Grande première pour TF1. Demain à partir de 10h50 sur TMC, le groupe de Gilles Pélisson diffusera pour la première fois de son histoire les matchs de Coupe Davis de l'équipe de France de tennis. Aux commandes de cet évènement chipé à France Télévisions, le journaliste Frédéric Calenge, accompagné par Arnaud Clément, capitaine de l'équipe de France de tennis de 2012 à 2015. En cabine, les téléspectateurs pourront compter sur les commentaires de deux duos : Frédéric Verdier et Nicolas Escudé d'une part, Benoît Daniel et Arnaud Di Pasquale d'autre part.
Pour l'occasion, la formule de la Coupe Davis connaîtra une véritable révolution. Exit ainsi les rencontres sur un week-end tout au long de l'année. Place à des rencontres concentrées sur une seule semaine à Madrid. Concrètement, les 18 équipes s'affronteront en deux matchs simples et un double, chaque partie se gagnant en deux sets, avec un tie break dans l'éventuel troisième. Tombée dans le groupe A, l'équipe de France, entraînée désormais par Sébastien Grosjean, affrontera le Japon et la Serbie de Novak Djokovic. S'ils sortent de la poule, Jo-Wilfried Tsonga, Gaël Monfils et la paire Herbert-Mahut iront en quart de finale, puis en demi-finale, et éventuellement en finale, prévue dimanche à partir de 16h. Pour cette grande première historique, puremedias.com a interrogé Julien Millereux, le directeur adjoint du service des sports du groupe TF1. L'occasion d'évoquer avec lui ce choix novateur de la Une, ainsi que la stratégie plus globale du groupe en matière d'acquisitions de droits sportifs.
Propos recueillis par Benjamin Meffre.
puremedias.com : Pourquoi avoir décidé d'acquérir les droits de la Coupe Davis ?
Julien Millereux : Pour plusieurs raisons. Nous sommes d'abord à l'écoute de toutes les opportunités qui se présentent sur le marché des droits sportifs. La Coupe Davis en était une. C'est ensuite une compétition qui est en plein accord avec notre stratégie en matière de retransmissions sportives. Celle-ci est très recentrée sur les évènements ponctuels et très orientée "maillot bleu". Notre envie est ainsi de donner le meilleur des équipes de France, qu'il s'agisse de foot, de rugby ou de tennis. La Coupe Davis, c'est un peu la Coupe du monde de tennis. C'est aussi une compétition par équipe dans laquelle les Bleus ont l'habitude de briller. La nouvelle formule de la Coupe Davis, concentrée sur une seule semaine, nous a aussi convaincus.
Justement, cette nouvelle organisation de la compétition a-t-elle été décisive ?
Oui, car en termes de programmation, c'est beaucoup plus facile à gérer pour nous. C'est un coup de projecteur sur une semaine sur un évènement donné, alors qu'auparavant, il s'agissait d'une compétition se déroulant tout au long de l'année.
La compétition sera-t-elle intégralement diffusée sur TMC ou a-t-elle des chances d'être diffusée partiellement sur la chaîne TF1 si les Bleus vont en phase finale ?
Non, elle sera intégralement diffusée sur TMC. Les gens ont désormais le réflexe d'aller voir du sport sur nos chaînes TNT, ce qui n'était pas forcément le cas il y a quelques années. Nous avons fait, dans le cadre de notre stratégie multi-chaînes, beaucoup d'évènements en complémentarité sur TMC ou TFX, qu'il s'agisse du Mondial de rugby et de la Coupe du monde féminine de foot sur TMC, ou du match de qualification pour l'Euro 2020 Irlande du Nord/Pays-Bas sur TFX samedi. Nous avons aussi fait des programmations sportives exclusivement sur TMC, comme la finale de la Ligue des champions féminines ou la finale de Coupe d'Afrique des nations en juillet dernier. Lors de tous ces évènements, nous avons eu la confirmation que nous pouvions délivrer de fortes audiences sur TMC avec du sport. La finale de la CAN a par exemple réuni près de 1,6 million de téléspectateurs !
Les audiences de la Coupe Davis sont généralement modestes. N'est-ce pas une prise de risques trop importante pour un groupe privé comme TF1 ?
