La femme de tous les débats, c'est elle ! Omniprésente lors de la campagne présidentielle en 2017, Ruth Elkrief prend ce soir les commandes de l'émission spéciale "La crise, et après ?" sur BFMTV. Dans ce format événementiel, la tête d'affiche historique de la chaîne info du canal 15 recevra les six chefs des principaux partis politiques dans le cadre d'un débat. Une joute en direct et en public que l'animatrice de la tranche "19h Ruth Elkrief" arbitrera tandis que sa consoeur, Aurélie Casse, confrontera les politiques à des infographies. À l'occasion de ce débat événementiel, puremedias.com s'est entretenu avec Ruth Elkrief.
Propos recueillis par Pierre Dezeraud.
Quel est le sens de ce débat ? C'est une volonté de BFMTV de marquer un coup après la venue d'Edouard Philippe dans une émission spéciale sur LCI ?
Nous nous inscrivons pleinement dans la tradition de créer l'évènement sur l'antenne de BFMTV qui est, rappelons-le, la chaîne de l'évènement. Pendant la période la plus aigüe de la crise, nous avions organisé un débat entre les Gilets jaunes et le gouvernement. C'est là d'ailleurs qu'Eric Drouet a dit qu'il allait "entrer dans l'Elysée". Ça a été un moment clé dans le conflit et ça a été un grand événement avec plus de 1,1 million de téléspectateurs.
Qu'est-ce que vous attendez de ce débat ? L'émergence de solutions ?
C'est exactement cela. L'idée, c'est qu'après des semaines de chahut et de violences - on l'a vu encore ce samedi -, il faut que la raison revienne et que les partis politiques redeviennent forces de proposition dans une arène plus apaisée. C'est ce que nous voulons faire ce soir. Nous veillerons particulièrement à ce que les uns et les autres se respectent et s'écoutent.
Comment va-t-il se dérouler ?
On a distingué trois parties. "Une France plus juste", autour de la justice sociale, de la justice fiscale et du pouvoir d'achat, "Répondre aux oubliés", ceux qui sont notamment dans des déserts médicaux, et "Comment se réconcilier ?", partie au cours de laquelle nous évoquerons la réponse aux violences et la manière de regagner la confiance des Français. Ces trois parties dureront chacune environ 45 minutes.
"J'espère que chacun saura éviter de transformer le plateau en émeute permanente"
Les chefs de parti vont vraiment pouvoir s'interpeller les uns les autres ?
Ils vont d'abord répondre aux questions. Ensuite, s'installera un débat mais il sera assez court. L'idée, c'est qu'ils proposent des solutions, pas qu'ils se chamaillent. On a vu les manifestations dans la rue, on a vu Emmanuel Macron dans ses débats de plusieurs heures. Maintenant, on veut voir les partis politiques répondre aux mêmes types de questions. Donc, il y aura du débat, mais ce ne sera pas que ça. Il faut qu'ils proposent des solutions, c'est la feuille de route de cette émission.
Avec des personnalités comme Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen, comment éviter le pugilat et la chamaillerie justement ?
L'enjeu, il est autant pour nous que pour eux. Voire plus encore pour eux puisque ce sont eux qui doivent redonner confiance aux Français et leur redonner aussi l'envie de voter et pas celle de casser. J'espère donc que chacun aura une forme de dignité et saura éviter de transformer le plateau en émeute permanente.
Le timing de ce débat est particulier. C'est une façon de clore le chapitre du "Grand débat national" avant que ne s'ouvre la séquence des Européennes ?
Oui, c'est complètement ça. Nous arrivons à la fin du Grand débat et avant les annonces que va faire le pouvoir le mois prochain.
"Nous n'avons pas fait de proposition à Emmanuel Macron"
Dans le cadre de cette fin du "Grand débat national", vous avez proposé à Emmanuel Macron de s'exprimer chez vous ?
Pas concrètement là, non.
Qu'est-ce qui justifie la présence d'Olivier Faure (PS) et pas de Nicolas Dupont-Aignan (DLF) qui étaient proches dans les sondages ces dernières semaines ?
On s'est fondé sur les partis qui ont des groupes importants à l'Assemblée, sur les résultats des présidentielles mais aussi sur les sondages en général, exceptés ceux portant sur les Européennes. Mais, même si on les regarde, Nicolas Dupont-Aignan est à un niveau inférieur. Ce n'est pas notre critère aujourd'hui. C'est ce que j'ai expliqué à ceux qui n'ont pas été invités. Après, ils le seront au cours de la campagne des Européennes.
