"Les GG" repartent sur les routes. Dans le cadre de la campagne présidentielle 2022, Olivier Truchot et Alain Marschall ont décidé de se rendre chaque vendredi dans une grande ville de France pour une émission au milieu de leur public. Après un déplacement à Rennes le 11 mars, ils seront demain à Bordeaux, puis iront à Marseille le 25 mars, à Lyon le 1er avril et à Amiens le 8 avril.
Dix-huit ans après son lancement, leur programme fait toujours les belles heures de RMC chaque jour de 9h à 12h. Depuis 2016, "Les grandes gueules" sont aussi proposées sur la chaîne de télévision du groupe Altice, RMC Story. L'émission de débat autour de l'actualité porte d'ailleurs ses audiences en matinée avec près de 220.000 fidèles, soit 6% de part d'audience, bien au-dessus de la moyenne du canal 23 (1,7% en février).
Longtemps décriée pour son populisme, "Les grandes gueules" sont désormais largement imitées par la concurrence, notamment CNews. A la recherche de personnalités au "parler-vrai" pour revivifier le débat politique, les rivales de RMC n'hésitent d'ailleurs pas à piocher régulièrement au sein de l'effectif des "Grandes gueules" pour nourrir leur plateau. De quoi agacer Olivier Truchot et Alain Marschall, que puremedias.com a rencontré mardi.
Propos recueillis par Benjamin Meffre.
puremedias.com : Pourquoi avoir décidé de partir sur les routes à la rencontre des Français alors que vous leur donnez déjà la parole au quotidien dans "Les Grandes gueules" ?
Alain Marschall (AM) : Nous tâchons depuis la campagne de 2007 de partir à chaque présidentielle à la rencontre de nos auditeurs à travers toute la France. Rien ne vaut le contact avec le public ! Les sensations sont différentes, ne serait-ce que dans le regard et l'écoute. Surtout, nous discutons après l'émission pendant une demi-heure à trois quarts d'heure avec le public. Ca, on en avait besoin !
Que vous disent vos spectateurs une fois les micros coupés ?
Olivier Truchot (OT) : Ils nous parlent de l'émission dont ils sont souvent fans. Ils sont surtout très contents de rencontrer enfin les "GG" en chair et en os. Ils nous parlent aussi beaucoup de l'actualité. Ils nous racontent leurs problèmes du quotidien. A Rennes le 11 mars par exemple, nous avons eu dans l'émission une dame devenue SDF à cause de la crise sanitaire qui a ruiné son commerce. Elle est l'exemple vivant du fait que le "quoiqu'il en coûte" n'a pas sauvé tous les commerçants, contrairement à ce qu'on croit parfois.
"Les gens ne s'intéressent pas à cette campagne"
Pour vos déplacements, vous avez choisi uniquement des grandes villes comme Rennes, Marseille, Amiens ou Lyon. Pourquoi ne pas avoir intégré des communes plus petites, voire des villages ?
AM : Nous y avions pensé mais pour des raisons logistiques, nous n'avons pas pu. C'est une grosse machinerie de déplacer une émission de radio et de télévision.
OT : Nous devons aussi être à la télévision sur BFMTV à Paris le jeudi (soit la veille des émission délocalisées, ndlr). C'est donc pratique, également pour nous, d'aller dans des villes reliées par le TGV.
Au contact de votre public, sentez-vous une défiance grandissante envers la politique ?
OT : Oui. Mon ressenti, c'est que les gens ne s'intéressent pas à cette campagne. Elle n'imprime pas et la guerre en Ukraine n'aide pas, bien évidemment. Notre public a l'impression que les 12 candidats ne sont pas forcément convaincants dans ce qu'ils proposent. Je ne sais pas si cela va se terminer par un vote de ras-le-bol ou une abstention... Ce n'est pas la première année que nous constatons ça mais c'est grandissant. Il y a un décrochage. Les gens veulent parler politique mais ne font pas confiance aux politiques pour régler leurs problèmes.
AM : Il y a une fatigue de la population, une sorte de grande lassitude après deux ans de Covid. Tout le monde a envie de passer à autre chose et la guerre en Ukraine est venu leur remettre un coup sur la tête.
Et envers les médias, la défiance grandit-elle aussi ?
OT : Oui, il y a une forte défiance. Nous y échappons un peu dans "Les grandes gueules" car nous donnons historiquement la parole aux gens plus qu'aux journalistes. Mais oui, nos spectateurs estiment, souvent de manière injuste, que les médias ne parlent pas assez d'eux ou ne disent pas la vérité.
"On nous a beaucoup traités de populistes au début. Maintenant, on nous imite"
Est-ce cela le secret de longévité des 'Grandes gueules' : avoir, consciemment ou inconsciemment, anticipé l'avènement d'une société où tout le monde voudrait et pourrait prendre la parole ?
