Shine France fête ses cinq ans ! La société de production peut se targuer d'être à l'origine du format de flux numéro un en France, "The Voice", dont la déclinaison "Kids" a signé un bon bilan ces dernières semaines sur TF1. A l'occasion de l'anniversaire de l'entreprise, Thierry Lachkar a rencontré puremedias.com pour faire le bilan de ces cinq années. Il évoque plus en détails le succès de "The Voice", le changement de jury et l'arrivée de Zazie, la concurrence de "Rising Star" mais parle aussi des autres programmes de Shine, comme "Masterchef", le flop "The Dancers", ou encore les tendances actuelles de formats et les projets sur lesquels travaillent ses équipes.
Propos recueillis par Charles Decant.
Samedi soir, "The Voice Kids" s'est clôturé après cinq émissions. Quel bilan tirez-vous de cette première saison ?
C'est un très beau succès, une très belle production. On avait un vrai défi au niveau du casting, un vrai questionnement sur la capacité à dénicher des enfants qui ont le même niveau que les adultes, et on a réussi. Les audiences ont aussi été très bonnes, le public nous a suivi et c'est toujours appréciable.
Les audiences sont sensiblement inférieures à la version adulte. C'était inévitable ?
C'était très attendu. Et on n'a jamais utilisé en benchmark les résultats de la version adulte. On l'a vu à l'international, là où la version Kids a été diffusée, notamment en Hollande, en Australie. On espérait que le programme puisse rassembler le plus grand nombre, mais il y a toujours un petit questionnement avant sur l'ampleur du succès qu'on peut attendre. La chaîne et nous sommes ravis du résultat. On a annoncé une saison 2, les castings sont ouverts.
En interview, vous dites que "The Voice" est votre "joyau" et que vous réfléchissez beaucoup à l'exploitation de la marque. Mais en 2014, vous avez proposé 23 primes - 18 adultes et 5 enfants - du télé-crochet. Vous ne craignez pas de provoquer la lassitude ?
Pour nous ce sont deux propositions différentes, avec des enfants versus des adultes, trois jurés et non quatre, et on était là sur une série très événementielle et très courte, puisqu'on a eu seulement cinq émissions. Je pense que le succès du programme ne se démentira pas tant qu'on garde la même exigence en termes de casting, en termes de coachs, avec la surprise de l'arrivée de nouveaux coachs, et cet engagement des coachs, qui permet de susciter un vrai engouement du public. Je n'ai pas l'impression aujourd'hui qu'on ait surexposé la marque.
Vous réfutez toute notion que la baisse des audiences de "The Voice" saison 3, en fin de saison, puisse être dûe à l'allongement du programme sur 18 semaines ?
La baisse des audiences est très relative, quand vous regardez les performances des lives, ils restent toujours très bons. Certes, ils sont en dessous des auditions à l'aveugle, mais cette phase-là est incomparable, c'est un raz-de-marée d'audience comme il n'en existe plus aujourd'hui à la télévision. Il ne faut pas, à mon sens, comparer les audiences de ces deux phases. Et puis cette année, on a eu une météo très, très estivale en ce printemps 2014, donc il y avait moins de gens devant la télé qu'au printemps dernier. Maintenant, on travaille déjà à d'autres adaptations, d'autres nouveautés pour l'année prochaine, pour surprendre le public, et augmenter les audiences des lives mais aussi des auditions à l'aveugle et des battles.
Donc quand on entend qu'il est déjà acquis que la saison 4 sera plus courte, c'est faux ?
Je ne vous le dirais pas si je le savais... En l'occurrence, je le sais ! (Rires) Mais on laisse d'abord la surprise à nos téléspectateurs. Et puis surtout, "The Voice" est un programme qui est très regardé par nos concurrents.
Sachant tout le mal que Zazie semblait penser des télé-crochets, pourquoi avoir été la démarcher pour intégrer le jury ?
