Un livre qui a fait grincer du côté d'Editis. Depuis le 1er mars 2023, le dictionnaire "Le fin mot de l'histoire", co-écrit par Nathalie Gendrot et l'humoriste Guillaume Meurice, et édité par Flammarion, est disponible en librairie et dans les grandes surfaces. Mais cet ouvrage a failli ne pas voir le jour. Alors que l'ouvrage était d'abord prévu pour les éditions Le Robert, des blagues du trublion de France Inter n'ont pas plu à l'éditeur et la parution a été annulée. Selon Guillaume Meurice, c'est principalement une plaisanterie sur Vincent Bolloré, propriétaire d'Editis, maison-mère du Robert, qui en serait à l'origine. Le comique a accepté de se confier auprès de puremedias.com pour en parler.
Propos recueillis par Florian Guadalupe.
puremedias.com : Comment vous êtes-vous retrouvé à co-écrire ce livre ?
Guillaume Meurice : Ce sont les éditions Le Robert qui m'ont contacté. Ils m'ont dit qu'ils avaient une collection où ils expliquent les expressions de la langue française. Ce livre est sur l'histoire. Comme j'ai écrit un bouquin sur Triboulet (le bouffon du roi François 1er, ndlr), ils m'ont demandé d'être le guest. Le principe est d'agrémenter chaque chapitre par soit une petite réflexion, soit une blagounette. Moi, j'ai cherché une plaisanterie par expression.
Comment avez-vous travaillé avec Nathalie Gendrot ?
C'est elle qui a écrit le corps du texte. C'est elle, la spécialiste en littérature. Elle a un master en littérature. C'est vraiment très costaud. Je ne la connaissais pas du tout avant. Je me suis tout de suite bien entendu. On a essayé de faire un livre qui ne soit pas juste un catalogue, mais qui soit surtout agréable à lire. C'était des échanges entre ce que j'avais écrit et son texte. On a bien bossé ensemble.
Quelle était la méthode de travail ?
Un Google Doc ! (rires) On n'est rien sans un bon Google Doc, malheureusement. On a écrit chacun de notre côté, puis on a mis tout en commun. On a vu qu'il y avait des choses qui faisaient écho à ce qu'on a écrit. Elle a fait un gros boulot dans les archives. C'est assez impressionnant. Tu as de vieilles expressions et elle a été dans la source des sources. Et aujourd'hui, avec la "petite histoire", c'est devenu le livre de Guillaume Meurice. En fait, c'est son livre à elle. (rires) Moi, je n'ai été qu'invité dedans. Ce n'est ni mon bouquin, ni un brûlot contre Bolloré. C'est vraiment un livre de linguiste.
"Avec Vincent Bolloré, on est sur un sociopathe quand même"
Votre collaboration avec les éditions Le Robert n'a pas "fait long feu". Est-ce que vous vous attendiez à toute cette polémique ?
Pas du tout. J'ai été super surpris. Quand j'ai accepté, je ne savais pas que Le Robert appartenait à Bolloré. C'est compliqué le monde de l'édition. Puis, Bolloré, c'est un empire. C'est compliqué à piger. Parfois, il n'est même pas actionnaire majoritaire. Par exemple, à Europe 1, il ne l'a pas encore racheté. Pourtant, il y dicte sa ligne éditoriale. Pour l'anecdote rigolote, j'ai appris que c'était lui qui avait Le Robert quand il a été auditionné au Sénat. Il avait fait une petite blague autour du pronom "iel". Il avait dit qu'il n'avait rien contre les "wokes" ou qu'il était "woke", car "iel" était dans Le Robert et que le Robert lui appartenait. Moi, j'ai été étonné. J'ai vérifié. Il a Editis, possédé par Vivendi, possédé par Bolloré.
Ce qui est surprenant, c'est que ce sont les éditions Le Robert qui vous ont contacté pour l'ouvrage.
A mon avis, il n'y aurait pas eu cette blague sur Bolloré dedans, ça serait passé.
Lorsque vous aviez dénoncé une censure de la part du Robert dans les médias, il était question de sept passages dans l'ouvrage et pas seulement d'une blague sur Vincent Bolloré.
Il y a des journalistes qui ont enquêté sur cette histoire et qui m'ont confirmé que c'était bel et bien la blague sur Vincent Bolloré qui posait problème. Mais ce n'est pas si étonnant parce qu'il est très interventionniste, Bolloré. Il est connu pour ça. Le site "Les Jours", avec les anciens de "Libé", ont toute une saga sur Bolloré avec toutes ses affaires et toutes ses magouilles. Il est assez coutumier du fait. Même à l'époque des "Guignols", il écrivait quasiment les sketchs. On est sur un sociopathe quand même. Mais ça m'a surpris de la part du Robert de n'avoir pas fait le taff et de n'avoir pas pris le livre, alors qu'ils m'avaient assuré qu'ils allaient le faire.
"Ils ont tout fait relire par un avocat"
Quand vous a-t-on annoncé que le livre ne sortirait pas ?
Je vais résumer toute l'histoire. Le livre devait sortir fin septembre 2022. En mai-juin, ils ont commencé à me dire : "Il y a deux ou trois phrases qui posent problème. Il faudrait qu'on en discute". Moi, je n'ai rien du tout contre la discussion éditoriale. C'est le principe de l'édition. Je veux bien qu'on me remette en cause mais je veux avoir le "final cut" sur ce que j'écris. C'est quand même mon nom en gros sur la couverture. Ils m'avaient dit qu'il y avait des phrases pas très claires. J'ai retravaillé mes blagues. Mais il y avait des expressions qui citaient des marques où ils avaient peur qu'il y ait un procès. Mes blagues, ce ne sont pas des menaces de mort. Ce sont des blagues que je fais à la radio depuis dix ans et sur scène depuis quinze ans. Je n'ai jamais eu de procès en diffamation. S'il y en avait eu, je les aurais gagnés. Pour moi, il n'y avait pas de souci. Je n'ai pas voulu changer. Si la raison pour laquelle ils voulaient que je change était qu'ils avaient peur d'un procès ou qu'ils ne trouvaient pas les blagues gentilles pour Louboutin ou Deliveroo, je ne changerai pas. Là, ils ont commencé à flipper. Ils ont tout fait relire par un avocat.
