Il y a quinze jours, Elodie Frégé dévoilait "La Fille de l'après-midi", son troisième opus. La gagnante de la troisième saison de Star Academy, qui s'est clairement détachée de son image de chanteuse de télé-réalité, confirme la direction prise sur son précédent opus, "Le Jeu des 7 Erreurs", composé avec Benjamin Biolay, et propose un album complexe, intrigant et résolument personnel, qu'elle a quasiment entièrement écrit et composé.
A l'occasion de la promotion de l'album, Elodie Frégé a accordé un long entretien à Ozap. Elle évoque ce nouvel opus, bien sûr, les risques qu'elle prend face à une industrie où tout est de plus en plus formaté, mais aussi son désir de restaurer un peu la langue française, même si elle comprend le succès de René La Taupe - et avoue même être capable de lui écrire une chanson ! Enfin, elle revient sur la polémique Sexion d'Assaut, qui l'a personnellement touchée et qu'elle ne comprend pas. Entretien.
Parle-moi un peu de ton nouvel album...
"La fille de l'après-midi", c'est mon troisième album. J'ai écrit et composé trois quarts du projet toute seule, travaillé les arrangements avec un garçon qui n'est pas très connu - mais qui j'espère sera connu très bientôt - et qui s'appelle Benjamin Tesquet. On a travaillé tous les arrangements ensemble, après on a co-composé deux ou trois morceaux, notamment le prochain single "La Belle et la Bête". C'est un disque beaucoup plus violent que le précédent, il y a une certaine rancoeur, une sensualité aussi. Je trouve que je me suis livrée plus dans ce sens-là et dans l'interprétation. Par contre, c'est vrai que mon écriture est toujours aussi fournie, aussi touffue, on va dire.
C'est un reproche qu'on t'a déjà fait ?
Oui, on m'a fait ce reproche, on m'a dit « les gens n'écouteront pas ton disque parce que les gens, actuellement, ne veulent pas travailler. Ils ne veulent pas avoir à se poser des questions, ils veulent du pré-mâché ». Et moi je ne sais pas faire du pré-mâché parce que dans la vie, je suis tellement compliquée que quand j'écris des chansons, ça s'en ressent. Je suis comme ça. C'est un album qui est très inspiré par les films de la Nouvelle Vague, mon idée du romantisme, de l'érotisme chic. Tout est fait de façon à être subtil, mais derrière c'est la vie. C'est très banal ce que je raconte, après j'ai ma façon de le raconter.
C'est peut-être bien que ce ne soit pas pré-mâché, si tu racontes des choses banales...
Bah sinon on se fait chier, quoi ! Non, mais c'est vrai !
Quel regard portes-tu sur la chanson française en général ?
En fait, je suis une bonne cliente des chansons de bonne variété, parce que tout de suite la variété c'est catalogué mauvais, grand public... Il faut arrêter de faire du parisianisme à deux balles ! Moi, je suis snob, je suis hyper snob, franchement il y a peu de choses qui m'intéressent vraiment, mais quand il y a une bonne chanson... Je veux dire, Gainsbourg il a fait de la variété aussi, je peux écouter toutes ces chansons-là qui ont été faites dans une période où la musique était pas aussi contaminée par des virus actuels, comme le téléchargement ou ce genre de choses, ou quand ce sont les radios qui décident de ce qui va marcher ou pas.
C'est plus difficile d'être artiste de variété aujourd'hui ?
A notre époque, on ne peut plus vraiment profiter de la variété, les artistes sont obligés de décider d'aller dans telle ou telle direction parce que ça va marcher ou pas, surtout s'ils sont un peu sur la sellette. Moi, pour le coup, j'ai eu beaucoup de chance, j'ai vraiment fait ce que j'avais envie de faire, et je ne suis pas sure que ça marche, parce que les gens ne sont plus habitués à écouter des choses aussi différentes. Tout est très calibré, il faut que ça dure 3 minutes, sinon on coupe la fin de ta chanson à la radio, moi je ne peux pas accepter ça. Ca me vaudra certainement des mises à la porte...
Mais ce n'est pas grave ?
Bah... Je ne veux pas me manquer de respect, je fais les choses avec beaucoup d'intuition, et j'ai eu de la chance jusque-là. Parfois il faut faire des concessions, et je peux les faire si je travaille avec des gens qui partagent avec moi le même goût des mots, du verbe, des sons... Il y a des choses qui fonctionnent et il n'y a rien autour. Pas de projet marketing pour lancer le produit. C'est juste là. Et je suis sure que ça peut encore marcher, on n'y peut rien, l'art c'est comme ça. Il y a des choses qui te touchent, et tu n'y peux rien. Et moi, je suis désolée mais entendre à la radio une énième sous-version d'une énième copie de Lily Allen, sortie en 2006, ça me saoule.
