Elle défend, pour la première fois de sa longue carrière, un projet en tant que réalisatrice. Alexandra Lamy a accordé un entretien à puremedias.com à l'occasion de la diffusion, ce jeudi soir à 21h10 sur TF1, de "Touchées", téléfilm adapté de la bande-dessinée éponyme de Quentin Zuitton et primé au Festival de la fiction TV de La Rochelle le 17 septembre. Mélanie Doutey, Claudia Tagbo et Chloé Jouannet, fille d'Alexandra Lamy à la ville, interprètent Lucie, Nicole et Tamara, trois femmes victimes, par le passé, de violences conjugales et sexuelles qui tentent de se reconstruire grâce à l'escrime.
Avec sa franchise caractéristique, l'actrice revient pour nous sur ses premiers pas, ses tâtonnements parfois, derrière la caméra, évoque les particularités du tournage pour la télévision et annonce un nouveau projet de réalisation pour le petit écran.
Propos recueillis par Ludovic Galtier
Vous êtes de retour ce jeudi soir sur TF1 sans apparaître à l'écran. Une première dans votre carrière. Comment est née cette envie de réaliser un film pour la télévision?
Mon envie était de réaliser tout court. Ayant débuté au théâtre, je considère que chaque support apporte quelque chose. J'ai d'ailleurs toujours trouvé dommage que le cinéma ait livré pendant très longtemps en France une guerre stupide à la télévision. Je l'ai vu dans les réactions de professionnels du milieu quand je suis arrivée à Paris : "Ah, tu fais de la télé ? Tu ne feras plus jamais de cinéma...". Nous, les acteurs, ça nous a tous foutus dedans. On a perdu un temps fou ! Aujourd'hui heureusement, tout le monde vient à la télé. Ce que je dis souvent c'est qu'avant, c'était la télé qui regardait le cinéma et maintenant, c'est le cinéma qui regarde la télé...
Qu'est-ce que cela change de tourner pour la télévision par rapport au cinéma ?
C'est un peu comme au cinéma, sauf que l'on a beaucoup moins de temps. La vraie différence, elle est là, même si les temps sont durs pour le cinéma aussi. Après, à la télévision, nous n'avons pas autant la possibilité de faire des plans, de déployer des grues. Quand tu tournes pour la télévision, il faut quelque part être efficace. Être efficace tout en transmettant de l'émotion, ce qui est difficile. Mais je trouve que c'est la meilleure école, notamment dans l'écriture.
"J'ai dû renoncer à des scènes en prévision de la publicité"
C'est-à-dire ?
Dans l'écriture, il faut penser aux pub. Ce n'est pas 1h30 de film, ce sont deux parties de 45 minutes coupées par des pub. Au total, il y a trois pages de publicité (deux dans la première partie, une dans la deuxième, ndlr). Tout est minuté. J'ai donc demandé à TF1 l'heure des pages de pub pour prévoir une scène qui donne envie aux téléspectateurs de revenir. C'est minuté et c'est long la pub. En cinq minutes, tu débarrasses la table, tu vas faire pipi, tu vas prendre un chocolat. Si, en plus, tu n'as pas assez travaillé la scène précédant la pub, c'est fini. Le téléspectateur ne va pas laisser plus de chance au produit. J'ai donc dû renoncer à des scènes, faire des sacrifices énormes, qui m'ont arraché le coeur en prévision de la publicité.
Vous aviez jusque-là plutôt l'habitude d'être dirigée... Quels sont les réflexes que vous avez du acquérir en passant de l'autre côté ?
Ce qui est difficile, c'est de répondre à tout ! C'est-à-dire que toi, tu es dans ton texte, tu es avec tes acteurs, tu réfléchis au plan puis d'un coup, tu es interpellée par l'accessoiriste qui dit : "Dis donc là, ils sont à table, on met des verres en plastique ou on met des verres larges ? La nappe est à carreaux ? Rouge ? Vert ?". Là, tu te dis : "Merde, je n'avais pas pensé à tout". Donc le plus dur, c'est de gérer tous ces détails auxquels je n'avais jamais prêté attention. En tant que comédienne, tu penses à tes vêtements, à ton texte, à la lumière mais pas à tout ce qu'il y a derrière ! Et pourtant, tous ces détails racontent quelque chose de l'ambiance et d'un univers.
Et comment avez-vous géré ces "détails" alors ?