Nous prenons peut-être plus de risques aujourd'hui qu'avant, et c'est devenu l'une des forces de TF1. La Coupe du monde féminine en est le meilleur exemple. Quand nous avons acheté les droits à la fin 2015, bien malins étaient ceux qui pouvaient prédire à l'époque que nous réunirions près de 10 millions de téléspectateurs en 2019 avec les matchs de l'équipe de France, ou même 5,5 millions de téléspectateurs sur TF1 avec un Etats-Unis/Angleterre. Prendre des risques est désormais pleinement dans l'ADN de TF1. J'ajouterais que dans ce cas précis de la Coupe Davis, la prise de risque est limitée. La compétition nous permettra en outre "d'événementialiser" nos antennes. Côté d'audiences, nous n'avons pas d'estimations ou d'attentes particulières. Nous serons de toute façon tributaire du parcours des Bleus.
"Roland-Garros n'était pas forcément un évènement pour nos antennes"
C'est cher une Coupe Davis ?
Ce que je peux vous dire, c'est que ce ne sont pas des niveaux d'investissement comparables à ceux d'un match de foot par exemple. C'était une opportunité qui faisait sens économiquement pour nous.
France Télévisions, diffuseur historique de la compétition, vous a-t-il vu arriver ?
Il faudra leur poser la question (sourire). Les droits sont chez nous en tous les cas.
"Pour nos chaînes, le tennis est toujours un exercice très compliqué", disait Gilles Pélisson à puremedias.com en juin 2019. Vous avez changé d'avis ?
Non. Mais il est vrai que le tennis a souvent des durées très variables selon les matchs. Pour une chaîne généraliste, cela implique un certain nombre d'ajustements en termes de programmation. L'acquisition de cette Coupe Davis est la preuve que nous sommes capables de les faire. J'ajoute qu'avec la nouvelle formule, les matchs commenceront vers 11h et se joueront en deux simples suivi d'un double, en deux sets gagnants, avec à chaque fois des tie-break en cas de troisième set. La durée des matchs sera donc certes variable, mais cette variabilité sera plus limitée qu'avant. C'est aussi ce qui nous a encouragé à nous positionner sur cette compétition.
Pourquoi ne pas vous être positionnés sur Roland-Garros ?
Cela n'était pas le même investissement et le packaging de l'appel d'offres était moins favorable pour nous, même s'il ne m'appartient pas de le commenter. Comme pour toutes les opportunités, nous nous sommes posés la question et nous avons fini par nous dire que Roland-Garros n'était pas forcément un évènement pour nos antennes.
"Aujourd'hui, on ne s'interdit rien en matière d'acquisitions de droits sportifs"
En matière d'acquisitions de droits sportifs, il n'y a plus de logique "par sport" à TF1 ?
Oui, même si nous sommes quand même très tournés vers le sport collectif. Disons qu'il y a plusieurs piliers. Tout d'abord, la puissance, avec les gros évènements fédérateurs que sont les Coupes du monde et les Euros de foot masculins, les Coupes du monde de foot féminin, les Coupes du monde de rugby masculin. Il y a ensuite l'évènementiel, comme avec la Formule 1, auquel s'ajoutent des opportunités ponctuelles comme la finale de la Coupe d'Afrique des nations ou le Super Bowl. Aujourd'hui, on ne s'interdit rien.
N'avez-vous pas peur de perdre les téléspectateurs en multipliant les investissements dans des compétitions nouvelles pour vous, acquises au coup par coup ?
Non, je ne pense pas que cela soit déstabilisant pour le téléspectateur. Cela reste des équipes de France jouant à des sports collectifs. Le handball en est une parfaite illustration. Nous avons commencé en nous positionnant en 2015 sur les demi-finales et la finale du Mondial masculin, puis en ajoutant les quarts et maintenant certains matchs de poules. En 2015, la finale a réuni 9,1 millions de téléspectateurs sur TF1 ! Peu de sport peuvent se targuer de réaliser une telle audience. Pourquoi cette rencontre y est-elle parvenue ? Grâce notamment à la puissance de TF1 et à sa communication en amont autour de l'évènement, dans ses JT ou sur le digital notamment. Cela a permis de faire de cet évènement un évènement majeur. Je pense que le groupe a cette capacité, que n'ont pas forcément tous les autres groupes audiovisuels, de faire monter en puissance des évènements, de les faire rayonner.
