Vingt ans déjà ! Ce soir, en première partie de soirée sur C8, "La folie des boys bands" s'intéresse au raz-de-marée qui s'est abattu sur la France dans la deuxième moitié des années 90. Alliage, G-Squad et surtout les 2Be3, trois groupes ont envahi le marché, les radios, les magazines pour ados et les plateaux télé pour des carrières couronnées de succès mais très éphémères. Vingt ans plus tard, Filip Nikolic et Quentin Elias nous ont quittés. A l'occasion de la diffusion du documentaire, produit par Matthieu Delormeau, puremedias.com a rencontré Frank Delay des 2Be3.
Propos recueillis par Charles Decant.
Pourquoi avoir accepté de répondre aux questions dans le cadre de ce documentaire ?
C'est les 20 ans, c'est une grosse année. Derrière, il y a mon groupe qui compte faire des scènes. Je profite de tout ça !
De manière générale, vous ressentez le besoin de raconter cette période-là, qui a évidemment énormément marqué votre vie ?
Non, mais les gens ont besoin qu'on se la rappelle. Peut-être que les gens ont une nostalgie. De savoir ce qui s'est passé, peut-être aussi en coulisses, savoir comment on l'a vécu. Il y a des témoignages qui sont touchants, j'ai appris des choses sur les autres groupes, parce qu'on ne s'en occupait pas trop. C'est un peu de la curiosité.
Vous vous croisiez sans doute de temps en temps sur les plateaux mais en dehors de ça, même si le public vous associe beaucoup les uns aux autres, vous aviez a priori des existences assez parallèles...
Carrément ! On était même en compétition quelque part. En tout cas, au niveau des maisons de disques.
Vous le ressentiez vraiment ?
Non, pas vraiment. Nous, on était en haut de la pyramide ! (Rires)
Le point de départ du documentaire est assez sombre, c'est la mort de Filip...
C'est touchant en même temps, parce que ça a été l'icône des boys bands. Comme il est parti, c'est bien de le mettre en avant ! Et puis c'était son anniversaire, il aurait eu 42 ans le 1er septembre.
On a entendu plein de choses à l'époque sur les causes de sa mort. Est-ce qu'il y avait quelque part une envie de rectifier certaines rumeurs ?
Pas vraiment. "50mn Inside" a déjà fait un beau sujet sur Filip, dans lequel j'ai témoigné, sa femme a témoigné... Je pense qu'ils avaient déjà retracé un peu ce qui s'était passé. Là on en reparle pour les 20 ans !
Pour certains boys bands, un aspect du job était de jouer la comédie, être un gendre idéal. On découvre notamment que Filip était assez provocateur, ce qu'on ne voyait pas nécessairement. Comme on gère ça à 20 ans ?
Ce n'était pas trop le cas pour nous. On était super naturel ! On se faisait même engueuler parce que Filip faisait le con tout le temps. On n'a pas été choisi par casting, on n'a pas été dirigé, on n'a pas changé nos prénoms, on ne nous a pas lookés... Et les gens nous ont acceptés tels qu'on était ! Les gens savaient très bien que Filip partait au quart de tour tout le temps, qu'il était exhib, qu'il faisait des saltos tout le temps... Il était show off tout le temps !
On avait pourtant, de loin, l'impression que vous étiez très sages, tous les trois...
On avait 20 ans, on ne fumait pas, on ne buvait pas, on faisait du sport... On était comme ça !
Aujourd'hui, il y a Twitter, Snapchat, tout le monde est un paparazzi potentiel avec son smartphone. Vous pensiez sans doute vivre un enfer à l'époque à ce niveau, mais c'est encore pire aujourd'hui, non ?
Il faut vraiment aimer se mettre en avant et aimer le côté médiatique parce qu'aujourd'hui, il n'y a pas de limite. Tout le monde fait des photos, tu peux avoir ta tête dans n'importe quelle presse. Il n'y a plus d'intimité. C'est particulier aujourd'hui le rapport à la notoriété. Tout le monde peut être quelqu'un...
Vous êtes toujours connu aujourd'hui : vous ressentez cette évolution ? On vous prend beaucoup en photo à votre insu ? On vous demande beaucoup de selfies ?
Parfois, ça m'arrive, mais beaucoup moins. Mais ça reste relativement cool. Je ne suis pas Kendji ! (Rires) On ne me suit pas. Les gens sont gentils, ils prennent une photo et ils vivent leur vie.
Il y a beaucoup de bienveillance aujourd'hui ?
Oui, plus qu'avant parce que je ne suis plus un succès. Je ne suis plus en haut des charts, je ne suis plus quelqu'un du moment et je ne suis plus dans la presse people.
Pourquoi vous n'êtes plus dans la presse people ?
Je n'en sais rien ! Parce que je ne suis pas dans l'actualité. Je ne vends rien, je n'existe pas. En tant que comédien, je fais des choses mais c'est du théâtre donc ce n'est pas assez vendeur, ça ne me permet pas d'accéder à cette presse.
