Vers un coup d'arrêt de l'accès des mineurs aux sites pornographiques sur le web ou coup d'épée dans l'eau ? Le gouvernement a publié, ce vendredi, un décret attendu de longue date "relatif aux modalités de mise en oeuvre des mesures visant à protéger les mineurs contre l'accès à des sites diffusant un contenu pornographique".
Son principal objectif : faire la chasse aux sites pornographiques qui ne contrôlent pas l'âge de leurs utilisateurs à l'entrée, et qui permettent par conséquent au public mineur d'accéder à leur contenu.
Ce décret d'application de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales donne ainsi au président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) la compétence d'initier des procédures de blocage de sites pornographiques, qui laissent des mineurs accéder à leurs contenus. L'écrasante majorité des sites pornographiques se contentent en effet de demander à l'utilisateur de confirmer qu'il est âgé de plus de 18 ans.
S'il est interpellé par un particulier ou une association et que les faits sont constatés, le président du CSA pourrait donc mettre en demeure le site pornographique concerné afin qu'il se plie aux règles du droit français et prenne "toute mesure de nature à empêcher l'accès des mineurs au contenu incriminé" dans un délai de 15 jours.
"Pour apprécier (...) si la personne dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne permet à des mineurs d'avoir accès à un contenu pornographique en violation de l'article 227-24 du Code pénal, le président du CSA tient compte du niveau de fiabilité du procédé technique mis en place par cette personne afin de s'assurer que les utilisateurs souhaitant accéder au service sont majeurs", est-il écrit dans le décret sans davantage de précisions.
Cela signifie que c'est au CSA d'apprécier la fiabilité de la technique retenue par le site pornographique pour vérifier l'âge de ses utilisateurs. Problème, comme l'explique BFMTV, "à ce jour, aucune solution technique n'a été trouvée pour qu'un site puisse vérifier l'âge d'un internaute, en France comme à l'étranger". Le partage d'une pièce d'identité, un temps envisagé en Grande-Bretagne, a finalement été abandonné.
Toujours est-il que si rien n'est fait à l'expiration de ce délai de 15 jours, le gendarme de l'audiovisuel "peut (selon l'article 23 de la loi du 30 juillet 2020) saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d'ordonner, selon la procédure accélérée au fond, que (les fournisseurs d'accès à internet) mettent fin à l'accès à ce service. Le procureur de la République est avisé de la décision du président du tribunal."
Les fournisseurs d'accès à internet "procèdent (alors) à cet arrêt par tout moyen approprié, notamment en utilisant le protocole de blocage par nom de domaine (DNS)" (article 5 du décret). L'adresse IP d'un site sanctionné serait alors remplacée par celle du site du CSA et l'accès au site pornographique serait bloqué. "Les utilisateurs des services de communication au public en ligne auxquels l'accès est empêché sont dirigés vers une page d'information du CSA indiquant les motifs de la mesure de blocage".
Certains spécialistes, à l'image de l'avocat Alexandre Archambault, craignent cependant que l'énorme trafic généré par les sites pornographiques ne puisse être absorbé par le site du CSA.
La publication de ce décret coïncide, hasard du calendrier, avec la mise à la connaissance du public d'une décision du tribunal judiciaire de Paris particulièrement attendue : le 9 septembre, deux associations de protection de l'enfance, e-Enfance et La Voix de l'enfant, ont assigné en justice les principaux fournisseurs français d'accès à internet pour obtenir le blocage de 9 sites pornographiques jugés trop facilement accessibles aux mineurs. Parmi eux, YouPorn, PornHub, ou encore Xvideos.
Les deux associations n'ont pas obtenu gain de cause, selon une information de NextInpact, qui précise, dans un tweet, que le vice président du tribunal judiciaire de Paris "a rejeté" leurs demandes visant au blocage de plusieurs sites pornographiques. Comme le rapporte "Le Parisien", la juridiction des référés a indiqué qu'elle "n'était pas en situation de pouvoir exercer le contrôle de proportionnalité des mesures sollicitées dans le respect du principe de la contradiction". Les associations requérantes "n'établissent pas avoir tenté de prendre contact " avec les sociétés éditrices de contenus pornographiques alors qu'elles sont " identifiables et expressément identifiées", estime la juridiction.
"Nous appliquerons la décision de justice et fermerons ces sites au plus vite si la justice nous le demande", indiquait Orange à l'AFP le mois dernier. "Mais en l'absence de décision de justice, nous appliquons les règles de la neutralité du net et de la liberté d'expression".