C'est ce que vous avez dit à Ian Brossat (PCF) qui s'est plaint de ne pas être invité ?
Absolument. Il sera invité sur le plateau de "19h Ruth Elkrief", comme toutes les autres têtes de liste, dans le cadre des émissions spéciales Européennes que nous allons faire avec un journaliste européen. Chacune des têtes de liste défilera dans l'émission.
En décembre dernier, vous aviez co-animé une émission qui s'appelait "Sortir de la crise". Là, l'émission s'appelle "La crise, et après ?". Vous y voyez une issue à cette crise ?
Les problèmes de fond sont importants et durables. Les impôts ont beaucoup augmenté ces vingt dernières années et ont été investis surtout dans la santé et les prestations sociales et moins dans les services publics. Donc les questions posées sont fondamentales et ça durera des années avant que des réponses concrètes ne produisent leurs effets. Il ne faut pas se faire d'illusion là-dessus. Et ce n'est pas seulement la question des Gilets jaunes. C'est la question de la répartition des richesses en France, des déserts médicaux, de la modernisation des services publics et de la représentation politique. Ce sont des questions qui ne sont pas seulement spécifiques à la France et je ne pense pas qu'elles seront résolues en trois mois voire même en trois ans.
"J'avais sous-estimé l'ampleur de la colère"
Diriez-vous que avez vu venir cette crise ?
Non. J'ai toujours été sensible à cette France périphérique, notamment parce que les livres du géographe Christophe Guilluy m'ont toujours passionnée. Je suis touchée depuis longtemps par la thématique des territoires oubliés et par le difficile accès aux soins médicaux. Je pense d'ailleurs que ça méritait une forme de révolte. Pour autant, je pense que j'avais sous-estimé l'ampleur de la colère. Aujourd'hui, avec le recul, on se rend compte que cette crise a les mêmes racines que le Brexit. On trouve les mêmes motifs de colère : le sentiment d'être oubliés, de ne pas être considérés, de ne plus être dans le giron des services publics...
Pendant la campagne de 2017, vous aviez co-animé trois débats : ceux des primaires et celui entre les onze candidats. Il y aura plusieurs débats dans le cadre des Européennes. Diriez-vous que le débat est devenu le passage obligé de toutes les séquences électorales ?
Oui parce que le débat est devenu une sorte de synthèse pour aider l'électeur à faire un choix. En réalité, les gens ne vont plus beaucoup aux meetings, ils regardent les discours à la télévision. Ils attendent aussi des confrontations qui peuvent permettre des décisions et des choix et c'est à la télévision que ça se passe, notamment sur les chaînes info comme BFMTV. Ça devient un exercice qui permet à l'électeur de se faire une idée. En somme, c'est une photographie pour aider à la décision.
BFMTV a contribué à la généralisation de ces débats. On se souvient du débat Royal/Bayrou dès 2007. En ce sens, pensez-vous que les chaînes info, BFMTV au premier rang d'entre elles, ont contribué à "américaniser" le débat public en France ?
Non. Dans ce contexte, on peut dire que toute la vie politique est un peu américanisée. Mais c'est vrai que le tout-info a changé beaucoup dans les moeurs politiques et dans les campagnes électorales. Beaucoup de choses se passent sur nos antennes désormais.
"Notre métier, ce n'est pas la même chose que Brut et Facebook"
Il y a quarante ans, Roger-Gérard Schwartzenberg parlait de "L'État-spectacle". Avec ces débats, on est en plein dedans, non ?
Ça dépend de la rigueur et de l'honnêteté de chacun. La télévision, malgré les réseaux sociaux, reste un des derniers lieux de retrouvailles. On peut dire que c'est du spectacle mais s'il en faut pour essayer au moins de réunir les gens à un moment donné, alors il faut en passer par là. Et spectacle n'est pas forcément le mot approprié. Ce que je demande aux hommes politiques, c'est d'avoir des propositions, de présenter des solutions et de ne pas être seulement dans l'algarade et l'apostrophe.
Durant la crise de ces derniers mois, vous qui êtes une incarnation majeure de BFMTV depuis sa création, avez-vous compris les nombreuses réactions d'hostilité à l'égard de la chaîne et de ses équipes dans les manifestations ?
Il y a plusieurs raisons à cela. BFMTV est leader. J'étais à TF1 il y a quelques années et j'ai déjà vécu cela. Quand vous êtes leader, vous êtes l'objet de toutes les attentions, qu'elles soient positives et négatives. C'est une considération de notre leadership même si ça peut être difficile à vivre. Notre sentiment, c'est que nous avons travaillé de la même façon que les autres chaînes. La différence, c'est que nous avons été beaucoup plus visibles. Il y a une forme d'injustice car BFMTV, comme les autres chaînes info, a fait son travail correctement. C'était notre devoir de retransmettre ce qu'il se passait en France, aussi bien dans les manifestations et sur les rond-points que dans les débats. On a juste proposé un reflet d'une réalité qui était parfois difficile à accepter pour certains.
