Insubmersible Thierry Ardisson. À bientôt 70 ans, l'homme en noir reste une figure incontournable du petit écran. Celui qui a passé la moitié de sa vie à la télévision prépare aujourd'hui en douceur sa reconversion. S'il a déjà enfilé sa casquette de producteur de fictions et de cinéma, Thierry Ardisson est toujours l'animateur des "Terriens", du samedi et du dimanche, l'incontournable talk-show du week-end sur C8. Désireux de se renouveler pour ne pas s'ennuyer, l'animateur s'offre cette année un nouvel écrin et deux nouveaux visages. À la veille du lancement de la saison 2 des "Terriens du dimanche" avec Pierre Liscia et à quelques heures de la première de Yann Moix dans "Les Terriens du samedi", puremedias.com s'est entretenu avec Thierry Ardisson.
Propos recueillis par Pierre Dezeraud.
"Les Terriens" change de formule, et notamment de décor cette saison. Ça veut dire que vous n'êtes pas sur la même longueur d'ondes que Catherine Barma qui refuse de changer le sien ?
Thierry Ardisson : Honnêtement, le décor des "Terriens" était un des plus beaux décors que je n'ai jamais eu et que je n'ai jamais vu à la télévision ! Mais au bout de douze ans de fauteuils Louis XVI, où tout le monde était affalé, je n'en pouvais plus. Sur la formule, nous perdions le sel avec six interviews à la suite. Donc, j'ai tout changé. Là, je suis vraiment content. Concernant Catherine, il faut quand même dire, à sa décharge, que France 2 est une des rares chaînes où le budget baisse tous les ans. Moi, mon budget ne bouge pas, donc mon nouveau décor, je l'ai payé de ma poche. Elle, avec son budget réduit, elle ne peut rien faire. C'est une connerie. Il faudrait qu'un jour les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités. Plutôt que de diminuer tous les ans le budget des programmes de France Télévisions, on ferait mieux de s'atteler à désosser le dinosaure. Par rapport aux autres télés françaises et européennes, il y a 7.000 personnes en trop dans ce groupe (le groupe compte près de 10.000 salariés, ndlr). C'est cruel de dire ça, mais c'est la réalité. Sinon, le service public crèvera de sa graisse.
Vous avez participé à "On n'est pas couché" la semaine dernière. Comment se sont passées les retrouvailles avec Catherine Barma après plusieurs années de fâcherie ?
C'est une très bonne productrice et je n'aurais jamais fait la carrière que j'ai fait sans elle. Elle m'a envoyé un petit texto après l'enregistrement. Je lui ai répondu : "La vie nous oppose, mais tu sais bien qu'on s'aime".
"Si les audiences continuent de baisser cette saison, j'en tirerais les conséquences"
Concernant "Salut les Terriens !", vous avez dit en avoir marre de la succession d'interviews...
Oui, on étouffait ! J'ai oxygéné avec "Coucou les Martiens !", "l'Ardiview", la grande interview de la semaine, "Les Moix d'Or", "La Battle", ma nouvelle rubrique "Shopping" ! On organise tout ça autour de la promotion de trois invités cette semaine. Ce soir, on a Guillaume Canet en exclu, Zazie et l'incroyable Michel Fau. Je trouve que cette nouvelle formule marche très bien. L'émission est bien mieux structurée. Les séquences bougeront peut-être un peu dans l'année. En fait, le lancement des "Terriens du Dimanche" l'année dernière, une émission qu'on a inventé jusqu'en juin, m'a aussi poussé à vouloir inventer. Ça m'a fait renouer avec une assise haute, qui fonctionne mieux en télé, et chercher de nouvelles rubriques. D'ailleurs, à part le décor, on ne touche pas aux "Terriens du Dimanche"
Ce réaménagement de formule des "Terriens", est-ce aussi parce que les audiences ont baissé ces dernières années ?
