Voir dans un même hashtag les mots "Libé" et racisme a de quoi surprendre. Pourtant, depuis ce matin, #LibéRacisme envahit Twitter, au point de se hisser parmi les trending topics du site de micro-blogging. Et de diviser la rédaction du quotidien.
En cause, une chronique de Luc le Vaillant publiée dans les pages Idées du journal et intitulée "La femme voilée du métro". Dans ce texte, le journaliste imagine un trajet en métro face à une femme vêtue d'une abaya et décrit les peurs et les fantasmes qu'elle cristallise. "Cette autre soutane monothéiste lui fait la cuisse évasive, la fesse envasée, les seins restreints. Les cheveux sont distraits à la concupiscence des abominables pervers de l'Occident décadent. Ceux-ci ne rêvant, paraît-il, que de dénuder ce corps réservé à un seigneur et maître, réel ou spirituel, qui tient ses pouvoirs d'accaparement du Dieu unique à la féroce jalousie", imagine-t-il.
"Elle se tient droite et les regards oublient vite sa silhouette pour se concentrer sur la gibecière portée en bandoulière. Personne ne s'attend à en voir sortir un lapin blanc pris au collet. Tout le monde s'inquiéterait plutôt que le sac soit farci de TNT. (...) Tant qu'elle ne rafale pas les terrasses à la kalach, elle peut penser ce qu'elle veut, croire aux bobards qui la réjouissent et s'habiller à sa guise mais j'aimerais juste qu'elle évite de me prendre pour une buse. Arborer ces emblèmes sinistres revient à balancer un bloc d'abîme fondamentaliste sur l'égalité homme-femme, sur les libertés publiques et sur l'émancipation de l'individu. Ce qui est son droit le plus strict, même si je le juge inique", poursuit-il.
Très vite, les réseaux sociaux ont critiqué cette chronique, qualifiée à la fois de sexiste et raciste.
Au sein-même du journal, la chronique est mal passée.
Devant l'ampleur qu'a pris le scandale, Laurent Joffrin, le directeur de la rédaction, a publié en milieu de journée un texte sur le site du journal pour expliquer que "les chroniques, comme leur nom l'indique, sont par nature diverses et subjectives. Elles n'engagent pas le journal au même degré qu'un éditorial ou un article d'information. Luc a mis en scène des fantasmes et des inquiétudes qui courent dans la société."
Il a néanmoins ressenti le besoin de s'excuser. "Sans doute aurait-il dû souligner avec plus de précaution qu'il s'agissait non d'une opinion construite mais de la restitution littéraire et ironique de préjugés et d'angoisses qu'il se reproche lui-même, comme il l'écrit, d'avoir ressentis. Si des lecteurs ont été blessés par ce texte, nous en sommes désolés. Toutes nos prises de position, toute notre histoire, tout notre travail montre que Libération s'attache en permanence à lutter contre les discriminations, de quelque nature qu'elles soient."
Selon "Les Inrocks", qui cite un journaliste du quotidien, la conférence de rédaction du matin a été "hyper tendue". "La grande majorité des journalistes sont scandalisés. On a l'impression de faire 50 pas en arrière avec un texte comme ça, surtout après avoir fait des doubles et des doubles pages sur l'islamophobie, encore pas plus tard que la semaine dernière", a ajouté le journaliste cité.
Quelques minutes après Laurent Joffrin, la Société des journalistes et du personnel du quotidien a réagi en publiant un communiqué. "Au sein de l'équipe, de très nombreux journalistes ont également fait part ce mardi de leur désapprobation sur un contenu qui ne reflète pas, à leurs yeux, les valeurs du journal et leurs convictions personnelles. La Société des journalistes et du personnel de Libération (SJPL) rappelle qu'il s'agit d'une chronique qui, de par ce statut, engage l'opinion de son auteur et non celles d'autres journalistes", peut-on y lire.