AM : Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est qu'autour de la table, nous avons des gens qui ressemblent à la vie. Nous avons une fonctionnaire, un éleveur, un médecin, une avocate, un élu local, une ancienne SDF, un garagiste, un prof en reconversion, des étudiants... Et contrairement à ce qu'on pense parfois, ils retournent à leur vie de tous les jours une fois qu'ils ont terminé l'émission !
OT : Quand on a créé les "GG" il y a 18 ans, on voulait se distinguer des quelques émissions de débat autour de l'actualité qui existaient à l'époque. Toutes donnaient la parole à des professionnels de l'expression médiatique, journalistes ou responsables politiques. Nous étions alors en pleine relance de RMC avec Alain Weill aux manettes. Notre idée était de nous différencier en mettant autour de la table des Français. Il se trouve que ce modèle a depuis été beaucoup copié et qu'il est partout dans les médias aujourd'hui. A l'époque, nous avons peut-être eu cette bonne intuition, sans trop en avoir conscience, qu'il fallait donner la parole aux gens.
Et ce avant même l'arrivée des réseaux sociaux qui ont donné la parole à tout le monde...
OT : Oui, et qui ont montré que cette parole était légitime aussi ! On nous a beaucoup traités de populistes au début. Maintenant, tout le monde, y compris Emmanuel Macron veut faire des débats avec les Français... Je n'ai jamais compris cette critique en populisme... Donner la parole au peuple me paraît normal, particulièrement en démocratie. Cela ne veut pas dire que cette parole est supérieure à celle des politiques ou des journalistes, mais c'est tout aussi intéressant.
Ces paroles se valent-elles selon vous ?
OT : Elles se complètent !
AM : Ce sont des paroles qui s'écoutent aussi ! Ou alors on arrête la démocratie.
Ces critiques en populisme vous ont-elles blessés ?
OT et AM : Non.
"Jean-Pierre Pernaut aurait fait une bonne 'Grande gueule'"
Jean-Pierre Pernaut, récemment disparu, a lui aussi longtemps été taxé de populisme. Il aurait fait un bon sociétaire des 'Grande gueule' non ?
AM : Oui, il a d'ailleurs fait plusieurs émissions avec nous.
OT : Jean-Pierre Pernaut a longtemps été traité de populiste, de poujadiste, et a été encensé à sa mort. L'histoire est parfois ironique.
AM : Quand il est venu pour la dernière fois dans les "GG" au mois de novembre, on sentait une grande proximité avec nous. Il était content de venir et nous disait "Vous qui avez un éleveur dans votre émission...". Car "Les grandes gueules" représentent aussi les régions !
OT : Oui, c'était l'une des autres ambitions des 'Grandes gueules' à leur naissance : sortir de Paris. Et grâce à nos témoins et à nos GG, qui viennent quasiment tous de province, on y parvient !
Vos "Grandes gueules" sont régulièrement débauchées par la concurrence : Karim Zeribi est désormais sur CNews et C8, Françoise Degois ou Maxime Lledo sont sur LCI. Ca vous agace ou c'est la preuve que vous êtes un bon centre de formation ?
AM : Ah non, ça nous agace ! On va dire que ça prouve que ce sont des gens libres.
Certains reviennent comme Charles Consigny, parti chez "On est pas couché", puis revenu. Il est désormais en retrait de l'émission après avoir rejoint la campagne de Valérie Pécresse. Reviendra-t-il ensuite si Valérie Pécresse n'est pas élue ?
OT : Ca dépend s'il a des ambitions politiques à plus long terme, législatives par exemple. Si c'est le cas, il ne reviendra pas. Nous ne voulons pas de responsables politiques en exercice. C'est d'ailleurs pour cela que Claire O'Petit nous a quittés une fois élue députée LREM. Nous avons fait l'erreur, une fois, de garder Gilbert Collard après qu'il soit devenu député du Front national. Nous aurions dû nous en séparer car nous nous sommes vite rendus compte qu'il devenait politique et donc porte-parole, alors que nous voulons des gens totalement libres.
AM : Même ceux qui ne le veulent pas finissent par tomber dans les éléments de langage et les logiques de parti. Eux-même se font taper sur le doigt par leur parti quand ils dévient de la ligne, on le sait. C'est donc intenable pour les "GG".
Est-ce que CNews n'est pas devenue "Grandes gueules TV" ?
AM : Non, parce que CNews a choisi une ligne politique, contrairement à nous.
OT : Ils mettent souvent autour de la table des gens qui pensent la même chose. Nous, nous nous cassons la tête pour mettre au contraire des gens qui ne pensent pas pareil.
"Les 'GG', c'est une baston dans les règles"
Pour paraphraser les Inconnus, c'est quoi la différence entre une bonne et une mauvaise "Grande gueule" ?
AM : (Rires) C'est quelqu'un de libre, de franc, de sincère. Il faut aussi qu'elle ait l'esprit structuré et qu'elle assume ses propos.
OT : Et les prononce dans le respect de la loi et des règles de l'antenne.
