Vers un mariage de France 3 et France Bleu, unies un jour sous une nouvelle bannière ? Après la co-diffusion à la télévision et à la radio depuis 2018 des matinales communes aux deux marques de service public et la création en 2022 d'une offre numérique d'information, "Ici", les présidentes de France Télévisions et Radio France ouvrent un nouveau chantier, une énième phase - plus radicale - de rapprochement des 24 antennes régionales de France 3 des 44 stations qui composent le réseau France Bleu. Selon une information de "La lettre A", les réseaux régionaux des deux médias publics locaux pourraient fusionner dans les cinq prochaines années -
La feuille de route de Delphine Ernotte et Sibyle Veil, écrite dans le cadre de la renégociation avec l'Etat de leurs contrats d'objectifs et de moyens (COM) 2024-2028, pourrait être résumée à deux termes : "synergie" et "polyvalence des salariés". "Nous avons souhaité renforcer les projets communs et les coopérations entre nos deux sociétés dans les domaines de l'information et de l'offre de proximité", écrivent les deux présidentes selon des propos rapportés par "Télérama".
France 3 et France Bleu sont notamment appelées à "mettre en oeuvre un projet éditorial commun". La mutualisation et la polyvalence des équipes locales des deux médias est aussi évoquée. De la même façon, la gouvernance autonome serait proscrite. Delphine Ernotte et Sibyle Veil songent désormais à des "équipes de directions régionales uniques" dans le but de "coordonner la complémentarité du maillage territorial et l'impulsion de projets éditoriaux communs". Afin de "dégager des économies d'échelle", une fois encore, elles assurent que les salariés partageront bientôt un siège commun : la première expérimentation du genre est prévue dans les locaux de France 3 Bretagne à Rennes. Un "nouveau schéma immobilier partagé sera mis en oeuvre, notamment dans les zones moins couvertes aujourd'hui".
Dans leur communiqué, les syndicats révèlent que les deux présidences actent, en plus du projet de fusion de France Bleu et France 3, "l'acte II de franceinfo:". "Les directions souhaitent parvenir à une gouvernance commune puis regrouper tous les services participant à ce 'média global', en commençant par les équipes chargées des décryptages et de la lutte contre la désinformation", résument-ils. La mutualisation des bureaux des correspondants à l'étranger est aussi envisagée.
Sans évoquer le cas particulier de France 3 et France Bleu, Sibyle Veil avait pourtant dit, en juin 2022, tout le mal qu'elle pensait d'une fusion entre France Télévisions et Radio France. "Je ne suis pas favorable à cette fusion", déclarait-elle, en réponse à un projet d'intention de la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak. "Radio France et France Télévisions n'ont pas du tout les mêmes enjeux stratégiques. Ce sont deux marchés différents, des usages différents", justifiait Sibyle Veil. "Nos modèles de production ne coïncident pas : la radio est un média sobre qui produit tous ses contenus en interne, la télé achète une grande partie de ses programmes à l'extérieur. Ce n'est pas Radio France qui va aider France Télévisions à résister à Netflix ni France Télévisions qui nous aiderait face à Spotify", arguait-elle ensuite.
Ce projet de fusion est-il alors un gage vis-à-vis du gouvernement à l'heure où les incertitudes autour du financement de l'audiovisuel public se font jour ? Il n'est en tout cas pas de nature à rassurer les salariés des deux médias de proximité. Dans un communiqué commun, publié ce vendredi 10 février 2023, le Syndicat national des journalistes (SNJ) de France Télévisions et celui de Radio France confirment l'existence de cette feuille de route, datée du 1er février 2023. Ils dénoncent de concert "un projet de fusion inacceptable" "nourri d'obsessions politiques et d'incantations managériales" et alertent sur "les dégâts éditoriaux et sociaux liés à la mise en oeuvre d'une telle réforme", anticipant "les économies budgétaires, la réduction de l'offre, les suppressions d'emplois et la dégradation des conditions de travail".
"Côté France Télévisions, le lancement de l'acte 2 de franceinfo: fait écho au projet Tempo. Le mirage des moyens supplémentaires pour les stations régionales de France 3 s'estompe : pour la direction, l'avenir des régions de France 3 passerait par une rationalisation, plus de polyvalence et une fusion avec France Bleu", enrage le SNJ. Côté Radio France, le syndicat réclame, en particulier, "plus de liberté éditoriale locale, plus d'autonomie, plus de moyens et un cadre éditorial cohérent et ambitieux", écrit-il, dénonçant "le total décalage" de la direction de France Bleu, bientôt incarnée par la transfuge de BFMTV, Céline Pigalle, avec les souhaits des équipes en souffrance.
La société des journalistes de France Bleu s'est jointe au concert de critiques. Elle a annoncé, dans un communiqué, avoir appris "avec stupeur" la volonté de France Télévisions et de Radio France de "fusionner les antennes locales de France 3 et France Bleu", écrit-elle avant de s'inquiéter de la diminution de l'offre éditoriale dans les années qui viennent : "Quid de la place réelle de France Bleu dans le processus de décision avec une 'direction commune'" ?", s'interroge-t-elle.
Mise à jour mercredi 15 février 2023 à 15h30 : Les directions assurent qu'il n'y a pas de projet de fusion en vue entre France 3 et France Bleu mais des coopérations au coup par coup comme aujourd'hui. L'info ne serait pas concernée. "S'il n'y a pas de projet de fusion aujourd'hui, ce n'est pas pour ça qu'il n'y en aura pas demain", indiquent les syndicats selon "La correspondance de la presse". "C'est une nouvelle transformation violente profonde qu'elles préparent avec des ministères de tutelle prêts à tout pour donner l'impression de la réforme en ne pensant qu'économie. De plus fusionner deux entités de deux entreprises différentes, peut nous faire craindre la création d'une filiale et qui sait de lourds changements conventionnels mettant en péril nos accords collectifs", réagit ce mercredi 15 février le SNJ de France Télévisions dans un communiqué.