Sandrine Bonnaire m'avait suggéré de répondre à chaque interpellation sur le plateau : "Oui, j'arrive, deux secondes, je termine un truc. Comme ça, cela te laisse le temps de réfléchir à la demande, mais surtout ne dis jamais que tu ne sais pas". Et pourtant, parfois moi je l'ai dit ! Il m'est arrivé de dire : "Là, je ne sais pas !". C'est cela qui est génial quand tu es entourée de professionnels et c'est pas mal parfois de prendre le temps et d'écouter l'accessoiriste comme l'ingénieur du son. Après, il faut trancher parce que quand tout le monde commence à donner son avis, cela devient l'enfer. Mais j'aime bien cet état d'esprit parce que chacun peut apporter quelque chose.
"Chloé aurait été à chier, je ne l'aurais pas prise"
Cela a-t-il été spécial pour vous de diriger votre fille, Chloé Jouannet, sur le tournage ?
J'ai adoré ! Alors que dans la BD elle est brune, j'ai tout de suite imaginé Chloé dans le personnage de Tamara. Et je l'ai prise, vraiment, parce que c'est une bonne comédienne. Elle aurait été à chier, honnêtement, je ne l'aurais pas prise. Avec un sujet comme cela, pour ma première réalisation, elle n'aurait pas été à la hauteur, je ne l'aurais pas prise. Je n'aurais pas pris ce risque-là. D'abord parce que je me serais foutue dedans et je l'aurais foutue dedans. Et j'ai bien fait de la prendre. Chloé a cette fragilité qui se dégage du personnage de Tamara. Et en même temps, moi je l'appelle parfois "Mon petit dragon". Chloé n'a pas ce côté angélique, blonde, mignonette, gentille... Non ! Chloé n'est pas rose à l'intérieur, au fond d'elle c'est noir ! Ça rentre dedans, ça s'énerve, ça explose, c'est fragile, ça pleure, ça se fait mal ! Je me suis dit qu'elle serait formidable pour le rôle. Et en plus qu'en tant que mère, je saurai très rapidement la faire partir. Chloé est engagée, quelqu'un de proche d'elle a été touchée par l'inceste et elle avait envie de jouer ça. Et elle m'a donné plus que j'espérais, elle m'a émue.
"Il faut en finir avec la prescription"
Parlons du scénario. "Touchées" est l'adaptation d'une bande dessinée de Quentin Zuttion. Le téléfilm raconte le parcours de femmes violentées par leur conjoint, victimes de viol collectif ou brisée par l'inceste et qui se reconstruisent grâce à l'escrime. Quel a été votre part de liberté par rapport au texte original ?
Je remercie encore Quentin, pour qui cela n'a pas du être facile de lâcher son bébé. Il nous a laissés une liberté totale. Dans la BD, on ne suit pas tous les personnages, ce n'est pas tout à fait la même histoire. Pour la télévision, il fallait intégrer une part de suspense, que l'on a moins dans la BD, beaucoup plus centrée sur l'humain, l'émotionnel. L'adaptation est un art difficile. Beaucoup de gens n'aiment pas que leur livre préféré soit adapté. Forcément, on a lu un truc et quand on l'adapte au cinéma, on amène autre chose sinon cela n'a aucun intérêt.
Quelle a été la patte Alexandra Lamy ?
Sans le souligner directement, je tenais à ce que l'on retienne que les violences conjugales ou sexuelles sont universelles. Je ne suis pas venue en disant "Regardez, je vous ai mis toutes les classes sociales..." mais je voulais que cela apparaisse l'air de rien. Je voulais que l'on sente que Lucie (Mélanie Doutey) a été, par le passé, une femme d'affaires, une grande architecte... Ce n'est pas parce que tu as un grand niveau intellectuel que l'on ne peut pas te mettre l'emprise dessus. Geneviève, dès le départ, quand elle dit : "J'étais faite pour le bonheur, quand il m'a mis une gifle, je lui ai dit ne recommence jamais ça, il l'a fait pendant vingt ans", ça veut dire aussi qu'il y a des femmes de tous les âges. Les violences n'appartiennent pas qu'à une seule classe sociale, cela touche aussi une gamine de 20 ans, cela touche tout le monde.
L'escrime permet peu à peu à ces femmes de reprendre confiance en elles et de faire confiance aux autres. Pourquoi l'escrime ?
L'escrime permet de faire sortir des "énergies meurtrières", c'est-à-dire la violence que notre corps a encaissé, cette rage. Il faut que cette violence sorte sinon elle se traduira par des maladies, des déprimes, des suicides. Dans le film, Nicole (Claudia Tagbo) traîne son traumatisme depuis 35 ans... Beaucoup de gens m'ont dit, au cours des débats que j'ai pu faire autour du film, qu'ils ne pensaient pas que c'était si long, que cette violence que l'on a subi à l'âge de 10-12 ou 15 ans, à 50 ans, tu la payes encore. C'est pour ça qu'il faut en finir avec la prescription. C'est cela, la double peine de la victime, tu vas souffrir toute ta vie et une fois que tu commences à parler, on te rétorque que c'est trop tard : "Puis bon, ça va hein !". C'est horrible et donne le sentiment que cette souffrance ne sera jamais reconnue.