Tu penses proposer quelque chose de différent ?
En fait, j'ai envie que les gens qui vont écouter mon disque se posent des questions - c'est pas prétentieux, j'ai foi en ça -, j'ai envie de leur laisser la liberté de choisir dans quelle direction ils veulent entendre cette chanson, ce texte, cette phrase... Et pas qu'ils se disent « Ah tiens, ça ressemble à ça... ». Il y a des chansons qui sont écrites très simplement mais qui fonctionnent, comme par exemple... Gainsbourg, "L'eau à la bouche". C'est simplement écrit mais ça parle aux gens. C'est bien écrit. Mais des chansons du genre (elle chantonne) « Oh tu m'as pas envoyé un SMS », ça je ne peux pas ! Déjà, dans la vie, on vit tout ça, alors pourquoi il faudrait tout à coup vulgariser l'écriture française, l'élégance à la française. Jacques Brel il écrivait très simplement, c'était populaire et il parlait aux gens, mais il habitait le truc. Là, c'est complètement désincarné.
Peut-être que, justement, le choix de ces thèmes un peu banals est fait pour que les gens puissent s'identifier... ? Toi, dans ton album, tu mets une distance dès le départ, parce qu'il faut vraiment prêter attention à chaque mot, chaque phrase, ça demande comme tu le disais tout à l'heure de la réflexion... Il faut arrêter ce qu'on fait et se consacrer à 100% au disque.
C'est vrai qu'il y a un effort à fournir. Mais quand j'écris, c'est un truc tellement égoïste et donc forcément intègre... Ce que je partage avec les gens, c'est qui se passe en moi, une nuit d'insomnie... Je préfère faire ça plutôt que me mettre à penser à ce qui passe en radio en ce moment. Benjamin Biolay c'est aussi quelqu'un qui a une écriture très alambiquée et que les gens ont enfin réussi à comprendre. Brigitte Fontaine, bon elle est moins écoutée, mais c'est aussi très alambiqué, très poétique. Et puis surtout, je ne suis pas là pour prendre les gens pour des cons. Si j'ai envie de faire un truc qui me correspond, je ne vais pas me dire « Ah bah non, je vais écrire comme j'aime pas parce que les gens sont des cons ». Non, pour moi, ce ne sont pas des cons. Ce sont des gens qui, comme moi, ont besoin d'entendre d'autres choses, d'être surpris. Donc il y a une vraie forme de respect là-dedans.
Est-ce que tu es nostalgique ? On retrouve dans l'album cette sensation de distance, de froideur, il évoque cette image de la femme française comme on la voyait avant... Tu es nostalgique de cette image ? Et dans la vie de tous les jours, tu es un peu "à l'ancienne" ? Tu parlais de ne pas chanter "Je t'envoie des SMS"...
Dans la vie, j'envoie beaucoup de SMS, mais je mets un point d'honneur à ne pas écrire en langage SMS. Du coup, j'ai pris un forfait illimité (rires). Je fais des SMS très longs, avec des vrais verbes conjugués... Même mes parents écrivent en langage SMS, ça me déprime. Des fois je ne comprends même pas ce qu'ils disent ! Donc oui, je suis nostalgique des fois... Je préfère envoyer une carte postale plutôt que d'envoyer un SMS, par exemple. Je suis nostalgique d'un rapport au romantisme aussi. Mais je pense que je suis assez libre et ouverte d'esprit, donc je ne suis pas complètement désuette. Je suis rétro, c'est un style de vie, c'est aimer la bonne bouffe française, le bon vin, et puis les choses dites avec élégance et subtilité, même quand c'est pour dire des choses très dures ou très sexuelles.
Le fait que tu vouvoies ton interlocuteur dans deux titres, ça s'inscrit dans cette nostalgie ?
J'adore vouvoyer, je trouve que ça sonne vachement mieux que "tu". Au niveau de la consonne, c'est "La Javanaise", « j'avoue j'en ai bavé, pas vous... », c'est hyper sensuel, du coup il y a tout de suite quelque chose qui se fait. Il y a un rapport au charme, à la séduction, que j'aime bien dans les films de la Nouvelle Vague. Dans les films de Truffaut ou Godard, ils se vouvoient pendant très longtemps, excepté quand ils sont passés à l'acte, ils passent au tutoiement à ce moment-là, et ils se re-vouvoient ensuite. Moi ça me fait marrer, ça. Alors que "tu", c'est hyper incisif. C'est une proximité et à la fois un ennui. On se connaît bien, voilà.
Donc pour toi, le "vous" n'instaure pas forcément la distance... Mais est-ce que ce n'est pas justement la distance qui crée ce désir que tu évoques ?
