000 euros. "Les musiques vraiment essentielles au film, elles sont dedans", ajoute Gilles Lellouche. "Celles, en tout cas que j'avais dans la tête depuis 17 ans. C'est The Cure, c'est Billy Idol, Foreigner et le morceau de rap." Gilles Lellouche n'a pas été le seul à devoir faire des concessions sur la bande originale. François Civil, qui interprète l'un des rôles principaux, devait également jouer un morceau au piano dans une scène qui a finalement été coupée au scénario. Cette séquence, qui aurait intégré "The Year of the Cat" d'Al Stewart, avait initialement été écrite dans le script, mais le prix des droits de la chanson a contraint l'équipe à la retirer. "Celle-là, elle était marquée au scénario", confie l'acteur. "Elle était là depuis le début. Mais les ayants droit de ce groupe, Al Stewart, que personne ne connaît, sont devenus fous sur les tarifs", confirme le réalisateur.
Pour Gilles Lellouche, le budget consacré aux chansons du film a nécessité une gestion minutieuse et des choix stratégiques. En effet, le réalisateur a dû prendre en compte une condition particulière : les droits de "A Forest" de The Cure, dont il pensait que l'acquisition coûterait bien plus cher, étaient liés à une clause de parité. "Les ayants droits de The Cure nous ont dit : 'Attention, si un morceau est plus cher que le nôtre, on va s'indexer au tarif du plus cher'. Donc, si je commençais à prendre un morceau qui coûtait une fortune, ça augmentait tous les autres, et ça réduisait ma petite bourse !", raconte le réalisateur. Un système qui l'a contraint à faire des arbitrages pour rester dans le budget alloué.
La difficulté d'acquérir les droits de morceaux populaires reste un obstacle courant dans le cinéma français, où les budgets des films sont souvent inférieurs à ceux des productions américaines. En effet, les tubes internationaux sont rarement utilisés dans les films français, pour des raisons majoritairement budgétaires. Outre la question financière, le refus des artistes eux-mêmes ou des ayants droit sur l'utilisation d'une chanson peut également mettre fin à des négociations. Sasha White, superviseuse musicale, souligne sur BFMTV que "dans 90 % des cas, c'est une question de temps ou d'argent". Selon elle, en France, seulement une dizaine de professionnels exercent ce métier en plein essor, qui consiste à traduire l'univers des réalisateurs dans des choix musicaux adaptés au film.