Les audiences s'érodent, mais c'est normal pour une émission qui a douze ans. À un moment, il y a une lassitude. C'est le même phénomène pour "On n'est pas couché". Effectivement, c'est parce que je sentais que les audiences s'érodaient que j'ai fait ce changement. Je pense que c'est à moi de zapper avant que les gens ne zappent. Maintenant, si à l'issue de cette saison, les audiences continuent de baisser, j'en tirerais les conséquences. Je parle de la part de marché puisque le total de téléspectateurs devant la télévision est en baisse sur un an. Je ne vais pas m'accrocher à tout prix si ça ne marche plus. Après, je ne vais pas faire comme Hollande avec la courbe du chômage et m'engager sur un chiffre (rires). Si la télé s'arrête, ce n'est pas grave. J'y prends encore du plaisir, j'en reprends même, mais si ça n'amuse plus que moi, j'arrêterais. Je vais avoir 70 ans en janvier. Et puis, la piste d'atterrissage commence à être bien bétonnée dans la fiction avec des séries en développement et le cinéma avec "Les Enfants du Palace".
"J'ai toujours eu conscience que j'arrêterai un jour de faire de l'antenne"
La fiction et le cinéma, ce sera votre baroud d'honneur ?
Tu peux être producteur à 90 ans, animateur, c'est plus compliqué. Contrairement à d'autres, j'ai toujours eu conscience que j'arrêterai un jour de faire de l'antenne. Je pensais que ce serait avant. Je n'imaginais pas tenir jusque-là. Maintenant, la fiction et le cinéma, ça me permettra de rendre la chose moins douloureuse. Là, j'ai trois ou quatre séries en développement qui sont vraiment bien. Tout cela s'installe sans trop de pression.
Cette aventure dans la fiction, elle se fera forcément avec Canal+ ?
Je souhaite bosser avec eux. Mais les projets que j'ai ne sont pas tous avec Canal. Je leur propose, en priorité, mais si ça ne les intéresse pas, je peux aller les proposer à Orange, Gaumont, Netflix ou je ne sais qui d'autre.
"Les mecs les plus intéressants du moment en télé ? Yann Moix, Eric Naulleau et Frédéric Taddéï"
Revenons sur la rentrée des "Terriens du Samedi". Yann Moix, votre nouvelle recrue, n'était pas là pour la première. Que s'est-il passé ?
Il est tout simplement parti en Corée du Nord. J'ai dit : "Je ne vais pas m'énerver". Et tous les sites ont repris : "Ardisson s'énerve". C'est extraordinaire ça ! Donc je ne me suis pas énervé, j'adore Yann. C'était un peu comme un mec qui se marie et qui invite tous ses potes à la mairie et la femme ne vient pas. Je me suis un peu senti comme un mari planté devant l'autel. Mais bon, il était là hier et ça s'est bien passé. Je suis content de l'avoir. Yann Moix fait partie des trois mecs les plus intéressants du moment en télé pour moi avec Eric Naulleau et Frédéric Taddéï.
Frédéric Taddéï, il n'y a plus que vous qui voulez bien de lui...
Oui, je sais, c'est désolant ! Franchement, je trouve ça vraiment navrant que le service public ne veuille plus de lui. Il n'a pas vendu du beurre aux Allemands ! Il invite juste des gens qui ne sont pas d'accord avec le système. Heureusement qu'il le fait, c'est quand même le principe de la démocratie ! C'est vraiment scandaleux. Il est obligé d'aller bosser chez Poutine. Mais je pense que c'est un garçon courageux qui saura tenir tête aux pressions s'il y en a. C'est pas Nicolas Hulot ce mec-là.
Le 6 octobre, à 19h40, Canal+ lance "Bonsoir", un magazine animé par Isabelle Ithurburu. Ça ne vous gêne pas ce lancement face aux "Terriens du Samedi" de C8 ?
Je dis : "Bonne chance !" (rires).
"'Samedi soir à Pigalle' est trop cher pour C8"
Canal+ ne vous a jamais proposé de venir sauver son access qui est en totale déperdition ?
On en a parlé, mais si je fais une quotidienne, je ne peux pas faire de cinéma et de fictions.