Ce qui est peut-être une bonne chose ?
Oui, mais moi j'aimais bien !
Il y avait de l'animosité à l'époque ?
Oui, on dérangeait un petit peu. Il faut dire qu'il fallait nous digérer, on était partout. On a un peu saoulé ! Et puis c'était de bon ton de critiquer. Enfin, c'était facile ! On donnait des cartes : trois mecs de banlieue avec des abdos, on était cliché ! Je peux comprendre ! Au début, on n'a pas trop compris mais après, on s'est dit que c'était le jeu.
Dans le reportage, il est dit que quand vous avez compris que vos corps étaient des atouts, vous avez joué cette carte-là à fond...
Bien sûr ! Tout ce qu'on pouvait mettre en avant, on le mettait. On n'était pas des super chanteurs, donc il fallait trouver d'autres atouts. Donc il y avait le visuel : nos acrobaties, notre physique, et nos tablettes de chocolat !
C'était hyper conscient, cette objectivisation de vos corps, en fait !
Carrément ! Filip était exhib, alors... ! (Rires)
Pourquoi pensez-vous que ça s'est arrêté si vite ? Il n'y a eu que trois albums...
Ca s'explique avec la Coupe du monde, paraît-il...
Ah bon ?
Oui ! J'ai lu qu'un phénomène avait chassé un autre phénomène. Mais il y a peut-être eu une lassitude, peut-être qu'on ne s'est pas assez bien renouvelé, que les chansons plaisaient moins, que les gens en ont eu marre de nous. Après 1998, on est parti aux Etats-Unis pendant un an, on est revenu en 2000, et l'album américain n'a pas fonctionné. Donc en 2001, on a décidé d'arrêter. En même temps, on est passé d'un million d'albums pour le premier à 300.000 pour le deuxième et 200.000 pour le compil. L'album américain n'est pas sorti, mais on aurait peut-être pu en vendre 100.000, ce qui est pas mal ! Mais Filip, ça ne lui convenait pas. Il voulait faire des grandes dates, des grandes tournées, revenir comme avant... Ca ne lui a pas plu.
C'est lui qui a décidé d'arrêter ?
Oui, il a dit "Ca ne m'intéresse pas de faire des petits trucs", et puis il avait "Navarro", il a préféré faire le comédien que passer son temps à faire les 2Be3. Et si Filip ne faisait plus partie du groupe, je ne me voyais pas chanter à deux avec Adel.
Comme vous étiez amis, comment on gère d'avoir des envies et des ambitions différentes et d'abandonner un projet commun ?
Ca vient petit à petit, on se rend compte que ça n'avance plus, que les médias ne jouent pas le jeu, que c'est difficile de passer en radio, même en réenregistrant les titres en anglais pour y ajouter du français et que la structure avec laquelle on est ne se bouge pas trop - c'était Edel, un petit label. Ca ne fonctionnait pas. On avait aussi d'autres envies, Filip était tiré par "Navarro", ça lui demandait beaucoup plus de temps et c'était plus excitant. Je l'ai compris parce que j'aurais fait pareil !
L'objectif de base quand vous avez formé 2Be3, vu que vous n'étiez pas vraiment chanteurs, c'était la notoriété ?
Non, c'était de divertir les gens. Prendre du plaisir en donnant du plaisir. On avait envie d'exister, mais on ne savait pas comment. On savait qu'on représentait quelque chose pour les gens quand on se produisait, quand on faisait des battles, il se passait quelque chose.
La notoriété qui est arrivée était addictive, alors, puisque ça ne suffisait plus de donner du plaisir, il fallait le faire devant 10.000 personnes...
Oui. Après, c'est Filip, il était particulier ! Il se nourrissait de ça, lui, du public. Il était en show en permanence. Dès qu'il n'avait pas l'attention sur lui, il n'était pas bien ! Quand on est revenu, il y avait moins d'attention sur lui, on était moins demandé...
Cet album américain, ça allait dans ce sens ? Etre encore plus connu, dans le monde entier ?
Carrément ! Dans le reportage, le producteur Desmond Child le dit, "On va conquérir le monde !" (Rires) C'était un truc de fou ! Mais il ne s'est rien passé. Je ne sais pas pourquoi d'ailleurs. Surtout dans les pays asiatiques, on commençait à avoir une notoriété importante, on avait deux clips qui passaient sur MTV Asia... Je ne sais pas... Il y a eu des cafouillages. Le label n'était pas assez fort je crois... Il y a eu du gâchis dans tout ça !
Quelques années après les boys bands, une autre porte s'est ouverte pour accéder plus ou moins facilement à la notoriété : la télé-réalité. Vous auriez pu passer par là ?
Franchement... Non, on avait envie d'exister artistiquement, on avait des choses à défendre. (Il réfléchit) Je ne crois pas, parce qu'on voulait être tous les trois absolument. Ou alors ils nous auraient pris tous les trois dans "Secret Story" ! (Rires)
Vous n'avez pas fait "Secret Story" mais on vous a quand même vu sur TF1 dans votre propre série, "Pour être libre". Comment vous êtes-vous retrouvé là-dedans ?