Oui, de toute façon, l'être humain fonctionne comme ça.
Fuis-moi, je te suis, suis-moi je te fuis.
Exactement. Plus tu mets de la distance, et plus l'autre se sent obligé de sentir une proximité. Maintenant, il y a des blind dates, des machins... Ca me saoule ! Tu ne peux plus rencontrer quelqu'un dans la rue. Quelqu'un qui te parle dans la rue, les gens sont tout de suite effrayés : « mais pourquoi tu m'as pas parlé sur mon Facebook ? ». Ils deviennent complètement dingues ! Pourtant j'adore, je chatte sur mon gmail, mais avec mes potes. Ce sont mes potes. Je les connais, je les vois, je peux les prendre dans mes bras. Mais avoir 6000 personnes qui parlent entre eux sans se connaître... Ca fait partie des choses qui me foutent les boules ! Les gens qui disent j'ai plein d'amis, j'adore les gens... Pour moi ça mérite l'hôpital psychiatrique, ce genre de trucs. Parce que ce ne sont pas des amis ! (Silence) Mais qu'est-ce que j'ai aujourd'hui, j'arrête pas de critiquer tout et n'importe quoi ! (Rires)
Tu disais que tu étais consciente que l'album n'allait pas forcément marcher, ou du moins pas tout de suite, et il est entré la semaine dernière dans les charts français en 28ème position avec 2..131 ventes. Qu'est-ce que ça fait ?
Je trouve que 28ème c'est pas si mal pour un album comme ça, et quand je vois qu'au dessus de moi il y a Zazie, Michel Sardou, Raphaël, Katy Perry... que des disques qui ont vraiment marché depuis quelques mois, ou alors des entrées de gros artistes, ça ne me fait pas peur d'être 28ème. Je veux juste essayer de hameçonner un peu plus les gens sur le projet, et peut-être monter un petit peu. Mais je sais très bien que s'il ne se passe pas un gros truc, je ne serai pas dans le top 10. J'en ai envie, évidemment, mais ça voudrait dire qu'il y aurait un grand changement d'esprit chez tout le monde. Je fais de la musique pour en vivre, et parce que ça me passionne, mais je ne veux pas que le fait de pouvoir me payer une paire de Louboutins passe au dessus de mon intégrité artistique. Mais les disques, de toutes façons, ça ne se vend presque plus. Le premier il a dû en vendre 28..000, c'est ça ?
Oui, c'est Soprano, 26..000 ventes pour son deuxième album...
Tu vois, les gens ils n'achètent plus les disques...
Et après tu as Christophe Maé qui en vend 128..000 en première semaine...
C'est pas vrai ?!
Si, si !
Ouais mais lui il est vraiment popu, il est avec les gens, ses textes sont très simples, les musiques sont ethniques... Je comprends que ça soit plus facile pour quelqu'un comme lui, surtout qu'il a déjà eu un gros succès, moi je n'ai jamais eu un énorme, énorme succès. Mais je ne suis pas déprimée du tout. On fait beaucoup de promo, je fais des interviews, je parle de mon disque... Je ne me sens pas dans un truc parisianniste, et je ne me sens pas non plus dans un truc popu. Je me sens entre les deux parce que j'ai cette ambivalence en moi, et pourquoi on pourrait pas allier les deux ? Pourquoi il faut toujours que les cases soient définies ?
Il y a des artistes dits commerciaux qui font des trucs complètement en dehors des cases. Je pense par exemple à Nolwenn, qui prépare un disque de chants celtes !
Ah. Je suis bourguignonne, donc je pense que là je vais vraiment toucher le fond si je fais un disque de chants bourguignons ! (Rires). Je sais qu'elle fait ça, et ça peut être très classe !
On parlait des charts albums, mais dans les charts singles, il y a un "artiste" qui a cartonné cet été... René La Taupe.
Oui, je sais...
Qu'est-ce que ça t'inspire ?
(Rires) J'ai envie d'ouvrir un zoo en fait ! Non mais, en fait, je trouve ça marrant. Je comprends que ça marche. Attends, « Qu'il est beau, qu'il est beau le lavabo » de Lagaf, ça a marché et ça me faisait marrer quand j'étais petite. "Big Bisou" de Carlos, ça me faisait marrer. Je comprends que ça marche. Ce que je ne comprends pas, c'est qu'à côté, il n'y ait pas plus de place aussi pour les choses un peu plus travaillées et typiques. Mais René, c'est du one-shot...
Non, il y a un nouveau single, qui s'appelle "Tu parles trop" !
(Rires) C'est pour moi ? (Rires) Mais tu sais, moi j'ai beaucoup d'humour et j'adore inventer des chansons pourries, très faciles et très rigolotes avec des potes. C'est très facile ! Je pourrais prendre un pseudo et écrire pour René La Taupe ! René, si tu m'écoutes... !