"Samedi soir à Pigalle" reviendra sur C8 ?
Ça coûte trop cher pour eux. Pourtant, Franck Appietto (directeur général de C8, ndlr), Julien Lalande (directeur des flux et documentaires de C8, ndlr) et Vincent Pujol (directeur des programmes et de l'antenne de C8, ndlr) adorent ! J'en profite pour dire que ce sont tous les trois des bons gars. Appietto est un mec du bâtiment, il connaît les animateurs et les producteurs. C'est un mec qui fait de la vraie télé, c'est pas un comptable. Bref, "Samedi soir à Pigalle" est trop cher pour eux. Moi, je ne gagne pas beaucoup de blé avec cette émission, donc je ne vais pas la brader. J'aimerais bien qu'on en fasse une pour les fêtes. C'est un format qui fonctionne ce duo Tom Villa/ Thierry Ardisson. Bon, voilà, c'est en vitrine ! (rires)
Est-il vrai que "Les Terriens du Dimanche" a failli ne pas revenir ?
C'est un peu exagéré. J'ai senti qu'il y avait des réticences dans la maison. J'ai donc dit que si je n'avais pas mes deux émissions, il n'y aurait plus d'émissions du tout. Ce n'est pas un caprice. C'est juste qu'on a mis un an à inventer cette émission. On a mis sur pied un format étonnant qui fonctionne bien. C'est la seule émission où on parle de l'islamo-gauchisme avant de passer du Led Zeppelin. Donc j'ai dit à C8 qu'on ne pouvait pas arrêter cette émission. Ils ont été d'accord, il n'y a pas eu un grand combat.
"La télé linéaire est un média déclinant qui gagne de moins en moins d'argent"
Ils vous ont quand même demandé de réduire le budget ?
Non, on a réduit le nombre d'émissions. Mais j'étais demandeur ! Si je réduisais le budget, j'aurais dû rogner sur tout, les auteurs, la lumière, etc... J'ai préféré garder la même somme par émission. Il y en aura moins, mais ce n'est pas grave, ça va me permettre de partir en vacances et de m'occuper de la fiction.
Finalement, vous sentez l'air du temps. Il n'y a plus d'argent pour les émissions de plateau, mais il y en a de plus en plus pour la fiction.
Oui, on va vers ça. La télé a changé. Aujourd'hui, sur Netflix, il y a David Letterman ! Les GAFA vont proposer du flux maintenant. C'est la fin de la télé linéaire. Donc, évidemment, il y a de moins en moins d'argent. Il est ailleurs. Facebook a vu son chiffre d'affaires publicitaire exploser de 72% au premier trimestre. En télé, il n'y a même plus de troisième partie de soirée et on ne forme plus d'animateurs. On fait des émissions de plateau pauvres et mal éclairées. La télé linéaire est un média déclinant qui gagne de moins en moins d'argent. Même le président de TF1 renonce à ses bonus !
Ça vous attriste ?
Pas du tout ! "Après moi, le déluge" ! La télévision mourra avec moi ! (rires)
"Je suis un mélange de convictions et d'opportunisme"
Pour en revenir aux "Terriens du Dimanche", il y aura des changements ?
Le dernier changement, ça a été de mettre un zapping face au lancement des "20 Heures" parce qu'on souffrait. Ça a bien fonctionné en fin de saison. Cette année, on verra en fonction de l'audience. Je suis un mélange de convictions et d'opportunisme. Si l'audience me dit que quelque chose ne marche pas, je ne m'accroche pas comme un malade à mon idée. Pour la première, on a Eric Zemmour qui met une tension inimaginable sur le plateau. C'est une première de haut niveau.
Vous assumez le positionnement "anti-bobos" des "Terriens du Dimanche" ?