Réfléchissez-vous justement à mettre cette capacité au service de nouveaux sports ?
Encore une fois, nous regardons tout. Après, il faut que cela fasse sens pour nous économiquement. Nous avons une stratégie d'acquisition raisonnée et nous sommes aussi tributaires des droits disponibles, beaucoup étant captés par les chaînes payantes. Tout n'est donc pas faisable. Mais en partant du principe que le marché des droits sportifs fonctionne par cycle de 4 ans, la plupart des évènements diffusés sur les antennes du groupe TF1 en 2019 ne l'était pas en 2015. Je pense ainsi au handball, au Super Bowl, à la Formule 1, au Mondial féminin de foot, à la finale de la CAN, à la Coupe Davis, mais aussi au championnat du monde de handball féminin que nous diffuserons en décembre. Nous avons ainsi su renouveler profondément notre offre. C'est notre boulot, à Ara Aprikian, François Pellissier et à moi, de trouver les nouveaux sports qui peuvent intéresser les Français de manière massive.
"Le modèle hybride de diffusion de la F1 est au final vertueux pour tout le monde"
Le sport est devenu l'une des mises en application principales de la stratégie multi-chaînes chère à Gilles Pélisson. Comment se fait la répartition des retransmissions entre les chaînes ? Est-ce une simple logique d'audience décroissante ? A TF1 les évènements les plus puissants, à TMC ceux qui le sont un peu moins, à TFX ceux qui le sont encore moins ?
Il y a évidemment une réflexion liée à l'audience et à la capacité de monétisation des évènements. Après, ce n'est pas une loi d'airain. Comme nous l'avons fait l'année dernière, nous aurions pu diffuser nos quatre grands prix de F1 sur TF1 cette saison. Or, nous avons finalement diffusé le grand prix des Etats-Unis sur TMC, avec le sacre de Lewis Hamilton en direct en prime. Cela nous a permis "d'événementialiser" l'antenne de TMC et de renforcer son prime time. Il y a véritablement une complémentarité entre les chaînes du groupe.
TFX vise les Millennials. Peut-on imaginer à terme une programmation de sport dédiée, avec des sports extrêmes par exemple ?
C'est envisageable. Aujourd'hui en tous les cas, nous n'avons pas trouvé le sport idoine. Mais nous n'excluons pas de trouver quelque chose qui soit davantage positionnée "Millennials". Après, il faut se méfier des préjugés sur certains sports, comme les sports extrêmes par exemple. Pour avoir travaillé à Eurosport quelques années, je peux vous dire que le skate ou le surf peuvent intéresser un public plus âgé que ce que l'on croit.
Sur ce marché fragmenté et fortement inflationniste des droits sportifs, diriez-vous que les ayants droit se préoccupent davantage aujourd'hui de la visibilité de leur sport, et non plus uniquement de l'argent qu'ils peuvent en tirer ?
Certains ayants droit, oui sans aucun doute. La Formule 1 en est l'exemple typique. Liberty Média, le détenteur des droits depuis 2017, a eu un discours d'humilité très rare pour un acteur aussi puissant. Ses dirigeants ont clairement affirmé que leur marque avait été abîmée avec le passage au tout-payant en France de la F1 pendant cinq ans. Ils ont profité du retour du grand prix de France, évènement d'importance majeure (donc forcément diffusé en clair, ndlr), pour mettre quatre grands prix en clair sur le marché que nous avons acquis. Ce modèle hybride de diffusion est au final vertueux pour tout le monde. Nous en sommes contents, Liberty en est content car cela permet de donner un coup de projecteur régulier sur la F1, via les grands prix mais aussi "Auto-Moto". Enfin, Canal+ (le diffuseur en payant de toute la saison de F1, ndlr) est lui aussi très content car il n'a jamais fait de meilleures audiences que depuis que nous diffusons ces quatre grands prix en clair. La F1 est un cas d'école.
"Aujourd'hui, les compétitions européennes de football sont financièrement inaccessibles pour le groupe TF1"
Justement, l'UEFA pourrait-elle s'en inspirer alors que sont remis sur le marché les droits de la Ligue des Champions et de la Ligue Europa pour la période 2021-2024 ?