Chez Shine et TF1, on est tous convaincus depuis longtemps que Zazie ferait un coach formidable, on avait d'ailleurs eu des contacts indirects avec elle pour la première saison. A l'époque, elle avait préféré décliner parce qu'elle ne se voyait pas choisir entre des talents, elle pensait qu'elle ne serait pas à l'aise. On a eu l'occasion, parce qu'on est très têtu, de réfléchir à qui on aimerait avoir pour cette quatrième saison. Et, tout comme on a réussi à convaincre Mika l'an dernier après avoir discuté avec lui en première saison, on s'est dit qu'on pouvait réussir l'impossible.
Donc vous avez repris contact avec elle ?
Oui, on a d'abord rediscuté avec son management, puis avec elle, pour voir ce qu'elle pensait de "The Voice", si c'était quelque chose qui pourrait l'intéresser. Et tout de suite, il y a eu une bonne entente entre nos équipes et elle, je l'ai rencontrée récemment et elle fera une coach formidable. C'est une vraie artiste, elle sait écrire, elle compose, c'est une voix... Elle est extrêmement drôle... J'ai hâte de la voir assise dans le fauteuil avec nos trois coachs de la saison dernière. Je pense qu'on va avoir un vrai combat entre nos deux filles et nos deux garçons.
On le sait, "The Voice" offre une belle visibilité aux coachs. Est-ce que, dans vos discussions depuis quatre ans, vous êtes tombé sur des artistes très opportunistes, et est-ce que, finalement, si l'artiste fait le job, ses motivations importent ?
En l'occurrence, Louis, Jenifer, Florent ou Garou sont des coachs qui nous ont suivi dès le début, qui ont eu un coup de coeur pour le programme et ont accepté de prendre un risque. Parce qu'à l'époque, je peux vous assurer qu'il y avait énormément de scepticisme, y compris du côté des médias, sur le potentiel d'un nouveau télé-crochet. Donc pour ces artistes-là, on ne peut pas parler d'opportunisme, au contraire. Mika, arrivé l'an dernier, avait très envie de nous rejoindre dès la première saison mais a dû décliner pour des problèmes d'agenda, d'enregistrement d'album, et Zazie explique très bien la raison de son choix.
Ce changement de jury est dans la bible du programme, fournie par Talpa, créateur du format ?
Non, ce n'est pas automatique ! On peut être amené à changer, mais ce n'est pas obligatoire. On n'a pas changé entre la saison 1 et la saison 2 par exemple. On a gardé nos coachs pour la version "Kids". A chaque fois, ce sont des choix mûrement réfléchis en fonction de l'actualité des coachs, de leur disponibilité, de notre volonté d'apporter de la nouveauté. Ca fait partie de la flexibilité que nous apporte le format.
Après l'émission, il y a la carrière musicale et cette année, entre Luc Arbogast, Fréro Delavega et le carton de Kendji, vous avez plutôt réussi votre coup. Ca devenait nécessaire pour légitimer l'émission ?
On était ravi pour Kendji, ravi pour nous. La promesse de "The Voice", c'est de trouver "The Voice", pas de trouver la nouvelle star. En ça, saison après saison, on a prouvé que le public choisissait une voix, que ce soit le cas pour Yoann Fréget ou Stephan Rizon. Maintenant, c'est vrai que ça fait très plaisir de voir qu'un artiste arrive à trouver son public, et je crois qu'il n'y a pas d'équivalent dans le monde d'un gagnant de "The Voice" qui arrive à vendre autant. C'est formidable pour nous, mais aussi pour le format à l'international.
Vous le disiez, les télé-crochets sont à la mode, et "Rising Star" arrive jeudi. Vous en pensez quoi ?
Je pense que c'est toujours bien d'avoir un nouveau concours de talent qui se lance. Historiquement, ne serait-ce qu'en France, on s'est rendu compte qu'on pouvait avoir plusieurs télé-crochets qui co-habitent. Je souhaite bonne chance aux équipes de M6 et de Studio 89. Je serai devant ma télé jeudi soir en tous cas !
