Le nouveau film d'Alain Resnais était très attendu par les festivaliers qui le considéraient déjà comme un prétendant sérieux à la Palme d'Or. Porté notamment par Sabine Azema, Anne Consigny, Anny Duperey, Mathieu Amalric et Pierre Arditi , le film suit un homme de théâtre qui, après sa mort, fait convoquer chez lui tous ses amis comédiens ayant joué dans différentes versions de sa pièce Eurydice. Il a enregistré, avant de mourir, une déclaration dans laquelle il leur demande de visionner une captation des répétitions de cette pièce : une jeune troupe lui a en effet demandé l'autorisation de la monter et il a besoin de leur avis...
Après la projection destinée à la presse tôt ce matin, toute l'équipe du film s'est prêtée à la traditionnelle conférence de presse. Morceaux choisis...
Question : Le titre du film est déjà un enchantement. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Alain Resnais : Je dirais qu'il s'est faufilé tout seul dans la salle de montage. On l'a dit d'abord en blaguant puis c'est devenu une espèce de proverbe entre Hervé de Luze (le monteur, ndlr) et moi. On ne pensait pas du tout que ça allait rester mais c'était écrit sur des boîtes et le laboratoire nous a renvoyé des étiquettes. Chaque spectateur à le droit de donner un sens particulier au titre, mais disons que ça n'a pas été fait avec une profonde intention. C'est une espèce de mascotte.
Ce film est un hommage aux comédiens et à l'interprétation. Comment avez-vous travaillé ensemble pour personnaliser votre propre interprétation (certains comédiens jouant le même personnage) ?
Sabine Azéma : Egoïstement, je ne me suis pas du tout occupée des autres. J'arrivais sur le plateau, je cherchais mon partenaire. Pierre Arditi principalement. Et je jouais Eurydice comme je pouvais devant Alain et j'étais surtout curieuse de voir le résultat final de ce film. Je voulais avoir la surprise, je voulais arriver à aujourd'hui. C'était assez mystérieux, je ne lui demande jamais ce qu'il va faire. Par contre j'avais ma partition précise : jouer cette amoureuse malheureuse, Eurydice. Je ne voulais absolument pas être influencée par ce que faisait Anne (Consigny, ndlr). Je crois que c'était plus intéressant comme ça.
Denis Podalydes : Je remercie vivement Alain pour cette expérience inouïe, tout à fait étrange pour moi et extraordinaire, puisque je ne voyais rien ni personne ! J'ai même fait une expérience de cinéma à domicile. On a d'abord tourné le pilote le la première séquence chez Alain, puis cette séquence nous l'avons tournée chez moi. Alain est venu à la maison, dans mon salon. Je n'avais toujours rien vu ni personne. Et un jour j'arrive sur le plateau et là tout le monde m'embrasse, me prend dans ses bras me disant "t'es pas mort, t'es pas mort, qu'est-ce qu'on est content". Un sentiment d'étrangeté absolue et d'extraordinaire familiarité !
Théâtre et cinéma ?
Alain Resnais : Il y a une chose qui me préoccupe depuis des dizaines d'années, c'est l'idée reçue selon laquelle il y a une opposition totale entre le théâtre et le cinéma. Que quand on joue au cinéma on ne joue pas de la même manière que sur scène. J'entends ça depuis l'âge de 14 ans.
La présence réelle est effectivement une énorme différence. Au théâtre on est un peu comme au cirque à ressentir l'anxiété que le trapéziste va se casser la figure. Mais on peut prendre les choses en les faisant basculer. Il me semble qu'il y a quelque chose de capital qui rapproche le théâtre et le cinéma : les acteurs. Cette gémellité on peut peut-être aussi s'en servir ! En tous cas c'est ce que j'ai tenté de démontrer dès mon premier film. Je ne sais pas du tout si j'ai réussi ni si j'ai raison, mais je l'ai fait avec naturel.
"Vous n'avez encore rien vu" est-il une revue de votre carrière ?
Alain Resnais : Pour moi il n'y aucune relation entre mes films. Je fais des films comme un bricoleur et j'essaie toujours de ne pas penser au précédent et surtout de ne pas me répéter. Si je m'étais rendu compte que ce film pouvait passer pour une espèce de testament, je n'aurais jamais eu ni l'audace ni l'énergie de le tourner.
Propos recueillis par Egil Bain (Cannes)