Ce n'est pas à moi de parler au nom de l'UEFA mais je pense que l'UEFA a conscience de la moindre visibilité de ses deux compétitions en France par rapport à celle d'il y a quelques années, lorsqu'elles étaient au moins partiellement disponibles en clair.
TF1 va-t-il se positionner lors de cet appel d'offres ?
Nous regardons. Nous serions évidemment ravis de diffuser quelques matchs dans la saison comme c'était le cas par le passé. Mais aujourd'hui, financièrement, c'est inaccessible pour le groupe TF1, comme pour n'importe quel diffuseur gratuit d'ailleurs. Il s'est dit que RMC Sport dépensait près de 350 millions d'euros par saison pour diffuser ces compétitions, et ce pour 15 semaines de matchs dans l'année. Le coût de grilles à l'année et pour l'ensemble des chaînes du groupe TF1 s'élève à près de 980 millions d'euros. C'est assez clair... Après, diffuser un, deux ou quelques matchs, pourquoi pas ! Mais est-ce que la Ligue des champions va revenir avec une affiche chaque semaine sur TF1 comme il y a quelques années ? Je ne veux pas être catégorique mais j'en doute beaucoup.
Comptez-vous poursuivre votre investissement dans la Formule 1 au-delà de l'accord actuel ?
Nous ne nous sommes pas encore posés la question. Nous avons encore un peu de temps puisque l'accord actuel court jusqu'à 2020. Nous verrons ensuite.
Où en est-on des discussions concernant la diffusion de l'Euro 2020 ?
Nous continuons à discuter. Il n'y a pas de finalisation pour l'instant.
Qu'est-ce qui bloque ?
Nous ne commentons pas les discussions en cours.
On dit que TF1 aurait réclamé la co-diffusion avec M6 de la finale, et plus une diffusion unique décidée par tirage au sort, comme c'est le cas habituellement...
Ah bon ? No comment.
La Coupe du monde de rugby n'a pas vraiment créé l'évènement malgré des audiences correctes. Etes-vous déçu ?
La Coupe du monde de rugby a délivré des audiences très puissantes en matinée, mais peut-être en effet légèrement en-deçà de ce qu'on attendait. Plusieurs raisons à cela. Les performances du XV de France ces dernières années n'ont pas été exceptionnelles et cela a sans doute eu un impact sur la mobilisation du grand public - pas des fans de rugby - autour de cette compétition. L'annulation du match France/Angleterre, particulièrement attendu, a par ailleurs un peu coupé notre belle dynamique. Cela a eu deux effets : nous priver du choc qui devait faire passer un palier à l'équipe de France, mais aussi créer un trou de deux semaines dans les diffusions des matchs de l'équipe de France.
"La publicité par écran partagé aura un intérêt pour les sports sans coupure naturelle"
Les dirigeants des chaînes privées gratuites aiment à répéter qu'on ne gagne pas d'argent en diffusant du sport . Vous confirmez ?
Oui, même si nous essayons de rationaliser au maximum nos coûts d'acquisition et de perdre le moins d'argent possible. Ces évènements coûtent très cher et sont donc extrêmement durs à monétiser.
Pourquoi en diffuser alors ?
C'est une question de leadership et de statut pour un groupe comme TF1. En tant que groupe privé leader, nous nous devons de montrer ces évènements fédérateurs aux Français. Ces grands évènements boostent aussi l'ensemble des grille de nos chaînes en faisant venir du monde en-dehors des retransmissions sportives.
La publicité par écran partagé devrait bientôt faire son arrivée en France avec la prochaine réforme de l'audiovisuel. Est-ce que cela va avoir un fort impact pour vous ?
Nous regardons cela actuellement. Disons que cela aura surtout un intérêt pour les sports sans coupure naturelle. Le football disposant d'une mi-temps de 15 minutes, il ne sera pas forcément le sport pour lequel c'est le plus intéressant. Pour la Formule 1 en revanche, cela pourra être davantage intéressant car nous sommes actuellement obligés de diffuser des pages de publicité pendant la course, ce qui peut faire rater un fait de course à nos téléspectateurs. Cet écran partagé permettrait donc de rester sur la course, tout en diffusant nos spots publicitaires. Après, tout dépendra de ce qu'acceptent ou pas les ayants droit en la matière.