"Rising Star" base tout sur l'interactivité. Ca vous incite, à l'instar de "Nouvelle Star" et des bleus ou rouges du public, à en proposer davantage dans la prochaine saison de "The Voice" ?
On a toujours eu à coeur d'intégrer de l'interactivité dans l'émission, avec le "5e coach", application qui permet de jouer avec les coachs en direct lors de la diffusion...
...Mais ce n'est pas quelque chose que vous intégrez au programme...
Non, c'est vrai. Maintenant, "The Voice" a une mécanique qui fonctionne très, très bien. Les auditions à l'aveugle n'ont pas d'équivalent. Il n'y a pas un seul format qui a autant rencontré le succès à travers le monde que "The Voice" ces cinq dernières années, donc il ne faut pas tout casser pour essayer de se rapprocher d'un format ou d'une tendance. On cherche des façons d'intégrer de l'interactivité, on l'a fait par le passé, on continue à en chercher de nouvelles, mais on restera sur les fondamentaux du format.
L'argument de vente de "Rising Star" c'est "le jury, c'est vous". Ca vous inspire quelque chose, vous qui venez de recruter Zazie ?
Je pense qu'ils ont un argument qui est dans l'air du temps. Après, il faudra voir comment l'émission est faite, quels talents ils vont avoir, comment se comportera le jury... J'ai hâte de voir ça. C'est très difficile de compenser par des primes en direct, donc je leur souhaite bonne chance.
Cyril Hanouna présentera prochainement un télé-crochet où les téléspectateurs voteront gratuitement, comme "Rising Star". Ca se justifie encore de faire payer les votes ?
La vraie interactivité, c'est permettre au public le plus large possible de participer à un choix. En ça, je pense qu'il n'y a pas mieux que le téléphone. Mais quand on dit vote gratuit, il n'y a plus de contrepartie à la clé. La même personne peut voter 5 fois, 10 fois, 500 fois. Pour moi, il est important d'avoir cette forme de contrepartie : voter doit rester un vrai engagement et c'est pour ça que le vote payant garde tout son sens.
Après des mois et des mois de travail sur une nouvelle formule, TF1 a enfin donné son feu vert à la saison 5 de "Masterchef". Vous pouvez en dire un peu plus sur les évolutions apportées ?
On a eu l'occasion de prendre un peu de recul sur ce qu'on a fait lors des quatre premières saisons, d'analyser ce qui se fait à l'international, puisque le format est diffusé dans plus de cinquante pays. Il y a beaucoup de choses qu'on va changer, mais on repart de la même base : "Masterchef" est le plus grand concours de cuisine pour les amateurs. On aura de nouveaux membres du jury, on est actuellement en casting de chefs, mais je ne peux pas donner trop de détails, de peur que certains récupèrent nos bonnes idées. Mais je vous promets de la surprise !
M6 aussi a eu des difficultés avec son concours de cuisine, "Top Chef", qui va être revu de fond en comble pour la saison prochaine. Qu'est-ce que vous en tirez comme enseignement ?
J'ai mon avis sur la question mais je pense que je vais le garder un peu pour moi ! Maintenant, "Top Chef" et "Masterchef" ont été très souvent comparées, mais ce sont des programmes qui sont très différents. D'un côté, il y a des jeunes chefs professionnels, de l'autre des cuisiniers amateurs de 16 à 77 ans. Ca met en place d'autres règles, d'autres émotions, d'autres enjeux. "Masterchef" ne doit pas singer "Top Chef" et inversement. Et si des solutions doivent être apportées pour "Top Chef", je pense que ce ne sont pas forcément les mêmes que celles qui doivent être apportées à "Masterchef", et vice versa.
