Un débat dicté par l'émotion. Eliot Deval a ouvert la déclinaison estivale de "L'heure des pros", ce lundi 31 juillet 2023, avec le "témoignage absolument bouleversant" de Sophie, la mère d'Enzo. Alors qu'il rejoignait des amis, cet adolescent de 15 ans, maçon en apprentissage, a été tué, le samedi 22 juillet 2023, à coups de couteau par un garçon du même âge à La Haye-Malherbe, dans l'Eure. "Un mauvais regard" serait à l'origine du drame, selon le témoignage de la mère de famille, publié ce dimanche 30 juillet 2023 dans "Le Figaro".
"Maman en colère", Sophie "ne comprend pas, comme nous d'ailleurs, pourquoi personne ne parle de cette mort tragique", a repris Eliot Deval. "Pourquoi ce silence politique et médiatique ?", s'est interrogé le journaliste en écho aux propres questionnements de la mère meurtrie. "Pourquoi ne parle-t-on pas de mon fils ? Parce qu'il ne vient pas d'une cité mais d'une petite commune de 1.400 habitants ?", s'interroge-t-elle dans "Le Figaro", en référence à la mort de Nahel, tué par un policier le 27 juin 2023 à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine. "Parce que nous sommes dans le respect ?".
La journaliste Charlotte d'Ornellas a livré sa vision des choses. "Pourquoi est-ce que ce meurtre-là qui a été très clair et très lisible, pourquoi n'en parle-t-on pas ? Je crois qu'elle donne la réponse en réalité. Le profil de la victime n'intéresse pas (...), ceux qui font le plus de bruit dans le débat public ne s'en préoccupent pas", a-t-elle tranché sans nommer personne.
Eliot Deval de s'indigner : "Sur des faits aussi dramatiques, on était les seuls à couvrir (la) marche blanche (qui a suivi la mort d'Enzo) parmi les chaînes d'information. On était les seuls à donner la parole à ces familles bouleversées. (...) On pense à ce village qui est traumatisé dans l'indifférence absolue. Et c'est insupportable", a-t-il déclamé.
Avant de réclamer, sous le coup de l'émotion, une réforme de la justice des mineurs. "Il faut tout revoir", a-t-il jugé en réaction au geste du meurtrier présumé d'Enzo. "Est-ce que l'on considère que c'est un mineur quand on est capable de faire ça ou on le condamne comme un adulte. On le juge comme un adulte ?", a ensuite fait mine de s'interroger le présentateur sans rencontrer de contradiction.
Le mot de la fin est revenu à Charlotte d'Ornellas, selon qui la mère de famille demande "de la considération" de la part du pouvoir politique. "En fait, moi, j'ai envie de lui demander pardon", a-t-elle enchaîné, au bord des larmes. "C'est horrible, elle n'existe pas. Toutes ces familles de victimes qui parlent les unes après les autres et qui disent 'Est-ce que l'on peut seulement exister en fait ? On vient de perdre notre fils dans notre bled de 1.500 personnes, notre vie a basculé et on n'existe pas. Je ne sais pas mais moi j'ai honte en fait".
"Vous n'avez pas à avoir honte", l'a repris Eliot Deval. "Vous êtes malheureusement parfois, parce qu'il y a un climat politique et idéologique, mise en difficulté parce que vous avez le courage de porter haut ces voix-là". puremedias.com vous propose de visionner la séquence.
Une séquence qui pose aussi la question de l'utilisation de l'émotion à la télévision et, en particulier, sur les chaînes info. Attention au "gouvernement des émotions", nuançait ainsi le philosophe Pierre Le Coz en 2015. Au cours d'un entretien, accordé au journal du Centre national de recherche scientifique (CNRS), il estimait, en effet, que "le recours aux faits divers est la première des stratégies de ceux qui manipulent nos émotions".
Avant d'ajouter : "(Dans les journaux télévisés), l'information n'est plus sélectionnée en fonction de son degré d'importance réel, mais en fonction de son pouvoir de captation des émotions. L'utilisation des cas particuliers pour manipuler nos émotions est une autre forme de manipulation", analysait-il.
"Les médias jouent sur nos émotions archaïques", affirmait, de son côté, la sémiologue Mariette Darrigrand dans une interview accordée à "Elle" en 2013. "L'émotion archaïque sans cesse agitée dans ces métaphores autour du naufrage, c'est la peur. Or, plus nous vivons dans une société d'information tous azimuts, plus il devient vital de rester calme et lucide et de faire marcher – aussi – notre cerveau", préconisait-elle.