"Ce n'est pas un film de violence mais un film sur la reconstruction"
La télévision propose des séries ou des téléfilms sur le sujet des violences conjugales "Elle m'a sauvée" ou "A la folie" avec Marie Gillain, "L'emprise" avec Odile Vuilemin... En quoi votre proposition se distingue-t-elle ?
Aujourd'hui, la parole se libère, c'est super mais maintenant tu te dis "Et donc ? Qu'est-ce qu'il y a derrière ?". Ce que j'ai aimé dans ce film-là, c'est qu'il ne s'agit pas d'un film de violence mais d'un film sur la reconstruction. Et cela concerne les femmes et les hommes. À chaque fois que j'ai organisé un débat autour du film, les hommes sont les premiers à prendre la parole. Ce sont toujours les hommes qui prennent la parole.
Comment l'expliquez-vous ?
D'abord, parce que ça parle de sororité, donc d'amitié, c'est pour cela que tout le monde s'y retrouve. Les victimes ne sont pas que des femmes, ce sont aussi des hommes, qui ont pu subir, dans le monde du sport par exemple, des violences sexuelles quand ils ont été enfant. Un homme est venu me voir et m'a dit que mon film l'avait touché et il m'a expliqué : "Moi, ça m'est arrivé d'être violent avec ma femme. Quand j'ai vu ce film-là, je me suis dit : 'Putain, ah ouais, c'est dur. Je fais du mal. En fait, on met du temps à se reconstruire, en fait ce n'est pas juste une gifle'". Et quand un mec vient te dire ça, tu te dis "Wouah". C'est un film aussi sur les associations. Je voulais mettre un tout petit coup de projecteur et dire que n'importe où, dans n'importe quelle ville, dans n'importe quel village, il y a des associations qui seront toujours là pour vous aider.
"Les jeunes continuent de me reconnaître grâce à 'Un gars, une fille'"
À la télévision, on vous a vu sur TF1 dans la mini-série "Une chance de trop" en 2015, puis dans "Après moi, le bonheur"... Avez-vous une relation à part avec cette chaîne ?
Avec TF1, ça c'est fait comme ça. Ils m'ont laissé une liberté énorme sur le Harlan Coben. "Après moi, le bonheur" pareil... Et là, ils me laissent cette même liberté. Écoutez, moi je resigne.
TF1 d'ailleurs va fêter les 20 ans de "Un gars, une fille", sitcom qui vous a rendu célèbre et proposé à l'époque sur France 2, avec des sketchs revisités par d'autres acteurs. Avez-vous été sollicitée pour y participer ?
Non, je l'ai appris comme ça. Je n'y participerai pas mais je trouve ça génial. Quand on fait partie d'une série culte, on ne va pas cracher dessus. C'est génial de pouvoir se dire : "Oui, j'ai fait ça". Peut-être qu'un jour, Alexandra Lamy sera associée au nom série culte (rires). C'est génial de se dire que c'est encore diffusé que les jeunes continuent de me reconnaître. Ça veut dire que je ne me suis pas encore pris un gros coup de pelle.
Avez-vous été surprise que cet anniversaire ait lieu sur TF1 plutôt que France 2 ?
C'est vrai que c'est bizarre. TF1 a peut-être chopé le truc plus vite. Après, je ne ferme la porte à aucun diffuseur. Si demain Arte, que j'adore, me propose de faire un truc, je serai ravie d'aller avec eux. Je n'appartiens à personne.
"Je travaille à la réalisation d'un téléfilm historique"
Avez-vous d'autres projets à la télévision ?
Je ne peux pas encore en parler en détail mais je travaille sur un nouveau projet pour la télévision en tant que réalisatrice. Pour l'instant, j'écris. Mon producteur, Philip Boeffard, m'a proposée de faire ce film-là...
Un nouveau téléfilm sociétal ?
Peut-être un truc un peu plus historique, sans doute avec des costumes... Puis j'aimerais bien le tourner avec ma soeur (Audrey Lamy, ndlr). Les professionnels ne le savent pas assez mais c'est une grande comédienne.
On vous a vu dans "Lol : Qui rit, sort !" sur Amazon Prime Video. Serez-vous là dans la saison 3 ?
Je ne pense pas mais je leur ai dit que ce qui serait bien maintenant, c'est qu'ils fassent quatre ou cinq saisons, qu'ils prennent les gagnants et les demi-finalistes de chaque saison et fassent une saison "all stars" de "Lol".