Là, ça a coincé ?
Non, même pas. Début août, le directeur du Robert m'appelle et me dit : "C'est bon. Le bouquin va sortir. On a tout fait relire par l'avocat. Il y a juste deux ou trois petits trucs, mais l'avocat a dit qu'il n'y aura pas de soucis. Même s'ils attaquent en diffamation, on gagnera, patati patata". Je lui ai répondu que personne n'attaquera en diffamation parce que personne n'attaque les humoristes, car les plaignants perdent systématiquement. Ils ont tous dit : "Je suis Charlie ! Liberté d'expression ! Droit à la caricature !". C'est injouable. Et si bien même, il y a condamnation. Ca fera de la pub au bouquin. Je savais très bien qu'ils n'allaient pas le faire. Et sur Bolloré, c'est encore plus con. Ca lui appartient. Ils n'allaient pas porter plainte contre lui. Ca n'aurait aucun sens. Puis, arrive fin septembre où j'apprends que le livre ne sera pas édité et qu'il n'a même pas été imprimé. Je l'ai appris deux jours avant le service de presse.
Et ça, c'est parce que vous avez dit que vous ne vouliez pas retirer les passages ?
Oui. C'est là que j'ai tout appris. J'ai appris qu'il y avait sept passages qui posaient problème. Voilà, la chronologie des faits.
"Si tu déplais au pouvoir économique, il a le pouvoir de te faire taire"
Pour vous, c'était une tentative de censure ?
Oui, c'est une censure.
De son côté, la maison d'édition avait expliqué qu'il y avait un risque de diffamation, d'injurie et de calomnie.
Dans chacune des phrases, il y a zéro risque de diffamation, d'injurie et de calomnie. Ou alors, je serais en procès tous les jours. C'était le prétexte pour plaire au roi. C'est intéressant parce que ça fait écho à mon autre bouquin sur le bouffon du roi. (rires) Finalement, il y a une cohérence dans tout ça. Aujourd'hui, le vrai pouvoir, c'est le pouvoir économique. Si tu déplais au pouvoir économique, il a le pouvoir de te faire taire. Mais moi, je ne suis pas à plaindre. Le livre est sorti quand même. Je suis à la radio et en spectacle. Mais c'est inquiétant pour les vrais auteurs, ceux qui sortent des enquêtes. A partir du moment où tu as une concentration des médias et de l'édition entre les mains d'une seule personne, il y a un gros risque de contrôle et de censure.
Aviez-vous craint que le livre ne sorte jamais ?
Non, je n'ai pas de craintes. On a eu rapidement des propositions. Le bouquin était fait. En plus, on en parlait puisqu'il était censuré. C'est le fameux effet Barbara Streisand. Mais ce qui était intéressant, c'est qu'outre les propositions des maisons d'édition, il faut qu'un livre soit distribué. Il y a Interforum, un grand distributeur de livres en France, qui est détenu par... Vincent Bolloré aussi ! (rires) Il y a plein de boîtes qui m'avaient dit : "On veut bien le prendre ton bouquin, mais il va finir dans une cave car on bosse avec "Interforum". Ca n'a pas été si simple de l'éditer après.
"Vincent, est-ce que t'es heureux ?"
Dans "Quotidien" sur TMC, vous avez annoncé attaquer en justice la maison d'édition. Qu'attendez-vous de cette procédure ?
C'est une rupture abusive de contrat. On a signé un contrat. On nous a dit d'écrire un bouquin. On a écrit un bouquin. Ils ne l'ont pas publié. On va voir si le droit français nous donne raison ou pas. Ce qui m'intéresse là-dedans est de savoir si la justice considère qu'un milliardaire a le droit d'interdire la sortie d'un livre une semaine avant. Si on perd, ça en dit long sur l'état actuel de la liberté d'expression. Si on gagne, ça peut faire une jurisprudence intéressante pour les autres. Je pense que ça va être très long comme procédure. Mais je m'en fous, j'ai le temps. Il veut jouer au con, il n'est pas sûr de gagner. J'ai un Master 2 en connerie.
Vous pensez que c'est Vincent Bolloré lui-même qui a été à la manoeuvre pour empêcher la sortie de votre ouvrage ?
Moi, c'est ce qu'on me dit. Je n'en sais rien. Je ne suis pas dans les petits papiers. A mon avis, c'est un mélange de lâcheté et de peur. C'est une personne au Robert qui a dû dire : "Oh la la ! Si ça, ça sort, ça va nous poser des problèmes après". Il a dû le faire relire à son N+1, qui l'a fait relire à son N+1, etc. Des journalistes m'ont dit que ça remonte facilement jusqu'à lui. C'est un mec qui relit tout et qui a une volonté de maîtriser. J'ai tendance à croire les journalistes.
Si vous l'aviez en face de vous, qu'est-ce que vous aimeriez lui dire ?
Si j'avais en face de moi, Bolloré ? (rires) Ce serait intéressant ça... Vincent, est-ce que t'es heureux ? Alors, heureux ? (rires) Qu'est-ce que ça te fait de posséder tout ça ? Qu'est-ce que ça te ferait si tu ne le possédais plus ?
La suite de l'interview à paraître demain.