Oui, c'est une émission d'aujourd'hui. On sort de l'époque "bobos-bisounours". Il y a une prise de conscience des gens qui se sont enlevés la peau de saucisson qu'ils avaient devant les yeux et qui se mettent enfin à voir la réalité. 50% des jeunes musulmans de France mettent la Charia au-dessus de la République (50% des musulmans de moins de 25 ans sont en rupture avec les valeurs républicaines selon un sondage de l'Institut Montaigne en 2016, ndlr). On en est là ! Donc, évidemment, je veux faire une émission raccord avec l'époque, dans laquelle se disent des trucs qu'on ne dit pas ailleurs avec des gens aux idées très diverses. Mon idée, c'est que les plateaux de télé ressemblent à la rue. C'était déjà le cas au début des années 2000 ! J'avais la seule émission dans laquelle on voyait des Noirs, des Arabes, même un Tchétchène et un Sikh !
France Inter, c'est un média qui vous agace ?
C'est une radio cultivée, intelligente avec de bons contenus. Mais je n'aime pas le côté donneur de leçons de France Inter. L'autre jour, je suis allé voir Sonia Devillers. Elle a commencé à me donner des leçons de morale. Je lui ai répondu : "Vous êtes qui pour me donner des leçons ? D'où parlez-vous ?". Ça ne lui plaît pas que je bosse pour C8. Déjà, je suis là où l'on me veut et elle n'a qu'à s'en prendre à Patrick de Carolis, qui m'a viré de France 2 ! Ce n'est pas moi qui suis parti !
"Je ne suis pas assez raccord avec le 'hollandisme' de Delphine Ernotte"
Si vous étiez resté, Delphine Ernotte vous aurait peut-être viré quelques années plus tard...
Oui, c'est très probable. Je ne suis pas assez raccord avec son "hollandisme".
Vous envoyez parfois des piques aux humoristes de France Inter mais vous en recrutez quand même. Alex Vizorek, Tom Villa, Tanguy Pastureau...
Mais je ne suis pas dans une critique fondamentale et totale de France Inter. Vizo faisait gaffe à ce qu'il disait chez nous au début. Maintenant, il y va franco ! Il s'est un peu "ardissonnisé". Et Tom Villa, c'est mon chouchou. Je l'aide parce que ce mec est brillant. Un vrai bosseur.
Pourquoi recruter Pierre Liscia dans "Les Terriens du Dimanche" ?
On s'était dit avec Stéphane Simon (co-producteur des "Terriens" et patron de Téléparis, la société de production de l'émission, ndlr) qu'on avait besoin d'un petit reporter comme Hugo Clément. Il m'a montré la vidéo de Pierre qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux. Ce que j'ai vu dans la première m'a beaucoup plu. Il ne s'est pas démonté face à Zemmour.
"J'ai une grande gueule mais je sais la fermer quand il le faut"
Ça ne va pas arranger la perception de votre émission à la mairie de Paris !
Heureusement qu'Anne Hidalgo a demandé le classement des Arcades Rivoli à Françoise Nyssen avant de savoir que Pierre Liscia allait bosser chez moi ! Ça faisait quatre ans que j'attendais qu'elle le fasse. Elle a encore deux ans pour se rattraper !
Cyril Hanouna, votre compère de C8, est au coeur de l'actualité de la semaine. Comme lui, auriez-vous pu traiter les dirigeants de TF1 d'"abrutis" et de "connards" ?
Non, c'est malvenu. J'ai une grande gueule, mais je sais la fermer quand il le faut. Je pense que ses paroles ont dépassé sa pensée. Les patrons de TF1 sont loin d'être des abrutis. La preuve, c'est qu'Ara Aprikian a eu la très bonne idée d'aller chercher Cyril Hanouna sur France 4. C'est lui qui a fait sa fortune.
Vous avez pourtant traité Patrick de Carolis d'"escroc" la semaine dernière.
Non, ce n'est pas pareil. Si je m'en prends à lui, c'est parce qu'il m'a viré en disant que c'était une "escroquerie" de travailler à la fois sur Paris Première et France 2. Il s'est fait ensuite rattraper par l'affaire Bygmalion. Donc l'escroc, c'est lui ! Je le dis mais c'est juste factuel, ce n'est pas une insulte.