Justement, vous avez été souvent épinglés par le CSA pour des dérapages dans l'émission entre la fin des années 2000 et le début des années 2010. Cela s'est beaucoup calmé depuis. Est-ce parce que vous faites plus attention à ce qu'il se dit ou parce que le CSA a plus d'émissions à surveiller désormais ?
AM : Peut-être est-ce juste parce qu'il y a plus d'émissions à surveiller ? (rires)
OT : Peut-être qu'on a aussi l'expérience du débat et qu'on le maîtrise mieux. Sur les 18 ans d'une émission quotidienne de trois heures, il y a eu au final peu de "dérapages" honnêtement. L'important c'est de le reconnaître et de s'excuser, ce qu'on a fait. Et puis on tient aussi à un esprit de convivialité qui empêche de tomber dans un débat trop violent et brutal. Une émission où il y a de l'animosité n'est pas une bonne émission pour nous.
On a quand même une image de baston assumée quand on pense aux "Grandes gueules"...
OT : Oui mais c'est une baston dans les règles.
AM : On est plus dans la boxe traditionnelle que dans l'octogone de MMA (Mixed Martial Arts, ndlr).
Ne pensez-vous tout de même pas avoir contribué à l'hystérisation du débat politique à la télévision en assumant la controverse jusqu'à la cloche de ring de boxe entendue régulièrement sur votre antenne ?
AM : Non, pas du tout. Je pense sincèrement que l'hystérisation du débat est venue avec les réseaux sociaux et la course au buzz qu'ils engendrent. Nous, on essaye de débattre sans aller vers le clash même si parfois il arrive et nous l'assumons.
Avez-vous eu peur du passage en télé des "Grandes gueules" ?
OT : Oui un peu. Les "GG" sont spontanées et directes et nous avions peur de tout ce qui entoure la télé : le maquillage, les lumières et la préoccupation pour son propre reflet que cela peut engendrer. Au final cela n'a rien changé. Cela nous a surpris nous-mêmes.
"On ne s'est jamais engueulé !"
Ca fait 20 ans que vous animez des émissions en duo. Voulez-vous mourir sur scène ensemble ?
AM : (Rires) Oh non ! Mourir en bonne santé et le plus tard possible, oui ! Mais pas sur scène ! J'aurai passé le flambeau avant.
OT : Tant qu'on prend du plaisir à faire l'émission et qu'elle marche, on continue. Après, on verra.
AM : Il faudra juste faire attention à ne pas faire la saison de trop. En général malheureusement, on ne le sait pas trop sur le moment qu'on fait la saison de trop... Mais il faudra essayer de le sentir (rires)
OT : Nous avons aussi d'autres choses dans notre vie. Ceux qui refusent de s'arrêter sont souvent ceux qui ont tout donné à leur métier. Il pense alors que si leur métier s'arrête, tout s'arrête.
AM : C'est le piège de ce métier, qui te donne de la notoriété et des facilités dans la vie. Avec Olivier, nous avons eu la chance de connaître la "notoriété" sur le tard. En 2004 au lancement des "Grandes gueules", j'avais 40 balais. J'étais journaliste depuis une quinzaine d'années et inconnu du grand public. Olivier en avait 36.
OT : Oui, c'est plus simple quand les choses arrivent progressivement. Le succès des "GG" a été progressif. Cela ne nous est pas tombé dessus du jour au lendemain. Surtout qu'au début, nous ne faisions que de la radio, ce qui change quand même beaucoup de choses en termes de notoriété.
Vous êtes au final l'un des derniers duos des médias...
AM : Oui. On ne sait pas comment cela se terminera (rires). Mais on ne s'est jamais engueulé !
Est-ce que les gens vous confondent dans la rue ?
OT : Ca peut arriver oui (rires).
AM : On nous confond à la voix. On m'appelle aussi souvent "Olivier Marschall", mais je pense que c'est davantage lié au réalisateur (Olivier Marchal, ndlr) qu'à Olivier Truchot.
Avez-vous cherché à avoir Emmanuel Macron en grand oral dans "Les Grandes Gueules" pour cette campagne ?
OT : Oui bien sûr. Pour être tout à fait exact, nous avons cherché au début à avoir Brigitte Macron. Nous savions par deux sources différentes qu'elle écoutait "Les grandes gueules". Claire O'Petit nous avait dit que Brigitte Macron lui avait demandé dans un meeting un tee-shirt des "Grandes gueules" et lui avait dit : "Je vous écoute en faisant mon courrier". Et Philippe Besson, l'écrivain qui avait suivi Macron pendant sa campagne de 2017, a confirmé dans son livre que Brigitte Macron écoute les Grandes Gueules pour sonder les Français. Nous étions donc allé voir son cabinet pour la faire venir. C'était le début des Gilets jaunes et ce n'était donc pas le bon moment pour s'exposer. Nous avons ensuite lancé des invitations à Emmanuel Macron pour cette campagne présidentielle. Il n'est pas venu pour l'instant. Il lui reste encore 25 jours.