Pour parler un peu média, quel regard tu portes sur la fin des émissions de variété et aussi des télé-crochets, à l'exception de X Factor, que M6 va tenter de transposer après une saison sur W9 ?
Bah ça me donne envie de faire de la cuisine ! (Rires) Mais je trouve ça intéressant, Un dîner presque parfait je regarde parfois. En ce qui concerne les émissions de variété, évidemment je regrette qu'il n'y ait quasiment plus d'émission où on chante en live. Il en reste quelques unes, heureusement, comme Chabada, Taratata ou [magazine%]En acoustique[/magazine%] sur TV5 Monde... Après, en ce qui concerne les télé-réalités consacrées à la musique, moi ça m'a aidé de faire ça. Je me suis bien cassé la gueule aussi parfois. Mais ça m'a quand même fait comprendre plein de choses, notamment que je pouvais écrire et composer des chansons. J'ai rencontré plein de gens, j'ai signé dans une maison de disques... Il faut savoir tirer son épingle du jeu ! Je ne regrette rien, même pas mon premier album. Je ne le trouve pas terrible parce que ça ne va pas du tout avec le chemin que j'ai pris, et c'est pour ça que je n'ai jamais voulu chanter les chansons sur scène, excepté "Je te dis non" et la chanson que je chante avec Michal. Mais ce n'est pas un regret. J'ai appris des choses. Et puis c'est normal d'évoluer.
C'est mieux, même. Si tu ne changes pas assez, de toute façon, on te critiquera. Bon, on te critiquera aussi si tu changes trop...
Oui, c'est... terrifiant ! Alors qu'aux Etats-Unis, ça ne se passe pas du tout comme ça ! Bon, ouvrez vos esprits, Français, Françaises... (Rires)
Attention, ne critique pas trop les Français, après on va te le reprocher !
Bon alors non, d'accord... Non mais j'adore les Français, justement, je veux servir le pays !
(Rires) Voilà, je tiens mon titre d'interview, Elodie Frégé : "Je veux servir mon pays" !
(Rires) Oh non ! Merde ! J'aurais jamais dû dire ça. Il faut que j'arrête de parler, c'est pas possible ! Non, mais ce n'est pas que j'essaie de servir le pays, mais je veux que la France soit aussi belle que je la vois belle. Je trouve qu'on a un très beau cinéma, même si bien sûr il y a des navets, mais il y a beaucoup de choses très bien faites, de belles personnalités, alors que dans la musique, c'est en train de s'amoindrir.
Petite question d'actualité, est-ce que tu as suivi tout ce qui se passe autour du groupe Sexion d'Assaut, le boycott, les dates annulées, tout ça...
Ouais... Je trouve grave qu'on ne s'en soit pas rendu compte avant en fait. Moi, on me reproche de ne parler que d'amour dans mes chansons, de relations affectives... Mais on ne peut pas reprocher ça, c'est la première chose qui intéresse un être humain : s'il va trouver quelqu'un pour faire sa vie, s'il va dormir près de quelqu'un le soir. Là, c'est grave parce qu'ils insultent une partie importante de la société. J'ai un public assez important chez les homosexuels, la plupart des hommes que je fréquente en tant qu'amis sont homosexuels, donc je sais qu'ils ont été outrés par ça, et je trouve ça hyper violent d'employer ces termes. Moi, jamais je ne pourrais imaginer faire une chanson contre un groupe de personnes qui a choisi de vivre de telle ou telle façon. Je n'ai pas compris pourquoi ces gens avaient employé des termes aussi violents. Est-ce que c'est pour la provoc... ?
Ils s'excusent en parlant d'inculture, apparemment ils ne connaissaient pas le sens du mot homophobe...
Non ?! C'est pas possible, moi j'y crois pas.
Si, si, à la suite de l'interview en question, le membre du groupe qui a prononcé ces propos a dit qu'il avait été voir dans le dictionnaire et que ce n'était pas du tout ce qu'il voulait dire.
Ah mais bien sûr, il voulait dire qu'il était misanthrope ! (Silence) Non mais c'est horrible...
Et leur album est classé au dessus du tien...
Eh bah bravo, vive la France !
Musique
Elodie Frégé : "Je ne suis pas là pour prendre les gens pour des cons"
Publié le 20 octobre 2010 à 16:43
A l'occasion de la sortie de "La fille de l'après-midi", la chanteuse évoque son troisième opus, le paysage musical français qui s'appauvrit, ou encore son côté snob et rétro, ainsi que l'idée d'écrire pour... René La Taupe ! Entretien inédit.
Elodie Frégé© Universal, Music
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