Une page de la télévision se tourne. "Plus belle la vie" va s'arrêter définitivement selon une information du "Figaro" publiée ce jeudi. Le plus ancien des quatre feuilletons quotidiens actuellement diffusés sur les chaînes historiques, près de 4.500 épisodes au compteur, a été lancé le 30 août 2004. Ce soir-là, à 20h20, France 3 faisait le pari audacieux de la contre-programmation face à deux mastondontes, les éditions du "20 Heures" de TF1 et France 2.
C'est le début d'une série du quotidien et une réponse tardive à l'irruption de la télé-réalité en France, à en croire Vincent Meslet, à l'origine du lancement de "Plus belle la vie". En réaction à l'ovni "Loft Story" sur M6, "on s'est dit : 'nous, service public, qu'est-ce qu'on fait face à ça'", assurait-il à "Libération", qui lui consacrait un portrait en septembre 2015.
À ses débuts, la série au générique reconnaissable entre mille reprenait effectivement à son compte plusieurs codes de la télé-réalité d'enfermement avec une unité de lieu, Marseille, son soleil et la célèbre place du Mistral. Et des personnages récurrents et dotés de traits de caractère auxquels le public pouvait s'identifier : Mélanie (Laëtitia Milot) incarnait ainsi la serveuse gentille et naïve quand Charles Frémont (Alexandre Fabre), avocat véreux et père de la fragile Céline (Rebecca Hampton), cochait toutes les cases du "méchant". Les fans les plus anciens se souviennent d'ailleurs de ses multiples apparitions dans les cliffhangers de fin d'épisode lorsqu'il révélait ses manigances.
L'objectif, assurait en 2010 Hubert Besson (Telfrance), était "d'attirer un public plus jeune sans faire fuir le plus âgé". Et, comme la télé-réalité, ce pari détonant ne paie pas immédiatement. Pour les premiers épisodes, ils sont moins d'un million à adhérer à la contre-programmation de France 3 (6,1 % de part d'audience la première semaine, 7,1 % la deuxième, et 8 % (le meilleur score) vendredi 10 septembre, selon "Le Monde"). De quoi donner rapidement des sueurs froides à la direction de France Télévisions de l'époque, qui avait consenti un gros investissement pour lancer ce premier feuilleton français.
Les audiences décolleront progressivement avec l'arrivée de nouveaux auteurs et des intrigues plus efficaces et à suspense, faisant la part belle au polar avec l'émergence de l'intrigant policier solitaire Léo Castelli (Pierre Martot), chargé d'enquêter sur un tueur en série et soupçonné du pire envers sa femme, mystérieusement disparue onze ans plus tôt. Les scénaristes ne s'interdisent aucune thématique, et balaient de multiples sujets de société : violences faites aux femmes, gaz de schiste, chômage, transidentité, fin de vie, GPA, handicap. Ils osent même le plan à trois sous ecsta.
Ce qui fait de "Plus belle la vie" une série en avance sur son temps. Elle devient le premier feuilleton à montrer en 2005 un baiser gay entre deux hommes à une heure de grande écoute. Cette scène contribuera à rendre culte et indispensable le personnage de Thomas (Laurent Kerusoré). "On avait quand même une appréhension du premier baiser à 20h20. J'avais des appréhensions vis à vis de ca, surtout de la rue. Pas de jouer un homosexuel parce que a priori, c'est un rôle comme un autre", avait-il raconté en 2014 dans un documentaire célébrant les dix ans de la série.
L'une des forces de la série, on l'a dit, est d'être ancrée dans le réel. Chaque épisode est aujourd'hui encore calé sur le calendrier. Une mécanique que l'on retrouve également dans "Un si grand soleil", qui a vu le jour sur France 2 en août 2018... quatorze ans après la naissance de "Plus belle la vie".
Face à la multiplication des séries quotidiennes mais aussi la concurrence accrue des talks de la TNT et sans doute la lassitude du public, le premier né des feuilletons devrait donc quitter la scène après une décennie de baisse d'audience. Il ne reste plus dorénavant à France 3 qu'à prendre un nouveau pari.