Mais certains Gilets jaunes ont manifesté un ressentiment particulier contre BFMTV et les autres chaînes info.
Oui, cette colère contre nous a été plus compliquée à comprendre. Je crois que, comme les Gilets jaunes ont eu la parole très facilement au début sur nos antennes, ils ont eu le sentiment que les chaînes info devaient être le reflet uniquement de leurs convictions. Or, une chaîne info est faite de reporters et d'éditorialistes et se doit de proposer des débats et de la contradiction. C'est cela qui a heurté les convictions de certains. Nous, on fait juste notre métier de journaliste et notre métier, ce n'est pas la même chose que Brut et Facebook. On décortique l'info, on l'analyse, on ne se contente pas de l'image. Il y a eu un décalage avec les Gilets jaunes qui, au début, n'ont pas compris comment fonctionne une chaîne info. Ce n'est plus du tout le cas. Et très souvent, il y a désormais des moments de discussion et des rencontres très intéressantes hors caméras avec les Gilets jaunes car ils comprennent maintenant très bien notre fonctionnement.
"Je suis dans le doute permanent"
La couverture du mouvement des Gilets jaunes a provoqué une sorte de crise d'identité à BFMTV en janvier. À ce moment-là, vous partagiez l'inquiétude de la rédaction ?
Oui mais ce moment a été très salvateur et utile. La direction a tenu compte de cette inquiétude. Il y a eu un dialogue intense qui a été particulièrement fécond. Cela a donné lieu à la création du comité éditorial, qui se réunit tous les dix jours et dans lequel on discute de tous les sujets. Il y a aussi désormais une réflexion renforcée sur les contenus à l'antenne. Ça me rappelle la période des attentats. Quand ces événements sont arrivés, nous étions face à quelque chose de complètement inédit. Les procédés s'étaient mis au point avec l'expérience. Dans cette crise des Gilets jaunes, il nous a fallu un temps de compréhension avant de nous fixer de nouvelles règles.
Vous vous êtes posez des questions sur votre métier d'éditorialiste ?
Oui mais je m'en pose tout le temps. Il n'y a que les gens qui ne me connaissent pas ou qui ne savent pas ce qu'est le métier d'éditorialiste pour penser qu'on ne s'en pose pas. Je suis dans le doute permanent parce que je ne parle pas pour moi. Je parle avec une conviction qui est que l'action de l'Etat doit servir l'intérêt général et au nom d'un certain nombre de valeurs que l'on défend tous : celles de la République. De manière générale, un éditorialiste ne parle pas pour son statut personnel. On a une éthique et une déontologie. Il y a eu un malentendu à ce sujet. Si on a été mal compris, c'est désolant. Encore une fois, je ne parle pas pour moi, je parle pour tous.
Et vous reconnaissez qu'il vous arrive parfois de parler un peu vite ?
Bien sûr, personne n'est parfait.
"J'aurais fait la même chose que Léa Salamé"
Outre le débat de ce soir, vous êtes à la tête de "19h Ruth Elkrief", une tranche stratégique de BFMTV, tant en termes d'image que d'audience. Justement, vous êtes désormais challengée par David Pujadas sur LCI. Cela vous inquiète ?
Il me challenge un peu moins en ce moment (rires). Plus sérieusement, je le vis très bien car la concurrence fait partie de la vie. Ce n'est un secret pour personne, David Pujadas est un ami. On a commencé ensemble à LCI, on a beaucoup de respect et d'affection l'un pour l'autre et il est normal qu'un journaliste de sa qualité réunisse des téléspectateurs. En ce qui nous concerne, on a une marque très forte qui se porte très bien, ce qui n'empêche pas la remise en question permanente.
Alors que son compagnon Raphaël Glucksmann est candidat aux Européennes, Léa Salamé s'est mise en retrait de ses activités à "L'Emission Politique" et France Inter. Vous auriez fait la même chose ?
Absolument. C'est une sage décision et ça n'a rien à voir avec le fait d'être une femme. J'aime beaucoup Léa Salamé, c'est une excellente journaliste et elle a pris la seule décision qui s'imposait, femme ou homme. Ce n'est pas une question de sexe et de soumission de la femme à l'homme, c'est une question de déontologie.