Critique. La fiction unitaire événement de l'année s'appelle, sans l'ombre d'une hésitation, "Jonas". Ce soir, à 21h, Arte proposera à ses téléspectateurs de découvrir ce téléfilm inédit, qu'elle co-produit avec En compagnie des Lamas, et signe la toute première réalisation de Christophe Charrier. Passionné de cinéma, ce dernier est un familier du petit écran puisqu'il travaille notamment pour Troisième Œil Productions, la société de Pierre-Antoine Capton. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que sa carrière de réalisateur démarre sous les meilleurs auspices puisqu'en septembre dernier, "Jonas" a raflé pas moins de trois prix lors du dernier festival de La Rochelle, dont celui du meilleur téléfilm et de la meilleure réalisation.
Ce polar protéïforme, qui oscille entre le drame profond et la romance adolescente, se construit autour du personnage de Jonas, incarné successivement par Félix Maritaud, vu dans le multi-récompensé "120 battements par minute" et qui avait crevé l'écran dans "Sauvage" de Camille Vidal-Naquet, et par Nicolas Bauwens, un jeune comédien repéré par Christophe Charrier. Félix Maritaud incarne Jonas à notre époque tandis que Nicolas Bauwens incarne ce même personnage dix-huit ans plus tôt. Le Jonas d'aujourd'hui, trentenaire paumé et prématurément abîmé, doit affronter les fantômes du passé légués par le Jonas adolescent, qui a vécu un événement traumatique.
Après une scène d'ouverture saisissante, qui annonce l'aspect hypnotique de cette fiction à part, le spectateur est promené, suivant une subtile mise en scène, entre les deux époques. Celle de l'adolescent collégien qui découvre l'amour en 1997 et celle de l'adulte, en perpétuelle fuite, qui tue le temps sur Grindr et traîne sa peine dans les boîtes gays de Toulon. Le temps de l'adolescence est lumineux, vivant, rapide sur fond de références bien choisies, de l'omniprésente GameBoy à Nirvana en passant par "Les Guignols". Le temps de l'adulte, plus long et plus sombre, ressemble, lui, à une douloureuse léthargie.
Brillamment mis en scène, ce film raconte tout à la fois une histoire d'amour, de deuil impossible et de lâcheté. La finalité de ce récit captivant se cache bien sûr dans le drame, tenu secret jusqu'aux dernières images, qui a façonné le personnage de Jonas. Félix Maritaud se glisse avec une facilité déconcertante dans la peau de cet animal blessé en quête de rédemption. Face à lui, les jeunes comédiens que sont Nicolas Bauwens et Tommy Lee-Baïk ne déméritent pas. Aura Atika, si elle n'arrive que dans la deuxième partie du film, incarne avec une grande justesse un personnage dont le regard est certainement l'un des plus touchants.
En définitive, tout est réussi dans cette fiction au format cinématographique, à l'esthétique soignée, à la superbe lumière orangée et à la musique choisie. Une fiction "made in Toulon", comme le titre fièrement "Var Matin", la ville d'enfance de Christophe Charrier, que le réalisateur a réussi à filmer "comme Los Angeles" selon ses propres dires. De quoi donner en plus un air de film américain à ce petit film français qui a pourtant tout d'un grand.