Vous préparez aussi une troisième saison de "La meilleure boulangerie de France", joli succès avec deux saisons déjà sur M6. Vous n'avez pas peur d'une lassitude du public face aux multiples programmes patrimoniaux comme "Le meilleur gîte de France", "La plus belle région de France", "Mon incroyable marché", "Mon bistrot préféré"... ? Les audiences de tous ces programmes semblent orientées à la baisse...
Je me méfie énormément des raisonnements généraux autour d'un thème ou d'une tendance. Ce que vous dites là est ce que j'attendais à l'époque du lancement de "The Voice" sur les télé-crochets...
...Mais il n'y en avait plus à l'antenne à l'époque !
Ce n'est pas parce que vous avez des programmes qui ne rencontrent pas leur public ou dont les audiences s'érodent qu'il faut tirer un trait sur un genre ou une thématique. Et dans un univers à 25 chaînes, les parts d'audience ont mathématiquement tendance à baisser. Maintenant, il faut continuer à être innovant car continuer à décliner ces thématiques n'est pas une garantie de succès.
Vous avez connu deux déprogrammations l'an dernier, dont "The Dancers" après cinq jours seulement sur TF1... Comment avez-vous vécu cette décision ?
On a essayé de proposer une création, on savait qu'on prenait un risque. La danse est un genre porteur et on a voulu innover avec une écriture hybride, entre le concours de talent et le suivi au quotidien. Le public n'a pas suivi... C'est rageant, c'est triste pour les équipes, on a arrêté les tournages beaucoup plus tôt que prévu. Malheureusement, c'est la loi du genre et il ne faut surtout pas que ça nous empêche de continuer à innover.
A l'instar de "Tout le monde aime la France", est-ce que ce programme était inclus dans votre contrat avec TF1 au moment d'acheter "The Voice" ? Est-ce que la chaîne était obligée de vous l'acheter ?
Ca, je ne pourrai pas vous répondre, parce que c'est ce qu'on appelle le secret des affaires !
Parlons de France 2 dans ce cas. Vous venez de tourner "Prodiges", un talent show avec des enfants et autour de la musique classique. Ce n'est pas doublement segmentant ?
J'espère pas ! Le succès de "The Voice Kids" ou de "Masterchef Junior" montre que des programmes avec des enfants peuvent être fédérateurs. Après, sur l'univers du classique, on a voulu faire notre "Fantasia" à nous en rendant hommage au classique en utilisant l'écriture du concours de talents. On espère attirer les fans de musique, de chant et de danse classiques, mais il y a tellement plus que ça dans ce programme. Il y a beaucoup de rire ! Marianne James est formidable en maîtresse de cérémonie...
Parmi vos projets, vous êtes en phase de réflexion autour de "Utopia", la télé-réalité dans laquelle des "pionniers" sont invités à rebâtir une nouvelle société en partant de rien, coupés du monde. Les scores hollandais sont bons mais aux Etats-Unis, c'est la catastrophe...
C'est un énorme succès aux Pays-Bas où que c'est diffusé en access, en quotidienne. Aux Etats-Unis, c'est deux fois par semaine en prime time sur Fox. Mais le traitement est radicalement différent de ce qu'en a fait la Hollande et de ce qu'on ferait nous. Evidemment, on regarde de façon très intéressée ce qui se passe là-bas, mais on va voir comment les audiences vont évoluer. Et puis il y a plein de programmes qui ont marché à l'étranger et pas chez nous, et inversement. Ca dépend aussi de la façon dont on adapte le programme, dont on le rend franco-français. Le demi-échec américain ne nous empêche pas de vendre cette émission.
Vous êtes également présent sur la fiction et vous travaillez toujours sur l'adaptation française de "Broadchurch", dont la version originale était déjà une production Shine. Où en est ce projet ?
On travaille avec France 2 sur cette série librement adaptée de la version originale. On est aujourd'hui en phase de repérage et de casting. On a prévu un tournage en début d'année prochaine, donc on est en pleine écriture avec un pool de quatre auteurs français.