Balance ton sportif. C'est assez rare pour être souligné : "L'Equipe" consacre ce lundi sa Une et quatre pages, non pas à un exploit sportif, mais à un sujet de société, qui a longtemps été tabou, celui des violences conjugales dans le milieu du football professionnel. Le quotidien sportif publie le témoignage glaçant de Miriam (nom d'emprunt), ancienne compagne d'un footballeur professionnel, ex-pensionnaire de Ligue 1 toujours en activité, avec qui elle a vécu l'enfer pendant plusieurs années.
Le journal ne dévoile pas son identité, mais assure avoir "vérifié et validé tous les faits qui pouvaient l'être". Miriam, pour sa part, le désigne sous le nom de "Monsieur" pour signifier sa prise de distance. Elle a décidé de témoigner après avoir appris que le joueur avait frappé sa nouvelle compagne "y compris pendant sa grossesse". "J'ai peur qu'il finisse par tuer quelqu'un", assure-t-elle. Mère d'un enfant qu'elle a eu avec le joueur violent, elle n'a jamais porté plainte par peur qu'il s'en prenne de nouveau à elle ou même à son fils. "Il m'a fait subir tant de choses. Aujourd'hui, je réalise que j'aurais pu mourir", ajoute la jeune femme.
Selon Miriam, le sportif ne payait pourtant pas de mine. "Réservé et timide" à l'extérieur, il pouvait faire preuve d'une grande violence dans la sphère privée. "C'est difficile à croire en le voyant comme ça. Avec moi, il était très jaloux et pouvait changer de personnalité à tout moment", souligne Miriam, qui rapporte les coups de poing répétés dans le ventre, sur le visage et sur le reste du corps.
Lorsque Miriam a dû être évacuée à plusieurs reprises à l'hôpital parce que la violence était allée trop loin, son compagnon et elle ont multiplié les fausses excuses pour se justifier face aux médecins et ne pas éveiller les soupçons. "Je refusais toujours de porter plainte parce que j'étais très amoureuse de lui et que je voulais le protéger, lui et son football. J'espérais qu'il changerait, qu'il m'épouserait, qu'il me ferait un enfant", se justifie-t-elle. Le joueur l'a frappée une fois en public en 2016, sur le quai d'une gare, alors qu'elle avait décidé de le quitter. "J'étais enceinte de quatre mois et il m'a mis plusieurs claques", raconte-t-elle. Prise en charge par des policiers, elle a refusé une nouvelle fois de porter plainte.
Leur histoire s'est achevée peu après lorsque, persuadé qu'il n'était pas le père de l'enfant qu'elle portait, le joueur l'a passée à tabac avant de la mettre à la porte. Miriam confie aujourd'hui son intention de retourner en Afrique avec son fils, un continent dont elle est originaire, pour "essayer" de se reconstruire.
Outre ce témoignage, "L'Equipe" rappelle également les noms de six joueurs professionnels de football impliqués dans des affaires de violences conjugales depuis décembre 2016. Parmi eux, deux joueurs, Nicolas Douchez et Brice Dja Djédjé, font partie du club de Lens, actuellement en Ligue 2. Le premier, condamné, ne joue plus avec l'équipe première tandis que le second, dans l'attente d'un jugement, demeure titulaire.
Il y a quelques jours, en plein match, des supporters lensois n'ont pas hésité à déployer une banderole sur laquelle on pouvait lire : "Battez vos adversaires au lieu de battre vos femmes". Selon un spécialité interrogé dans "L'Equipe", l'omerta en vigueur depuis de nombreuses années dans le milieu sportif professionnel est en train d'être mise à mal par la puissance des réseaux sociaux. "Entre Facebook, Twitter et les autres réseaux sociaux, ça sort très vite, témoigne Laurent Liotard, référent de l'Etat dans le Pas-de-Calais dans la lutte contre les violences conjugales. Et les familles et l'entourage des joueurs y participent, en exposant leurs vies privées".
Le manager du RC Lens, Eric Roy, se montre pour sa part fataliste. "Pourquoi le foot ne serait-il pas touché pas tous les maux qui rongent notre société ?", s'interroge-t-il. Et "L'Equipe" de rappeler ce chiffre : en France, 88% des victimes de violences conjugales sont des femmes.