C'est parti de discussions avec le PDG d'EMI à l'époque, qui voulait faire plus que les autres boys bands. Jean-Luc Azoulay, le directeur d'AB Productions faisait des essais pour une nouvelle série, mais on a décidé de faire nos propres essais et de les lui envoyer. Et c'est comme ça que ça a pris. On avait des choses à raconter, 2Be3 c'est une histoire, c'est des copains... On faisait des réunions pour chaque épisode pour dire de quoi on voulait parler, et après c'était romancé.
On vous a proposé d'autres choses que vous avez refusées ? Ou vous avez dit oui à tout ?
L'entrée au Musée Grevin, c'était space... On a cru à un canular ! Il y avait "Surprise sur prise" à l'époque, on pensait que c'était une connerie, on n'y a pas cru jusqu'au bout !
Auprès de vous, à l'époque, il y avait des fans, des gardes du corps, un manager, la maison de disques... Mais ce qui frappe dans le reportage, c'est qu'on dirait que personne ne vous dit "Attention, ça peut s'arrêter du jour au lendemain"...
Dans l'intimité, il y en avait. Mais tu ne penses pas à ça quand tu es dans le tourbillon des choses. Tu te dis que peut-être, il y aura des jours moins glorieux, mais pas que ça va s'arrêter. Une vie d'artiste, c'est en dents de scie, on le sait. On ne se posait pas la question.
D'où les dépenses, la vie de star, les voitures, etc...
Tu vis en fonction de tes rentrées d'argent. Moi je ne suis pas spécialement un fou, je n'ai pas de voiture de sport, je ne me suis pas acheté de bijoux... Mais chacun vit sa vie à sa manière, certains étaient dans l'excès. Filip a bien brûlé, Adel a bien brûlé...
Est-ce qu'il y a eu un déclic, un moment où vous vous dites "Ca va s'arrêter" ?
Déjà, quand on part aux Etats-Unis, on voit qu'il n'y a plus de boys bands en France. On se pose des questions, on se demande comment on va être vu quand on revient. Mais on nous encourage, on bosse avec un super producteur, on fait un super clip, donc on est confiant. Mais au final, quand on revient, c'est chaud !
A ce moment-là, vous en parlez tous les trois ?
Non, pas vraiment. On se dit qu'on va rebondir, on aura quand même un public, même si on vend moins. Mais Filip ne voulait pas...
Une fois que ça s'arrête, que c'est acté, qu'est-ce que vous vous dites ?
Là tu te dis "Wow, qu'est-ce qui se passe ?"...
Vous avez quel âge à ce moment-là ?
On est en 2001, donc 28 ans. Mais j'ai eu mes enfants, mon premier fils vient en 2001, le deuxième en 2002, donc je m'en suis occupé. Ca m'a pris beaucoup de temps, j'ai comblé le manque par quelque chose d'autre. Après, tu te poses et tu te dis "Qu'est-ce que je sais faire ?"
Les abdos étaient toujours là ?
(Rires) Oui, parce que je suis sportif depuis que j'ai six ans et que je n'ai jamais arrêté. Donc je prends des cours de comédie et à côté de ça je fais des choses alimentaires. Je me lance dans la comédie, je rencontre des gens, et après, je monte un projet, je vais chercher les financiers... Ca a été un succès, j'en ai fait un deuxième... Mais je galère encore ! Il faut juste déclencher les choses, se battre tout le temps...
Et en ce moment, vous vous battez pour un nouveau groupe, Génération Boys Band, avec Chris des G-Squad et Allan Théo ! Vous ne vous connaissiez pas à l'époque...
Non, mais j'ai toujours dit que Chris était celui qui chantait le mieux, il a une super voix. Je suis tombé sur les New Kids on the Block et les Backstreet Boys qui avaient fusionné pour une tournée, et je me suis dit qu'on pouvait faire pareil. J'ai appelé Chris, il m'a dit "Banco", j'en ai appelé un troisième, un quatrième, qui n'étaient pas intéressés, et on est tombé sur Allan Theo. Le projet c'était de chanter nos chansons ensemble sur scène, vivre sur ce qu'on a fait et se faire plaisir.
Il n'y a pas un risque de trop vivre dans la nostalgie ?
Non, on a 40 ans, c'est que du plaisir maintenant. On ne sait pas combien de temps ça va durer. On prévoit une tournée qui commencera en Belgique en mars prochain, si le public a envie de nous voir en France, on viendra. Et si ça s'arrête, ça s'arrête ! C'est que du bonus ! Je continuerai ce que je fais.
Et par la suite, vous envisagez des nouvelles chansons ?
On aimerait bien par la suite s'appeler GBB et oublier tout doucement Génération Boys Band et exister en tant que groupe. Ca serait génial ! Maintenant, on verra où les gens nous portent. Ce n'est pas évident de vendre du disque. Pour l'instant, on veut juste faire de la scène.